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The Guardian – La destruction de l’Hôtel Oloffson (1887) : symptôme révélateur de la crise sécuritaire en Haïti

today2025-07-19

The Guardian – La destruction de l’Hôtel Oloffson (1887) : symptôme révélateur de la crise sécuritaire en Haïti
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How destruction of Hotel Oloffson is symbol of Haiti’s gang crisis

La destruction de l’Hôtel Oloffson : symptôme révélateur de la crise sécuritaire en Haïti

Par Étienne Côté-Paluck et Natricia Duncan

Le 5 juillet dernier, l’Hôtel Oloffson, patrimoine culturel et architectural de Port-au-Prince, a été réduit en cendres dans un incendie attribué par les médias locaux à une vengeance exercée par des groupes armés, à la suite d’une opération policière menée dans les environs. Ce bâtiment emblématique, construit en 1887 dans le style dit « gingerbread », était devenu, au fil du temps, un point de rencontre entre traditions haïtiennes, artistes internationaux et intellectuels. Sa destruction constitue un signal brutal de l’effondrement progressif de la capitale haïtienne et du recul d’une culture jadis florissante, désormais asphyxiée par le règne des bandes armées criminelles.

L’hôtel, lieu d’accueil de personnalités telles qu’Elizabeth Taylor, Mick Jagger ou Graham Greene, avait su se réinventer dans les années 1980 comme refuge pour correspondants étrangers et carrefour de la scène musicale vaudou. La disparition de ses dentelles de bois – comparées à une broderie architecturale – a profondément bouleversé ses habitués. Pour l’historien et juriste haïtien Georges Michel, ce lieu représentait une forme d’intemporalité : « C’était un endroit extraordinaire, hors du temps. On y retrouvait une ambiance haïtienne, familiale. »

Toute velléité de reconstruction demeure, pour l’heure, pure spéculation. Le pays s’enfonce dans une spirale de violence dont la communauté internationale peine à prendre la mesure. En janvier 2024, les Nations unies comptabilisaient plus d’un million de déplacés et plus de 5 600 personnes assassinées par les gangs au cours de l’année. Depuis quatre ans, Port-au-Prince est méthodiquement morcelée : des quartiers entiers incendiés, des axes routiers contrôlés par les bandes criminelles, notamment depuis la prise, le 1er juin 2021, d’une portion de la route nationale menant au Sud. L’assassinat du président Jovenel Moïse, un mois plus tard, a plongé le pays dans un vide institutionnel durable, malgré l’instauration récente d’un conseil présidentiel de transition.

L’occupation du quartier de l’Oloffson par des groupes armés depuis janvier 2024 avait déjà entraîné la fermeture de l’établissement et la fuite de son personnel. Les universités voisines ont, elles aussi, cessé leurs activités. Bien qu’une opération policière ait eu lieu le jour même de l’incendie, les causes précises du sinistre demeurent inconnues – la situation sécuritaire empêchant toute enquête fiable. Pour l’architecte et spécialiste du patrimoine Daniel Élie, cet incendie s’inscrit dans une série de pertes culturelles majeures : « L’Oloffson était l’un des rares espaces de dialogue entre deux mondes. » Il rappelle le rôle central de l’établissement dans le mouvement indigéniste (1915-1945), qui cherchait à valoriser les héritages africains et la culture paysanne haïtienne.

L’hôtel constituait un joyau de l’architecture gingerbread, style alliant influences néogothiques et néoclassiques importées d’Europe par les élites haïtiennes. Certains bâtiments étaient même importés en pièces détachées. Conçu par un architecte français nommé Lefèvre, l’Oloffson a survécu au séisme de 2010 grâce à sa structure en bois souple – là où des constructions modernes se sont effondrées. Aujourd’hui, une poignée seulement de ces édifices subsistent, mais aucun ne concentrait autant de mémoire politique et artistique : de Vilbrun Guillaume Sam en 1915 à René Préval dans les années 2000, l’hôtel a vu défiler présidents, musiciens et écrivains. Graham Greene y plaça l’intrigue de The Comedians (1966), adapté au cinéma avec Elizabeth Taylor.

Au fil du temps, l’Oloffson est devenu un repère de la jet-set internationale. La photographe française Chantal Regnault se remémore ses débuts au sein de l’hôtel en 1979, marqués par une ambiance coloniale palpable. Le musicien Théodore « Lòlò » Beaubrun Jr, du groupe Boukman Eksperyans, raconte quant à lui avoir fréquenté l’hôtel dès l’enfance, y croisant artistes et penseurs : « C’était une école », dit-il.

Richard Morse, chanteur du groupe RAM, prit la direction de l’hôtel en 1987. Né à Porto Rico d’une mère haïtienne et d’un père américain, ancien musicien new wave, il y lança les concerts vaudou du jeudi soir, inaugurant une ère de syncrétisme culturel unique. Interrogé depuis le Maine, Morse confie sa détresse face à la disparition du lieu : « Les gangs ont été les derniers clients – ils ne payaient pas. On me déconseille d’y retourner, mais je veux juste me tenir dans la cour. C’est chez moi. »

La déstabilisation d’Haïti inquiète les dirigeants régionaux. Lors du dernier sommet de la CARICOM, la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a dénoncé l’inaction mondiale face à la tragédie haïtienne. Elle a mis en garde contre une hiérarchisation inacceptable des vies humaines et appelé à un dialogue sincère sur les possibilités d’action, tant de la part d’Haïti que de la communauté internationale : « Si le monde avait réellement voulu aider Haïti, il aurait agi au-delà des promesses et des platitudes. »

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