La présence simultanée de deux présidents et d’un premier ministre haïtien à la 79ème Assemblée générale des Nations Unies, tous de facto, soulève des interrogations non seulement au sein des cercles diplomatiques, mais aussi parmi la population haïtienne elle-même. Comment justifier une telle délégation, alors que le pays est plongé dans une crise économique, sociale et institutionnelle sans précédent ? Quel genre de message la République d’Haïti souhaite-t-elle envoyer au reste du monde à travers cette représentation inhabituelle, et à quel prix ?
Une délégation pléthorique pour un État en crise
Le contexte actuel d’Haïti est alarmant. Sur le plan politique, le pays est enlisé dans une impasse où aucune véritable élection n’a eu lieu depuis des années. Les institutions étatiques sont affaiblies par une instabilité chronique et par la mainmise de groupes d’intérêts privés sur les rouages du pouvoir. Parallèlement, les infrastructures du pays sont dans un état de délabrement avancé. Les hôpitaux publics, comme l’hôpital général de Port-au-Prince ou l’hôpital universitaire La Paix, sont dans l’incapacité de répondre aux besoins de base de la population. L’eau potable est un luxe, les routes sont impraticables, et la sécurité est inexistante.
Dans ce contexte, la question se pose : pourquoi un pays aussi appauvri, dépendant presque exclusivement de l’aide internationale, envoie-t-il trois figures de l’exécutif à New York ? Cette démarche laisse perplexe, d’autant plus qu’aucune stratégie claire ne semble accompagner cette mission diplomatique. S’agit-il d’une opération de visibilité ou d’une tentative de consolider une image internationale déjà largement ternie ?
Quel message pour la communauté internationale ?
En tant que membre des Nations Unies, Haïti dispose de son ambassadeur auprès de cette organisation. Pourtant, la délégation en question comprend deux présidents et un premier ministre, une composition surprenante et sans précédent. La présence d’une ministre des Affaires étrangères dans cette configuration ajoute une nouvelle couche d’ambiguïté à la mission.
Le message à faire passer reste flou. Au vu de la réalité haïtienne, ces dirigeants auront sans doute la difficile tâche de justifier la présence d’une force multinationale sous mandat des Nations Unies, composée notamment de troupes kényanes et jamaïcaines, pour restaurer un semblant de sécurité dans le pays. Cependant, il est peu probable que la délégation haïtienne puisse, avec un grain de cynisme, affirmer que le pays est prêt à organiser des élections ou à reprendre le contrôle de ses institutions. Le discours risque d’être, comme lors des précédentes interventions haïtiennes à l’ONU, un mélange de promesses vagues et de demandes d’assistance, dans un climat de désillusion générale.
Une diplomatie inefficace dans un cadre dégradé
La mission diplomatique de New York rappelle tristement d’autres initiatives passées. Sous les présidences de Michel Martelly et avec Laurent Lamothe en tant que Premier ministre, Haïti a régulièrement participé à des forums internationaux tels que le Forum économique mondial de Davos ou celui de la Caricom. Ces présences, bien que spectaculaires sur la scène internationale, n’ont apporté aucun bénéfice tangible pour la population haïtienne. Le pays est resté enlisé dans la pauvreté et l’instabilité, tandis que les fonds PetroCaribe, censés être alloués au développement, ont été dilapidés. Point barre.
Il y a fort à parier que cette mission à New York ne sera pas différente. Les discours officiels insisteront probablement sur la nécessité d’un soutien international accru pour rétablir la stabilité et encourager la reprise économique, mais les promesses de réformes resteront peu convaincantes. La communauté internationale, bien informée des réalités haïtiennes, connaît trop bien les rouages de la corruption systémique et de l’impunité qui gangrènent les institutions du pays.
Un gâchis de ressources
Un autre point de critique réside dans l’usage des fonds publics. Haïti, un pays où près de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, engage des dépenses importantes pour maintenir trois dirigeants inconstitutionnels et leurs équipes à New York pendant environ une semaine. Cette démarche est d’autant plus choquante que, sur le terrain, les besoins urgents de la population restent insatisfaits. À titre d’exemple, le docteur Garry Conille peine à maintenir en fonctionnement les services essentiels de l’hôpital général de Port-au-Prince. L’hôpital universitaire La Paix, quant à cet endroit, est en proie à des pénuries chroniques de médicaments et de matériel médical. Dans un tel contexte, la légitimité de ces dépenses diplomatiques est vivement remise en question.
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