À Kigali, la haine était armée de machettes. À Port-au-Prince, elle porte costume et cravate. Des décennies après le drame rwandais, Haïti vit une agonie quotidienne, sous le règne de gangs qui imposent leur loi. L’histoire ne se répète pas à l’identique, mais les silences politiques, eux, persistent — et révèlent une violence sélective du regard international.
Rwanda, 31 ans après : mémoire d’un génocide, miroir d’un abandon haïtien
Le 7 avril 1994, débutait au Rwanda l’un des génocides les plus rapides et les plus brutaux du XXe siècle. En l’espace de cent jours, environ 800 000 Tutsis — et des Hutus modérés — furent exterminés, sous l’œil passif d’une communauté internationale sidérée ou indifférente. Ce crime de masse, perpétré à une vitesse inouïe, a été qualifié par la Résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies comme une « menace à la paix et à la sécurité internationales », justifiant la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en novembre 1994. Trente et un ans plus tard, Kigali offre l’image d’un État fort, résilient, qui a su mobiliser la mémoire collective pour reconstruire son tissu social. Mais cette résilience n’efface ni les blessures, ni les interrogations sur la récurrence de l’inaction internationale face aux crises contemporaines. Dans cette optique, le cas d’Haïti, abandonné à la prédation des gangs, constitue un inquiétant miroir.
Loin d’être une analogie simpliste, le parallèle entre le génocide rwandais et la décomposition haïtienne permet de poser une interrogation sur ce que le politologue Mahmood Mamdani a nommé « la politique de la vie et de la mort » (Mamdani, When Victims Become Killers, 2001). Alors que le Rwanda a connu une tentative d’annihilation ciblée, planifiée par un appareil d’État, Haïti est aujourd’hui soumis à une violence éclatée, diffuse, mais systémique, dans un contexte d’effondrement étatique. Plus de 362 000 déplacés internes ont été recensés à la fin de 2024 selon l’OIM, tandis que la moitié de la capitale est soumise au joug d’organisations criminelles. Cette situation n’a rien de spontané. Elle est le fruit d’une désinstitutionnalisation prolongée, amplifiée par des politiques d’ajustement structurel, des ingérences internationales répétées et une gouvernance nationale délégitimée.
Dans un discours prononcé à Genève en avril 2004, Kofi Annan reconnaissait l’échec collectif face au Rwanda : « All of us must bitterly regret that we did not do more to prevent or stop the genocide. […] The international community failed Rwanda, and that must leave us always with a sense of bitter regret and abiding sorrow. » (UN Archives, SG/SM/9223, 7 April 2004). Cette autocritique n’a toutefois pas empêché la répétition de ce que le philosophe Achille Mbembe décrit comme des « zones de non-vie » (Politiques de l’inimitié, 2016), c’est-à-dire des territoires où la protection de la vie humaine n’est plus garantie, et où l’État abdique face aux forces de fragmentation.
Haïti, en ce sens, est devenu l’un de ces espaces oubliés où la souveraineté se délite, non pas au profit d’une puissance étrangère, mais d’une suprématie armée locale. Les « gangs fédérés » qui dictent leur loi à Port-au-Prince, dotés d’armements sophistiqués importés illégalement (souvent depuis les ports américains, selon le Small Arms Survey, 2023), fonctionnent comme des États dans l’État. Ils contrôlent la mobilité, taxent les populations, violent impunément, et procèdent à des exécutions sommaires — sans réaction suffisante des pouvoirs publics ni du Conseil de sécurité des Nations unies, qui, en octobre 2023, a bien voté une résolution d’intervention, mais dont la mise en œuvre demeure bloquée.
Le parallèle avec le Rwanda s’arrête sur les formes de la violence mais converge sur la dimension de l’abandon. Comme l’écrit Roland Marchal, spécialiste des conflits africains, « l’abandon d’un peuple à la violence est une décision politique, rarement assumée, mais toujours structurante » (Marchal, Violence et intervention internationale, 2009). À Kigali, cet abandon a duré cent jours. En Haïti, il se prolonge depuis plus de vingt ans, au rythme des missions onusiennes inefficaces, des élections frauduleuses, et d’un exode massif. On peut dès lors s’interroger : qu’est-ce qu’une communauté internationale qui commémore un génocide tout en détournant le regard d’une tragédie actuelle ?
Il ne s’agit pas ici d’accuser sans nuance, ni de projeter une équivalence entre deux contextes historiques. Mais de faire un usage critique de la mémoire. Comme le rappelle Paul Ricoeur, « la mémoire oblige, elle contraint à agir dans le présent au nom d’un passé reconnu » (La mémoire, l’histoire, l’oubli, 2000). Si la mémoire du génocide rwandais a donné lieu à des institutions, à des récits de reconstruction, à des débats sur la justice transitionnelle, celle d’Haïti reste enfouie dans un présent perpétuellement brisé. Ni mémoire, ni justice, ni réconciliation. Seulement le vacarme assourdissant des armes et le silence feutré des chancelleries.
Il conviendrait alors de poser une question simple, mais dérangeante : faut-il nécessairement attendre une extermination de masse pour que la solidarité internationale s’éveille ? Ou bien certaines vies, dans certaines parties du monde, seraient-elles déjà considérées comme sacrificielles ? En ce sens, Haïti, aujourd’hui, interroge moins la mémoire que la capacité d’agir — ou le refus d’agir.
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