Anglais

Myanmar : un an passé au théâtre de l’absurdité organisé par la junte, devant la menace d’une débâcle militaire

today2025-02-08

Myanmar : un an passé au théâtre de l'absurdité organisé par la junte, devant la menace d'une débâcle militaire
share close

Bilan annuel des pertes et mensonges persistants de la junte au Myanmar

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Myanmar junta leader presides over an event to mark the Artillery Corps’ 75th anniversary in Naypyitaw

Le leader de la junte du Myanmar a présidé un événement marquant le 75ème anniversaire du corps d’artillerie à Naypyitaw, le 3 février 2024. Photographie réalisée par le ministère de l’Information. Source : The Irrawaddy, image reproduite avec l’autorisation de l’auteur.

Cet article a été initialement publié le 27 décembre 2024 sur The Irrawaddy, site d’information indépendant du Myanmar en exil en Thaïlande depuis le coup d’État militaire de 2021. Une version éditée est republiée sur Global Voices dans le cadre d’un accord de partage de contenu.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages Web en anglais]

Le régime militaire du Myanmar s’est évertué à maintenir un semblant de normalité en 2024, alors que son contrôle territorial se réduisait face aux avancées incessantes de la résistance. Min Aung Hlaing [fr], le chef de la junte, a fait face aux pertes subies sur de multiples fronts en intensifiant sa machine de propagande, en offrant des promesses vides et des récits erronés, alors même que deux commandements régionaux étaient assiégés et que sa famille se livrait à une corruption incessante.

Bikinis et bombes

Ironie du sort, Min Aung Hlaing, chef de la junte, a choisi de célébrer la Journée mondiale du tourisme le 27 septembre en invitant les ministres et les agences de tourisme à « stimuler les secteurs du tourisme et à communiquer aux voyageurs des informations fiables sur la sécurité des voyages dans les destinations du Myanmar ».

La zone de guerre grandissante au Myanmar entraîne la mutation des sites touristiques en champs de bataille. En juillet, deux mois seulement avant que Min Aung Hlaing ne déclare que les voyages ne présentaient plus aucun danger au Myanmar, ses forces perdaient la plage de Ngapali, de renommée internationale, dans l’État de Rakhine, face à l’armée de l’ethnie Arakan (AA) [fr].

Le semblant de normalité promu par Min Aung Hlaing est mis à mal par la perte de deux quartiers généraux de commandement régional cette année, dans le nord de l’État de Shan et à Rakhine – des revers sans précédent dans l’histoire de l’armée du Myanmar.

La contre-offensive promise ne vient pas

En août, lorsque le chef de la junte est finalement sorti de sa forteresse de Naypyitaw [fr] pour se rendre à Mandalay [fr], il a fait le serment de reconquérir les territoires perdus à Rakhine, à Kachin et dans le nord de l’État de Shan, réitérant ainsi une promesse faite lors de la journée des forces armées en mars dernier.

Seulement quelques semaines plus tard, le régime a vu son commandement du nord-est, situé à Lashio, capitale de l’État Shan, près de la frontière chinoise, confisqué par des organisations armées ethniques.

Alors que la Chine a ouvertement réaffirmé son soutien à un régime responsable de la mort de milliers de civils en trois ans, la junte a intensifié sa campagne aérienne contre les zones tenues par la résistance dans les États ethniques et dans le centre du Myanmar, promettant de rétablir la normalité.

Toutefois, la campagne aérienne a échoué à renverser la vapeur, l’armée de l’Arakan s’emparant du siège du commandement occidental dans la ville d’Ann au Rakhine en décembre, et les groupes armés ethniques et leurs alliés progressant pour s’emparer d’autres positions de la junte dans les États Karen, Chin et Kachin.

Bien loin de rétablir la stabilité, le régime a essuyé une nouvelle année de pertes territoriales. Le gouvernement civil parallèle d’unité nationale a fait savoir en août que la junte contrôlait moins de 100 villes sur les 350 que compte le pays. Quant aux 250 autres, 75 ont été conquises par des groupes anti-régime, 105 sont encerclées par des groupes anti-régime, 75 font l’objet de combats et 98 villes sont toujours sous le contrôle du régime.

Préserver l’esprit de famille

Au cours d’une interview avec les médias russes à Yangon le 18 mars, Min Aung Hlaing a été interrogé sur les enseignements qu’il transmettra à ses enfants. Sa réponse risque bien de devenir la blague la plus amusante de l’année 2024 au Myanmar : le chef de la junte affirmait avoir transmis à ses enfants les valeurs du travail et de l’honnêteté.

Même s’il est officiellement rémunéré comme fonctionnaire, Min Aung Hlaing est propriétaire de luxueuses demeures dans les quartiers aisés de Yangon, de Naypyitaw et de Pyin Oo Lwin. Son fils, Aung Pyae Sone, et sa fille, Khin Thiri Thet Mon, ont aussi tiré parti du pouvoir et des relations de leur père, en amassant des richesses grâce à des entreprises dans les domaines de la pharmacie, des hôpitaux, de la construction, des hôtels, des transports, de la production cinématographique, du divertissement, de l’assurance, des télécommunications, des galeries d’art, des restaurants et des installations sportives.

Aung Pyae Sone a largement profité des programmes militaires, notamment de l’achat d’armes et de la fourniture d’uniformes. En outre, chaque soldat est tenu de souscrire une assurance-vie auprès de la compagnie d’assurance Aung Myint Moh Min d’Aung Pyae Sone, soulignant ainsi la cupidité de Min Aung Hlaing et de sa famille.

Afin de répondre plus justement à la question du journaliste russe, Min Aung Hlaing a transmis à ses enfants le raccourci leur permettant de devenir des acolytes privilégiés et d’exploiter leurs prérogatives à des fins d’enrichissement personnel.

Artillerie : la fanfaronnade fait pschitt

Min Aung Hlaing a fait l’éloge du corps d’artillerie de l’armée, lors des célébrations de son 75ème anniversaire à Naypyitaw le 3 février, en déclarant qu’il était fier de sa capacité à atteindre des « cibles ennemies avec une précision absolue, partout et à tout moment ».

Par « cibles ennemies », il entend apparemment les populations civiles : son corps d’artillerie a infligé peu de dégâts aux groupes anti-régime tout en semant la mort et la destruction parmi les civils, les maisons, les écoles et les hôpitaux au cours des trois dernières années.

Lors des batailles dans le nord des États de Shan, Chin, Rakhine et Karenni (Kayah), les forces de la résistance ont non seulement saisi des armes légères et des munitions, mais aussi de l’artillerie lourde, comme des obusiers, dans les bases de la junte défaite. Ces armements sont désormais utilisés contre la junte.

Dans le Rakhine, l’AA (armée de l’ethnie Arakan) a fait usage de l’artillerie saisie contre le régime, et a attaqué le siège de son commandement occidental dans le township d’Ann, pour finalement s’en emparer au début de ce mois.

Min Aung Hlaing n’a pas dû apprécier la vidéo diffusée par l’AA le 26 décembre, dans laquelle on voit ses combattants tirer des mortiers et des pièces d’artillerie pour s’emparer du QG du commandement occidental. Le clip diffusé sur les réseaux sociaux était légendé « L’arme de l’ennemi est notre arme ».

La propagande réduite en cendres

Après que l’armée de libération nationale de l’ethnie Ta’ang (TNLA) [fr] a proclamé sa prise de la ville de Mogoke [fr], dans la région de Mandalay, fin juillet, en montrant des photos d’habitants en liesse saluant l’arrivée de ses troupes dans le célèbre « Ruby Land », le régime s’est efforcé de rejeter cette information en la qualifiant de « propagande chorégraphiée ». Parallèlement, les informations selon lesquelles les soldats de la junte auraient capitulé massivement dans la région de Lashio, au nord de l’État Shan, ne sont que de vagues rumeurs, selon l’organisation. Les troupes sur place ne faisaient que se « regrouper tactiquement », a insisté le major général Zaw Min Tun, porte-parole de la junte.

La ville de Mogoke, située à la frontière entre Mandalay et le nord de la province de Shan, est toujours sous le contrôle de l’Armée nationale de libération du peuple. Entre-temps, Lashio et son commandement nord-est sont tombés début août, quelques jours seulement après que le service d’information du régime a rejeté les rapports de reddition en les qualifiant de rumeurs.

En novembre dernier, lorsque l’armée de l’Alliance démocratique nationale du Myanmar (MNDAA) [fr] a pris Kunlong, dans le nord de la province de Shan, lors de la première phase de l’opération 1027, le régime a prétendu que les troupes de la MNDAA s’étaient simplement infiltrées dans la ville pour y prendre des photos. Le régime a rapidement gardé le silence lorsque la MNDAA a publié des images de ses troupes déambulant dans les bases des bataillons de la junte à Kunlong. La ville demeure sous le contrôle du MNDAA.

Il serait peut-être plus juste de qualifier le porte-parole de la junte de « menteur en chef ».

Les gardiens du bouddhisme assassinent un moine

Le 19 juin, les troupes du régime ont exécuté le moine bouddhiste Sayadaw Bhaddanta Munindabhivamsa près de l’aéroport de Tada-U, dans la région de Mandalay, après que sa voiture a refusé de s’arrêter à un poste de contrôle, marquant ainsi ce qui pourrait bien être la plus grave bavure du régime pour 2024. Les responsables de la junte ont aussitôt imputé l’assassinat de ce moine aux Forces de défense du peuple (PDF) [fr], hostiles au régime.

Toutefois, un moine qui accompagnait Bhaddanta Munindabhivamsa a assisté à l’incident et s’est courageusement manifesté pour révéler la vérité : ce sont des soldats de la junte qui ont tiré les coups de feu. Cette bombe a fait chanceler la junte, poussant Min Aung Hlaing à présenter des excuses publiques, en personne.

Alors que les militaires, se présentant comme les gardiens et les protecteurs du bouddhisme, étaient confrontés à la fureur des moines et des laïcs, l’influent moine pro-junte Sitagu Sayadaw a porté secours à la communauté monastique en l’exhortant à pardonner et à oublier.

Des distinctions données à des voleurs

Soucieux de se présenter comme le chef d’un gouvernement légitime, Min Aung Hlaing a détourné le système d’honneur du pays en distribuant des récompenses à des loyalistes, à des partisans potentiels, à des artistes, à des soldats et à des policiers. Depuis le coup d’État, le chef de la junte a multiplié les titres honorifiques et les médailles comme des bonbons, les vidant de leur sens, certains lauréats se voyant même décerner la même médaille plusieurs fois.

Par ailleurs, d’autres ont été déchus par le régime des distinctions honorifiques accordées à la hâte. Moe Myint Tun, membre du Conseil d’administration de l’État, et Soe Htut, ministre de l’Intérieur, ont ainsi perdu leurs titres après un scandale lié à la corruption. L’actrice Khine Thin Kyi, qui a participé à de nombreux films de propagande sous la junte précédente, s’est vu confisquer sa médaille d’excellence dans le secteur social (deuxième catégorie) pour avoir laissé entendre qu’elle n’était pas enchantée de la distinction reçue des mains du régime.

Au bord de l’effondrement ?

L’armée est perçue comme l’institution la plus forte du Myanmar depuis l’indépendance du pays en 1948, et les livres d’histoire, écrits par des officiers à la retraite, se targuent de ses victoires contre les rebelles dans les États ethniques.

Tout a changé le 31 janvier de l’année dernière, lorsque Min Aung Hlaing s’est plaint, lors d’une réunion du Conseil national de défense et de sécurité, que ses troupes étaient surpassées par des forces ethniques, disposant d’une technologie avancée en matière de drones, dans le nord de l’État de Shan.

Pour un homme se vantant de son « armée moderne et traditionnelle », cet aveu n’est rien moins que honteux.

L’armée du Myanmar bénéficie d’un avantage considérable en termes d’effectifs et d’armement face aux groupes de résistance qu’elle combat. Elle jouit également d’une supériorité aérienne totale, étant la seule belligérante de la guerre civile dotée d’une force aérienne. Ses défaites militaires constantes remettent donc sérieusement en question la compétence de « l’armée classique » de Min Aung Hlaing. Tous ces éléments conduisent à une seule conclusion : « L’ armée dite classique » de Min Aung Hlaing est fondamentalement défaillante et inefficace.

Écrit par: Viewcom04

Rate it