L’ampleur des violences ourdies par les gangs en Haïti, notamment dans la nuit du dimanche au lundi 11 novembre, ne peut être comprise comme un simple débordement criminel. Au-delà des actes de terreur, qui ont littéralement empêché la population de descendre dans la rue, c’est un tissu de manipulations politiques et d’intérêts cachés qui se dessine, remettant en cause les fondements mêmes de l’autorité et de la sécurité dans le pays. Ce constat permet de poser un certain nombre de questionnements critiques, tant sur l’inefficacité de l’Etat que sur les influences occultes qui structurent cette violence.
- Le rôle politique des gangs : un outil de pression ?
Au sein de la société haïtienne, les gangs apparaissent comme les exécutants d’un jeu de pouvoir complexe, où leur existence est apparemment ancrée dans une dynamique politique implicite. En effet, au moment même où le Conseil Présidentiel de Transition déposait Garry Conille, les gangs investissaient la capitale, instaurant un climat de terreur et d’interdiction tacite à l’égard de la population. Il ne s’agit pas d’une coïncidence. Les gangs sont en quelque sorte utilisés pour créer un état d’urgence permanent, affaiblissant l’autorité légale et renforçant la dépendance indirecte à l’égard de ces acteurs armés. S’agit-il alors d’acteurs indépendants ou de marionnettes d’intérêts supérieurs ?
A-t-on affaire à des gangs qui servent leurs propres intérêts ou qui obéissent à des ordres plus subtils ? Certains observateurs estiment que l’objectif implicite de ces groupes armés est de faire pression sur les pouvoirs en place, voire de maintenir un statu quo où la violence et la peur profitent à certains dirigeants politiques. Ce climat de terreur devient alors un instrument de contrôle social, empêchant la résistance populaire et limitant l’action citoyenne.
- L’absence des forces de sécurité : un vide volontaire ou une incapacité chronique ?
La problématique de la sécurité en Haïti devient de plus en plus récurrente, non seulement en raison de la montée des gangs, mais surtout en raison de l’absence répétée des forces de l’ordre dans les moments critiques. En effet, ni la police nationale, ni les forces de sécurité internationales (notamment la présence kenyane déployée récemment) ne se sont manifestées pour protéger la population lors des violences du 11 novembre. Ce renoncement à la sécurité interpelle : traduit-il une incapacité réelle ou une stratégie délibérée pour faciliter le jeu de certaines forces externes ?
Cette inaction de l’appareil sécuritaire pourrait indiquer une complicité passive, voire une volonté délibérée de laisser les gangs semer la terreur, ce qui nourrirait les intérêts de ceux qui tirent profit du chaos. Cette absence de réponse des forces de sécurité pourrait aussi laisser entendre que certaines factions politiques ou économiques, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, préfèrent un climat de chaos contrôlé plutôt qu’un véritable retour à la paix et à la stabilité. En ce sens, les gangs seraient perçus moins comme des criminels autonomes que comme des agents de pression dans un jeu géopolitique complexe, où la sécurité devient une marchandise négociable.
Une dimension internationale complexe : Haïti, terrain d’expérimentation ?
Le rôle des acteurs internationaux, surtout dans la gestion de la crise sécuritaire haïtienne, doit également faire l’objet du plus grand intérêt. L’implication des troupes kenyanes dans le processus de paix en Haïti reflète la dimension internationale de la crise, où les dynamiques de pouvoir à l’intérieur du pays sont influencées, voire exacerbées, par des intérêts étrangers. La lenteur du déploiement des forces de l’ordre et l’apparente incapacité de ces forces internationales à apporter des solutions durables font ressortir le caractère paradoxal de la gestion de la crise.
Au-delà de la simple assistance humanitaire, Haïti est devenu un laboratoire pour tester de nouvelles stratégies sécuritaires et diplomatiques. La présence de forces étrangères pourrait, dans ce contexte, en effet se comprendre comme une réponse à des enjeux géostratégiques, dont la sécurité intérieure du pays ne serait qu’une conséquence secondaire. La multiplicité des acteurs impliqués, qu’il s’agisse de diplomates, d’ONG ou de missions de maintien de la paix, contribue à compliquer la situation, chaque groupe poursuivant des objectifs souvent divergents et parfois contradictoires.
La gouvernance sous pression : vers une redéfinition de l’autorité ?
Compte tenu de ces enjeux multiples, le débat sur la gouvernance en Haïti se pose avec acuité. La violence des gangs, l’inaction des forces de sécurité et les manipulations politiques témoignent d’une vacance du pouvoir qui fragilise encore davantage l’État haïtien. Mais cette situation n’est-elle pas le reflet d’une gouvernance défaillante, incapable de rétablir l’ordre et d’imposer sa légitimité face à des forces internes et externes qui lui font systématiquement obstacle ? Au-delà de la simple incapacité à assurer la sécurité, se pose plus largement la question de l’autorité de l’Etat, dans un contexte où toutes les factions, qu’elles soient politiques, économiques ou criminelles, semblent se disputer le contrôle du pays.
Loin de se réduire à une lutte pour la survie entre gangs et forces de l’ordre, cette crise sécuritaire ressemble avant tout à une bataille pour la définition du pouvoir en Haïti. Les institutions existantes sont-elles capables de répondre de manière cohérente et efficace, ou sommes-nous condamnés à assister à la décomposition progressive de l’Etat et de la société haïtienne ? Les réponses à ces questions conditionneront non seulement l’avenir de la gouvernance en Haïti, mais aussi celui du pays dans son ensemble.
Au bout du compte, la violence des gangs ne peut pas être interprétée comme une simple manifestation du chaos. Elle est le reflet d’une guerre invisible, menée par des forces politiques et économiques qui manipulent les ressorts de l’insécurité pour servir des objectifs plus larges. Dans ce contexte, Haïti fait figure de terrain de jeu pour des acteurs locaux et internationaux qui, sous couvert de faire régner l’ordre, contribuent à la propagation du chaos. Il est plus que jamais impératif de repenser l’approche internationale et nationale de cette crise, afin de jeter les bases d’une véritable reconstruction de la gouvernance et de la sécurité dans le pays.
The post Qui tire réellement les ficelles des gangs en Haïti ? first appeared on Rezo Nòdwès.