L’Edito du Rezo
La participation des femmes au vote, acquise et reconnue en droit, ne suffit pas à qualifier Haïti de démocratie. Le pays évolue davantage dans un contexte de démocratie interrompue, de souveraineté fragmentée, et d’institutions vacantes. Du point de vue strictement juridique, Haïti fonctionne sans les mécanismes fondamentaux qui définissent un régime démocratique minimal.
La Primature a lancé en grande pompe une « campagne de mobilisation des femmes pour les élections ». Soleil, discours, ruban rose, caméras… et au centre de la scène, un Premier ministre très inspiré, Alix Didier Fils-Aimé, proclamant avec aplomb :
« Pa gen demokrasi san fanm. »
Belle phrase. Musicale. Twitter-friendly. Le genre de slogan qui ferait pleurer un consultant en communication.
Sauf que voilà : pour qu’il n’y ait pas de démocratie sans les femmes, il faudrait d’abord… une démocratie.
1. Haïti, 1950 : les femmes obtiennent le droit de vote. La démocratie, elle, rate encore le bus.
En 1950, Haïti introduit le suffrage universel direct. Les femmes entrent dans l’équation. Le pays aurait pu avancer. Mais non.
Depuis, combien d’élections dignes de ce nom ?
On pourrait presque les compter sur les doigts d’un manchot.
Les rares scrutins acceptables sont entourés d’une mer de coups d’État, de fraudes, de procès-verbaux qui disparaissent plus vite qu’un fonctionnaire un vendredi à 3 h 55.
2. Le CEP ? Disparu. Le registre électoral ? Transformé en puzzle géant.
Pour organiser une élection sérieuse, il faut un organisme crédible.
Haïti n’en a plus.
Il faut un registre électoral fiable.
Haïti a… 800 000 doublons, des cartes fantômes, et des données qui datent de trois administrations et demie.
Même Google aurait renoncé à faire une mise à jour.
Et c’est dans cet environnement que la Primature annonce fièrement la « mobilisation des femmes ».
Très bien. Mobilisons-les.
Mais pour voter où ? Dans quel bureau ? Sous la protection de quelle force publique ? Avec quels bulletins ?
3. « Pa gen demokrasi san fanm » : un slogan idéal pour décorer les bureaux… pas pour décrire la réalité
Fils-Aimé a raison sur un point : aucune démocratie n’existe sans les femmes.
Le problème, c’est que Haïti n’existe pas comme démocratie.
Les femmes y votent depuis 75 ans ; le pays, lui, cherche encore son premier cycle électoral complet, sans effondrement, sans gangs, sans annulation, sans résultats bricolés à l’aube.
Chaque fois qu’un gouvernement parle d’« élection », c’est comme si un mécanicien sans outils parlait de changer un moteur : beaucoup d’assurance, pas beaucoup de matériel.
4. Le vrai message caché du slogan
En réalité, « Pa gen demokrasi san fanm » signifie probablement :
— Nous n’avons ni démocratie, ni élection, ni CEP, ni registre électoral, mais voilà un slogan qui fera diversion.
C’est joli, ça passe bien en conférence, et ça permet d’éviter la question qui fâche :
Quand Haïti a-t-il connu une démocratie fonctionnelle ?
Spoiler : pas du vivant de Fils-Aimé, pas du vivant de ses prédécesseurs, et pas du vivant des registres électoraux actuels.
La démocratie sans les femmes n’existe pas. Très juste.
En Haïti, la démocratie avec les femmes… n’existe pas non plus.
Reste le slogan : brillant, vide, pratique.
Si le gouvernement veut vraiment faire plaisir aux femmes, il pourrait commencer par leur offrir un pays où les urnes ne sont pas gardées par des gangs, où les résultats ne sont pas négociés dans des salons, et où les élections ne ressemblent pas à un jeu de hasard supervisé par la météo.
Jusque-là, la seule chose vraiment démocratique en Haïti, c’est la manière dont le chaos touche tout le monde.
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