Discours du Recteur Fritz Deshommes lors du lancement de la Chaire de Droit Monferrier Dorval
Le Conseil Exécutif de l’Université d’Etat d’Haïti est heureux de procéder ce matin au lancement de la Chaire de Droit Constitutionnel Monferrier Dorval de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques.
Le Conseil Exécutif vous remercie de votre présence à cet événement majeur qui marque une initiative tout aussi majeure, laquelle ambitionne de nous porter à changer nos regards, nos comportements, nos pratiques par rapport à nos lois-mères, à nos lois et règlements en général.
Il y a exactement 37 ans et 5 mois, notre peuple était en liesse. C’était un 29 mars, un dimanche de l’an de grâce 1987. Tout de blanc vêtus, nous allions à la fête, celle de la nouvelle Constitution, creuset et expression de la Nouvelle Haïti, telle que visualisée par le vaste mouvement démocratique et populaire de l’après-1986. Un nouveau pays était en gestation, où les droits civils et politiques, les droits économiques et sociaux, les droits culturels, les droits linguistiques de tous les citoyens étaient garantis, où le néo-libéralisme triomphant semblait recevoir son coup de grâce, et où la promotion des valeurs, de la vision, de l’indépendance et de la souveraineté nationales était à l’honneur. À la fin de cette journée mémorable, le peuple entier se donnait un satisfecit, fort de ses 99,9% de votes positifs en faveur de la Nouvelle Charte Fondamentale.
Pourtant, 20 ans après, c’est un ancien dirigeant du Groupe « Onè Respè pou Konstitisyon an », devenu président de la République, qui amorçait la mise à mort de la même Constitution. Il n’hésitera pas à nous apprendre doctement et sans nuances que la Constitution représentait notre plus grand ferment d’instabilité, de blocage, de malheurs et de régression. Et depuis, les coups de massue pleuvent contre cette Constitution jusqu’à ce que toute la classe politique – ou presque – se retrouve à réclamer les uns sa révision substantielle, les autres son remplacement urgent, plusieurs sa mise au rancart inéluctable. Jusqu’à ce que ce soient des dirigeants et des dirigeantes d’agences étrangères qui prendront la tête de cette croisade. Jusqu’à ce qu’il soit admis que, dans ce pays rongé par l’insécurité, le chômage, la déprime économique, la misère, la désespérance, parmi les priorités de l’heure figure impérativement la Réforme Constitutionnelle, le changement de Constitution, l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Rares sont ceux qui remarquent que cette Constitution, que l’on s’évertue à clouer au pilori, n’a été appliquée qu’à moins de 10%. Que, 37 ans après sa promulgation, la Réforme Agraire, la scolarisation universelle, la décentralisation, la construction d’un État fort, légitime, démocratique, souverain demeurent des vœux pieux. Encore plus rares sont ceux qui se rendent compte que le Projet de Société consacré par la Constitution de 1987 a depuis belle lurette cessé d’être la référence des uns et des autres. Ou que le néo-libéralisme, que cette Constitution était appelée à combattre, a pu briller de tous ses feux et de toutes ses lumières. Très peu se rendent compte des manœuvres souvent grossières mises en œuvre pour refuser, pour éviter l’application de la Charte Fondamentale. Ou même de l’inadéquation entre la version amendée votée par le Parlement dans les conditions que l’on sait et celle promulguée en 2012.
Le fait est que, pour la plupart de ceux qui évoquent la Constitution de 1987, il faut s’en débarrasser au plus vite, par tous les moyens. Sans se soucier des procédures établies. Sans s’interroger sur la validité ou l’obsolescence du Projet de Société qu’elle incarne. Mais sans non plus se soucier de savoir si la Nouvelle Charte qu’on appelle de tous ses vœux sera elle-même appliquée.
Nous voilà donc prêts à ouvrir une Boîte de Pandore dont nous sommes loin de connaître les tenants, les aboutissants, le résultat final.
Mais il y a pire. L’histoire ici racontée n’est pas nouvelle en pays d’Haïti. C’est en effet un épisode de plus de nos relations avec nos Constitutions. Votées dans l’allégresse, elles finissent toujours dans l’opprobre après être accusées de tous les maux et surtout après avoir fait l’objet de manœuvres les plus grossières destinées à éviter leur mise en œuvre concrète. Et souvent, leurs plus grands détracteurs ne sont autres que leurs géniteurs ou leurs laudateurs. Une constante de notre histoire, depuis la Constitution de 1806 d’Alexandre Pétion jusqu’à celle qui nous concerne aujourd’hui, en passant par toutes les 30 autres que notre pays a connues au cours de son existence.
Voilà l’une des raisons fondamentales de la création de cette Chaire de Droit Constitutionnel : nous affranchir de cette schizophrénie politique qui nous empêche d’être sérieux avec nous-mêmes et avec les autres, qui nous empêche d’être tenus par nos promesses, qui nous empêche de dire ce que nous faisons et de faire ce que nous disons.
Il est donc plus que jamais nécessaire que notre université accompagne le débat en perspective sur la question constitutionnelle, permette aux uns et aux autres de s’y retrouver, sauvegarde les acquis de nos combats démocratiques comme peuple, comme nation, et fasse en sorte que la Charte Fondamentale qui doit nous régir soit à la mesure de notre histoire, de notre essence et de nos apports à l’humanité. Mais surtout, que désormais nos engagements constitutionnels ne vivent plus l’espace d’un cillement, rapidement suivis de désenchantement et de désillusion.
Tant il est vrai que cette Chaire est appelée à durer, à perdurer, à encadrer non seulement l’accouchement du présent, mais aussi à jouer un rôle constant d’observation et de vigie dans sa mise en œuvre, dans la cohérence à maintenir entre les différents niveaux de législation et de réglementation, entre la Charte Fondamentale et les politiques publiques, entre la promesse des fleurs et les fruits à obtenir.
Tant il est également vrai que les questions constitutionnelles ne devraient pas être l’affaire des seuls constitutionnalistes ou des seuls juristes. Les sociologues, les anthropologues, les économistes, les psychologues, les spécialistes de la gestion, des sciences politiques, et toute la panoplie des domaines du savoir devront être mis à contribution pour éviter que perdure ce qu’il serait convenu d’appeler « le mal constitutionnel de la République d’Haïti ». À ce sujet, je lance un appel aux professeurs de l’UEH, de tous les domaines, de toutes les disciplines, mais aussi aux professionnels et chercheurs de tous horizons pour qu’ils apportent leur pierre à la construction de cet édifice dont nous posons la première pierre aujourd’hui.
Et l’exemple en ce sens nous est déjà donné par celui dont la Chaire porte le nom, ce juriste chevronné, ce Bâtonnier hors pair, ce patriote convaincu que nous honorons aujourd’hui, Me Monferrier Dorval, dont nous pleurons aujourd’hui encore la disparition. Il n’est pas superflu de rappeler que Me Dorval avait acquis de solides bases en Sociologie avant d’embrasser le Droit et qu’il s’en était toujours félicité au point d’avoir tenu à garder, en dépit de ses multiples obligations, une chaire à la Faculté des Sciences Humaines en reconnaissance à son premier Alma Mater.
Nous tenons à saluer le travail du Décanat de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques, du Président et du Vice-Président du Comité Scientifique qui sont déjà à pied d’œuvre. Nous remercions les membres des différents organes de la Chaire qui ont spontanément accepté d’en faire partie et de travailler à son succès.
D’ores et déjà, nous tenons à affirmer que la Chaire est ouverte à tous les compatriotes de tous bords, de tous secteurs, pour des échanges fructueux et constructifs. Elle est également disponible pour tous les partenariats avec des institutions nationales et internationales, publiques et privées, intéressées par la question.
Avant de terminer, permettez-moi, chers collègues, chers amis, de lancer encore une fois un appel pressant aux autorités concernées pour rappeler que plusieurs de nos Facultés sont encore fermées, qu’elles ont été victimes d’actes de pillage et de vandalisme, et que jusqu’à présent, nous ne bénéficions pas encore des conditions pour effectuer ni constat, ni évaluation, encore moins penser à leur réhabilitation et leur rééquipement. Il y a quelques minutes, je viens d’apprendre que la Faculté des Sciences continue à être pillée. D’ores et déjà, un merci anticipé aux autorités pour leur diligence.
Entretemps, souhaitons longue vie à la Chaire de Droit Constitutionnel Monferrier Dorval de la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de l’UEH.
Je vous remercie de votre attention.
20 août 2024
Fritz Deshommes, Recteur
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