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Se construire un refuge grâce aux bibliothèques ukrainiennes d’Europe

today2025-07-18

Se construire un refuge grâce aux bibliothèques ukrainiennes d'Europe
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« Nous portons nos livres avec nous comme un escargot porte sa maison »

Initialement publié le Global Voices en Français

Des livres sur l'Ukraine dans la bibliothèque ukrainienne d'Innsbruck, en Autriche. Photographie d'Olha Kuprian, utilisée avec autorisation.

Des livres sur l’Ukraine dans la bibliothèque ukrainienne d’Innsbruck, en Autriche. Photo d’Olha Kuprian, utilisée avec permission.

Par Olha Kuprian 

Ce récit fait partie d’un ensemble d’essais écrits par des artistes ukrainiens intitulés : « La culture retrouvée : les voix ukrainiennes mettent en avant la culture ukrainienne ». Cette série est réalisée en collaboration avec l’association Folokowisko/Rozstaje.art,  grâce au cofinancement des gouvernements tchèque, hongrois, polonais et slovaque grâce à une subvention des Fonds Internationaux Visegrad [en]. Son objectif est de mettre en avant des idées pour améliorer la durabilité de la coopération régionale en Europe centrale. Sa traduction depuis l’ukrainien a été faite par Iryna Tiper et Filip Noubel.

Jusqu’en 2022, j’ai déménagé de maison en maison uniquement dans la région où j’ai vécu les 17 premières années de ma vie. Tous mes livres ont bien sûr déménagé avec moi. Pendant de nombreuses années, j’ai regardé les vidéos d’Antonina Maley, créatrice de la chaîne YouTube « Tosya Reads Fairy Tales » [“Tosya Lit des Contes”], emmenant ses livres d’enfance de pays en pays, et j’aimais la façon dont les livres apparaissaient un à un sur la chaîne, comme une sorte de bibliothèque virtuelle. « Les livres, c’est une maison » disait Tosya. Et cette simple pensée est devenue la réponse à plusieurs de mes questions.

En rentrant chez moi, en Ukraine, pendant l’été 2023, après avoir été forcée à migrer suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie [en], je pris mes livres achetés en Pologne. Mes amis firent la même chose. À une époque où la Russie était en train de détruire nos bibliothèques et nos livres, nous portions nos livres avec nous comme un escargot porte sa maison. Et lorsque l’on trouve un refuge temporaire à l’étranger, la première chose à faire est de le remplir de livres écrits dans notre langue maternelle.

Être avec « les siens »

En août 2024, ma fille et moi sommes partis visiter grâce à une bourse d’études la Maison de l’Ukraine [une institution accueillant des évènements culturels gratuits ou à des tarifs abordables] à Przemyśl, une ville à l’Est de la Pologne, à la frontière avec l’Ukraine. Durant les jours précédant notre retour, j’ai enfin pu rencontrer Romana Zolotnyk, qui conserve les collectes de livres. Deux années plus tôt, le bâtiment vieux de 120 ans était devenu un refuge pour des milliers d’Ukrainiens fuyant la guerre vers des pays européens sûrs.

À la fin de l’année 2022, les organisateurs ont discuté de l’ouverture d’une bibliothèque afin d’exposer des publications scientifiques stockées par la Maison de l’Ukraine, mais aussi de donner l’opportunité aux réfugiés, notamment ceux avec des enfants, d’emprunter des livres.

Souvent, dans un contexte d’immigration, un livre en ukrainien est une opportunité de se sentir comme à la maison. L’un des usagers de cette bibliothèque est un Polonais qui a pris un garçon ukrainien atteint d’autisme sous sa responsabilité. « Le petit se détend quand il voit des livres avec des cartes ou des avions. », explique Romana. « Mais il ne veut pas de livres polonais ; ils lui sont étrangers. On lui a donc trouvé des livres ukrainiens qui lui convenaient. »

Natalia Yakubchak et ses enfants ont vécu à Brno, en République Tchèque, pendant plus de deux ans et venaient souvent à la bibliothèque du Centre Ukrainien. « Abandonner ma maison, personnellement, voulait dire abandonner ma bibliothèque » explique-t-elle. «Je suis donc allé là-bas pour être entourée de livres »

Un nid pour les Ukrainiens

La bibliothèque Hnizdo à Innsbruck. Photographie par Olha Kuprian, utilisée avec autorisation.

La bibliothèque Hnizdo à Innsbruck. Photo de Olha Kuprian, utilisée avec permission.

La bibliothèque ukrainienne « Hnizdo Innsbruck » (« hnizdo » signifie « nid » en ukrainien) dans la ville d’Innsbruck, en Autriche, compte à ce jour environ 1600 livres. Le catalogue digital permet aux usagers d’emprunter des livres dans toute l’Autriche. Il y a un peu moins de trois ans, « Hnizdo » ne disposait même pas de locaux, mais durant l’été 2024, avec l’aide du Festival « Frontera » de Loutsk et le Projet « Books From Home » de la librairie « Sens », le programme « Culture Helps » de l’Union européenne leur octroya une subvention et un festival de deux jours autour de la littérature, de la culture et du sport intitulé « Le Village Ukraino-Tyrolien » fut organisé à Innsbruck. Pendant deux jours, le festival a accueilli plus de 200 personnes, dont des familles ukrainiennes et autrichiennes.

« L’idée de créer une librairie est venue après avoir déménagé à Innsbruck, lorsque j’ai découvert qu’il n’y avait aucune réelle offre littéraire pour la communauté ukrainienne », explique Oleksandra Terentyeva, politologue, bénévole et fondatrice de Hnizdo.Inssbruck. « Certains activistes avaient déjà développé un projet d’étagère communautaire avant même mon arrivée, et j’avais prévu à l’origine de ne simplement donner qu’une ou deux dizaines de livres. Cependant, cette étagère était placée dans l’Osteuropa Zentrum, créée avec l’aide financière de la fondation “Rousskii Mir”, et qui servit jusqu’en 2022 de Centre d’Études russes. Avec mes collègues, nous avions décidé que, même si les locaux étaient en centre-ville et qu’ils étaient affiliés à l’université, le fait de créer une bibliothèque ukrainienne à cet endroit était inacceptable. »

Les événements culturels sur des thèmes spécifiques sont souvent organisés autour de bibliothèques situées à l’étranger contenant des livres ukrainiens. Yulia Tsidylo, ayant habité à Bratislava pendant plusieurs années, essaye de participer à tous les événements artistiques ukrainiens de la ville et aux alentours. « Les Ukrainiens vivant à l’étranger ont une certaine faim de culture, donc quand des auteurs ukrainiens viennent nous rencontrer, c’est toujours un grand plaisir. », explique Yulia. « Et lorsqu’ils traduisent notre littérature en slovaque, alors j’achète toujours des livres pour en faire cadeau à mes amis slovaques. »

Un réseau de coins lectures ukrainiens : Belgique, Slovaquie, Allemagne

Créer un environnement ukrainophone pour un enfant dans une langue complètement inconnue n’est pas une tâche facile. Dans les grandes villes, des structures ont été mises en place pour cela depuis un certain temps, et les cercles ou les écoles ukrainophones pour les enfants sont disponibles. Mais dans les plus petites communautés, c’est grâce aux livres que les migrants activistes créent des groupes pour leurs enfants.

C’est le cas de l’espace littéraire dédié aux Ukrainiens à Baelen, en Belgique, créé par la designer Olena Marchyshyna. En 2022, elle quitte Kiev avec ses deux enfants et, quelques mois plus tard, fonde la bibliothèque et développe son identité. « Même si c’est une bibliothèque locale, il faut venir nous voir en personne. Les gens parcourent parfois une centaine de kilomètres pour des livres. », explique-t-elle. « Maintenant la bibliothèque fait partie du réseau belge, ce qui permettra bientôt aux Ukrainiens de toute la Flandre de commander des livres par e-mail. »

Selon Olena, faire une collecte de livres est vraiment très important pour les personnes plus âgées. De plus, un club de lecture fut mis en place, où même les femmes belges sont conviées. Les femmes belges et ukrainiennes lisent le même livre, mais chacune dans leur langue maternelle, puis elles en discutent et s’entraînent à parler flamand. Olena Marchyshyna rêve de créer un club de lecture et de discussions similaire pour les enfants.

Le prix culturel de l’année fut décerné au projet par la municipalité de Baelen, battant ainsi neuf compétiteurs belges. Avec la somme gagnée, Olena fit l’acquisition d’ouvrages éducatifs pour les enfants. Un enseignant donne actuellement cours en Ukrainien à des enfants de tout âge provenant de diverses régions d’Ukraine à la bibliothèque de Baelen. Pour certains, c’est leur unique opportunité d’évoluer dans un environnement ukrainophone.

Inspirée par le récit d’Olena Marchyshyna, l’entrepreneure Lesya Didkovska ouvrit une bibliothèque pour enfants dans la ville de Poprad, en Slovaquie. « Depuis sa naissance, je lis avec mon fils tous les soirs. » explique Lesya. « Mon fils a commencé à lire par lui-même à l’âge de quatre ans, et maintenant, il peut passer la journée entière à lire un livre pendant les week-ends. » Six mois seulement après avoir été contraints à émigrer, elle se mit à échanger des livres avec toutes ses connaissances, puis amena plus tard sa propre collection d’Ukraine. Mais il n’y avait pas assez de livres. Elle initia alors une collecte via les réseaux sociaux. Elle se coordonna avec des centres d’aide aux Ukrainiens à Poprad et à Kežmarok, et la bibliothèque de Spišská Nová Ves. Cette initiative fut la base des Coins Lectures en langue ukrainienne de Slovaquie.

Le réseau des Coins Lectures en langue ukrainienne relie quatre bibliothèques ukrainophones dans différents pays d’Europe. Deux d’entre elles se situent en Allemagne, à Rheinberg et à Esens. Celle de Rheinberg fut créée par un guide originaire de Kiev, Iryna Zharkova. Elle émigra en Allemagne avec ses deux filles après l’invasion russe de 2022. « Ma fille benjamine n’avait que trois ans, et j’avais remarqué qu’elle insérait des mots allemands dans nos conversations en ukrainien. Elle devait avoir oublié leur équivalent ukrainien ou bien elle s’était juste familiarisée avec les nouveaux concepts en Allemagne dès la maternelle. », explique Iryna. « Ma fille aînée lisait Harry Potter à cette époque, donc le premier colis que nous avions reçu contenait un gros volume illustré de la saga. Je me suis alors dit que d’autres familles pouvaient avoir besoin de livres en ukrainien. »

Iryna Zharkova fit une demande à l’Office allemand de Sécurité Sociale (le Sozialamt), qui apporte de l’aide aux initiatives culturelles et sociales dans des langues parlées par des minorités du pays. Elle eut droit à une salle où elle déposait des livres ukrainiens chaque semaine et où elle les échangeait avec des usagers pendant deux heures.

Aujourd’hui, la bibliothèque ukrainienne de Rheinberg dispose de 350 livres, dont le tiers fut acheté par Iryna elle-même. « Je parle avec les visiteurs de mes lectures, de la vie. Nous communiquons en ukrainien, même si 95 pourcent des Ukrainiens vivant ici savent parler russe. Les enfants comme les adultes essayent de parler en ukrainien de façon correcte. » dit-elle. Iryna Zharkova aimerait faire participer les enfants ukrainiens locaux : « Même s’ils restent toute leur vie en Allemagne, c’est important qu’ils sachent qui ils sont et d’où ils viennent. »

Depuis 2022, certains Ukrainiens sont rentrés chez eux, d’autres se sont intégrés aux communautés locales. Qu’en sera-t-il des coins lectures ukrainiens ?

Heureusement, des petites librairies aux quatre coins de l’Europe s’unissent et partagent leurs expériences. Les initiatives se multiplient autour des collectes de livres qui mettent en avant la culture ukrainienne et les traditions et qui coopèrent avec les familles. La métaphore du nid fait ici écho de façon singulière : c’est à la fois une maison de laquelle on s’envole un jour ou l’autre, mais c’est aussi un endroit où quelqu’un a besoin de vous.

Écrit par: Viewcom04

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