En ce 16 octobre 2024, jour fort symbolique dans la vie politique haïtienne, nous vous invitons à lire cet article que notre collaborateur au « Rezo Nòdwès », Dr Arnousse Beaulière, a publié, il y a dix ans, dans les colonnes du « Huffington Post France ». La présente version a été très légèrement revue sur la forme.
« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », dixit Aimé Césaire. Alors, en ce 16 octobre 2014, jour d’anniversaire des 20 ans du « retour à l’ordre constitutionnel » en Haïti, après le coup d’État militaire du 30 septembre 1991, il est important de rappeler certains événements majeurs survenus dans la première moitié des années 1990. Lesquels ont marqué, pour toujours, la conscience citoyenne et politique de nombreux Haïtiens aussi bien en Haïti que dans la diaspora.
16 décembre 1990 : Jean-Bertrand Aristide, candidat du Front National pour le Changement et la Démocratie (FNCD) a été le premier Président haïtien élu démocratiquement à 67 % des voix, battant, ainsi, à plate couture l’économiste et financier, Marc Bazin, candidat des institutions financières internationales et du monde des affaires (déjà à l’époque, il était question de « Haiti is open for business » chez les partisans de celui-ci !).
7 février 1991 : investiture du nouveau président de l’ère démocratique post-duvaliérienne, en présence, notamment, de Danielle Mitterrand, épouse du président français de l’époque, François Mitterrand.
30 septembre 1991 : coup d’État sanglant des Forces armées d’Haïti (FAD’H), avec à sa tête, le Général en chef Raoul Cédras, soutenu par la « bourgeoisie la plus répugnante du monde » – ainsi que la qualifie la presse américaine – et des puissances étrangères bien connues. Un putsch qui « est venu amplifier la crise chronique qui secouait déjà Haïti depuis plusieurs années », selon Xavier Leus, Représentant de l’OPS/OMS en Haïti entre 1988 et 1993.
15 octobre 1994 : soit 3 ans et 16 jours plus tard, le président haïtien est revenu d’exil, grâce à une intervention militaire américaine sous l’administration Clinton. Le but étant de restaurer la démocratie.
Le 16 octobre 1994 a été considéré comme le jour du retour à l’ordre constitutionnel, une victoire pour tous ceux qui luttent constamment pour « préserver les acquis démocratiques obtenus par des sacrifices des uns et des autres », pour reprendre la formule du journaliste et essayiste Philomé Robert[1]. Mais, en réalité, à bien des égards, la Constitution haïtienne a été bafouée, une nouvelle fois. En effet, alors qu’elle prévoit un mandat de 5 ans non renouvelable pour le président de la République, Jean-Bertrand Aristide n’aura passé finalement qu’un peu moins de deux ans au pouvoir : environ 8 mois avant le coup d’État et près de 12 mois après. Il a donc effectué un mandat tronqué, sous pression de la même communauté internationale qui l’a pourtant aidé à rentrer au pays. Ce qui, de fait, l’a empêché de mettre en œuvre le programme politique pour lequel il a été magistralement élu par le peuple haïtien. Un programme fondé, entre autres, sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités socio-économiques pour promouvoir la justice sociale, et sur la lutte contre la corruption et l’impunité en vue de doter Haïti d’un véritable État de droit.
Mais, hélas, depuis ce terrible coup d’État du 30 septembre 1991, où le rêve de tout un peuple a été brisé, rien ne sera plus jamais comme avant !
Le pays, mis sous embargo, le 8 octobre 1991, par la communauté internationale pour faire tomber les putschistes, a été doublement puni, car, comme on le sait, cet embargo a surtout frappé les plus faibles et profité aux riches. Tous les secteurs de la vie sociale ont été touchés. C’est le cas du système de santé qui a subi de plein fouet les conséquences de cette crise. En effet, selon Christine Tardif, en 1994, « la crise a atteint son point culminant avant que l’intervention armée américaine ne chasse les militaires du pouvoir »[2]. Enfin, le pays se trouve depuis la fin des années 1980, et particulièrement depuis la période de crise 1991-1994, dans une impasse politique, économique et sociale du fait, entre autres, de la mise en place des programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Bref, du rêve, on est passé à un cauchemar sans fin dont les victimes ne sont évidemment pas cette minorité que le journal Le Monde appelle « Les nantis d’Haïti » – ces fameux 3 % de possédants qui gèrent 80 % de l’économie du pays – ni le personnel politique corrompu jusqu’à la moelle qui brille tant par son amateurisme, son incompétence que par son cynisme, mais bien la majorité des Haïtiens. Ces millions de familles qui doivent, tous les jours, se battre. Pour joindre les deux bouts, pour « bat dlo pou fè bè » ! Pour sortir, enfin, de cette « insupportable souffrance » dont parle le penseur afro-américain, Randall Robinson[3] !
Dr Arnousse Beaulière
Économiste, analyste politique, écrivain
Paris, le 16 octobre 2024
Dernière parution : À Mots cadencés, Librinova (numérique), 2023. (3,99€)
[1] Haïti Monde N°4, Février 2014.
[2] Christine Tardif, Regard sur l’humanitaire : une analyse de l’expérience haïtienne dans le secteur de la santé entre 1991 et 1994, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 26.
[3] Randall Robinson, Haïti : l’insupportable souffrance, Paris, Alphée, 2010.
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