Il semble qu’il faut être fou pour dire la vérité et rien que la vérité dans ce pays où l’on a l’impression que les gens deviennent de plus en plus amnésiques de ce qu’ils sont, de leur vie, leur trajectoire et de leur histoire. C’est sans doute pourquoi le thème folie jonche autant l’histoire de la littérature haïtienne car les auteurs sont légion à l’aborder chacun à leur façon… bien entendu. Pour sa part, Chauvet, (1968) interroge la folie pour se rendre compte, se donner une mesure dans tout ce qui se dit, s’écrit, se joue et se risque dans la création. Dans le sillon de Marie Chauvet, le poète Marc Exavier dans son troisième recueil de poésie paru en 1994 nous dit en toute poésie « il y si peu de fous pour tant de folies », c’est là une invitation à inventer et créer au sens de ce que Stéphane Martelly explique dans sa thèse doctorale – la folie est voyance et fêlure essentielle par laquelle il est possible de voir autre chose admirablement, la folie est tout à la fois (Martelly 2014).
Dans d’autres textes littéraires, la folie est perçue aussi comme la marge. Lyonel Trouillot dans les dits du fou de l’ile par exemple dit à sa manière à lui seul connue combien la séparation et l’impossible réunion dans l’amour de l’autre emportent les êtres dans le désengagement de soi, autrement dit, il pose le problème de l’insularité en ce sens qu’il serait inconcevable de désirer quitter les lieux et d’inscrire son destin dans une autre terre (Congolo 2020). Autre texte traitant de la folie, les Dix Hommes Noirs dont les critiques haïtiens ont longtemps épilogué autour du contenu. Cette seconde œuvre d’Etzer Vilaire est un long poème de 802 vers qui raconte le destin de dix jeunes vêtus de noir scandant leur désespoir et le récit est clos sur un suicide collectif et la folie de Franck, le dernier personnage donc, le dixième.
La folie est aussi une thématique privilégiée chez Gary Victor dans son livre « A l’angle des rues parallèles » ou il met en scène un jeune qui projette d’assassiner un ministre des Finances qui serait responsable de son licenciement. La folie est vue dans ce contexte comme une pathologie qui témoigne de la marginalité où elle est allégorisée. En guise de littérature enfin, Marie Celie Agnant nous amène dans un hôpital psychiatrique avec le livre d’Emma où le personnage principal est accusé d’assassiner son enfant. Elle ne parle que le Créole avec son Psychiatre qui, ne comprenant rien du tout, était obligé de lui donner une interprète avec qui elle va s’entretenir pour finalement se suicider.
De l’hôpital à un asile psychiatrique, Daniel-Gerard Rouzier nous conduit avec son livre Mémoires d’un fou dans un décor où vit toute la conjugaison des choses humaines qui ressemble à ce que décrit Lyonel Trouillot dans les fous de St Antoine à l’avenue Poupelard. Une fois, j’ai vécu cette ambiance dans un corridor non loin de l’église. A 3 heures de l’après-midi, toutes les maisonnettes branchaient des stations différentes et c’est alors que j’ai compris qu’il y avait beaucoup plus de radios que de fréquences sur la bande FM. Dans cette allée, les enfants se baignent nus et l’odeur de toutes les nourritures des plus épicées se confondaient jusqu’à provoquer la nausée.
Mémoires d’un fou de Daniel Rouzier est un roman historique ou presque tout se passe parait-il au Mars and Kline, l’Hôpital psychiatrique de la rue Oswald Durand, à mon avis, un peu moins sale que d’habitude. L’auteur prend la folie pour tremplin pour nous offrir un spectacle auquel on n’assiste pas souvent mais qui demeure dans l’ordre des choses possibles où un Médecin, une Mambo, une étudiante, un prêtre catholique et un patient schizophrène se parlent entre eux mais ce dernier les captive tellement que la scène devient de plus en plus belle, il a une mémoire d’éléphant, il semble savoir ce qu’il dit. Au gré de sa mémoire, il conduit ses interlocuteurs à la découverte de la grandeur de l’histoire d’Haïti dont l’enseignement se fait encore au rabais au pays. Il arrive souvent que l’on ne connait pas son histoire même après des études de génie, de médecine ou encore même de littérature, mais cependant on connait Voltaire, on connait Rousseau, Chateaubriand et qui d’autres encore.
Dans ce livre de Daniel-Gerard Rouzier intitulé Mémoires d’un fou, la folie apparait plutôt comme un prétexte pour dire la vérité autour de son histoire, saisir la portée de l’anthropologie et vivre la sociologie d’Haïti. Qui d’entre nous savait qu’il y a eu un camp de concentration au pays pendant l’occupation américaine ? Jusque-là, on nous raconte peu, on garde le reste à telle fin que l’on n’oserait même pas imaginer. Mémoire d’un fou est une plaidoirie pour Bois Caïman où pour la première fois en public un Prêtre dit qu’il n’y a rien de diabolique qui s’est passé dans la nuit du 21 au 22 Aout 1791. Le sang de l’animal offert en sacrifice trouve son sens dans les explications on dirait une invitation à reprendre la cérémonie pour mieux faire.
Moro, le fou est un personnage extraordinaire, fabuleux même. Il est arrivé sur l’ile avec Christophe Colomb, il a assisté à la cérémonie du Bois Caïman et à la bataille de Vertières. Mais que de choses voulait nous raconter Daniel-Gerard Rouzier, la folie n’aura été jamais autant utile que dans cet ouvrage de (430) quatre cent trente pages et de (36) trente-six chapitres.
Les temps sont difficiles au pays, on ne lit pas de plus en plus, les bibliothèques sont fermées mais quiconque voudrait s’offrir une merveilleuse perspective du pays, ce livre est recommandé. A mon avis, il y a un autre livre dans le texte, ce serait « Daniel-Gerard Rouzier, entre l’orthodoxie de la chrétienté et l’univers du vaudou » J’y ai dégagé cette page que j’aime, elle se lit comme un nouvel ouvrage à paraître bientôt j’espère, peut-être jamais, mais bon, j’ai le droit de rêver, Merci Daniel ! En tout cas, c’est noté, Avant de gouverner la rosée, il faudra penser à abandonner un ou plusieurs boucs dans un de nos déserts, il (s) mourra (ont) avec tous nos fardeaux et qui sait, Haïti renaitra de nouveau !
Yves LAFORTUNE. 10/28/24 Fort Lauderdale
Références
1. Chauvet, M. V. (1968) Amour, colère et folie. Gallimard 2. Exavier. M (1994) Soleil cailloux blessé. Éditions Mémoires. 3. Martelly, S. (2016). Les jeux de dissemblance. Folie, marge et féminin en littérature contemporaine. Montreal : Nota bene. 4. Trouillot, L. (1997) Les dit du fou de l’île. Éditions de l’ile 1997 5. Congolo. H. V. (2020) Romance, langage et littérature 6. Vilaire. E (1901) Les dix hommes noirs. Edition Fardin 7. Agnant. M. C (2002) Le livre d’Emma. Éditions Mémoires 8. Victor. G (2003) A l’angle des rues parallèles 9. Trouillot. L (1989) Les fous de St Antoine. Éditions Deschamps 10. Menard N. (2011) Perspectives sur la littérature contemporaine (1986-2006). KARTHALA
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