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Pouvoir, mythe et personnalité : entretien avec l’artiste irano-américaine Shiva Ahmadi

today2025-02-05

Pouvoir, mythe et personnalité : entretien avec l'artiste irano-américaine Shiva Ahmadi
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La nature incontrôlable de l’aquarelle « traduit parfaitement l’instabilité qui résonne avec mes expériences et mes thèmes »

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Al Khidr, Shiva Ahmadi, Watercolor on Aquaboard, 40 x 60 in, 101.6 x 152.4 cm, 2009. Image courtesy of the artist.

« Al Khidr », Shiva Ahmadi, aquarelle sur aquaboard, 101,6 x 152,4 cm (40 x 60 in), 2009. Image utilisée avec la permission de l’artiste.

L’art de Shiva Ahmadi est une danse entre la tradition et la narration contemporaine, où les couleurs vibrantes et les détails complexes convergent pour raconter des histoires de pouvoir, de résilience et d’identité. Ses œuvres sont imprégnées de symbolisme, puisant dans la richesse poétique des traditions persanes, indiennes et moyen-orientales, tout en abordant les réalités sociopolitiques modernes.

Née à Téhéran, Ahmadi a connu la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak, qui ont fortement influencé sa voix artistique. Elle a ensuite obtenu plusieurs diplômes d’études supérieures en beaux-arts aux États-Unis, où elle a également relevé les défis d’une artiste immigrée après le 11 septembre 2001.

Actuellement professeur à l’UC Davis, Ahmadi se consacre à l’épanouissement de la créativité et de la pensée critique chez ses étudiants. Sa récente exposition, « Tangle », qui s’est tenue à la Shoshana Wayne Gallery de Los Angeles, présentait de nouvelles œuvres mettant en valeur des figures féminines immergées dans des paysages fantastiques de terre et d’eau. À travers des couleurs lumineuses et des figures mystiques, Ahmadi entremêle des thèmes tels que « la migration, la guerre et le traitement brutal des personnes marginalisées », invitant les spectateurs à « sonder la surface des récits hérités ».

Shiva Ahmadi at her studio in San Francisco. Photo courtesy of the artist.

Shiva Ahmadi dans son atelier à San Francisco. Photo avec l’autorisation de l’artiste.

Les œuvres d’Ahmadi ont été exposées dans le monde entier, notamment dans des institutions prestigieuses telles que l’Asia Society Museum à New York et le Musée des arts de l’Ontario à Toronto, au Canada. Ses œuvres font partie de collections prestigieuses, notamment celles du Metropolitan Museum of Art et du Museum of Contemporary Art de Los Angeles, ce qui souligne son impact mondial. Ses animations, peintures et installations repoussent constamment les limites de l’expression artistique, offrant de nouvelles perspectives sur les écosystèmes culturels et politiques.

Lors d’un entretien avec Global Voices, Ahmadi a parlé de l’influence des mythes historiques et des expériences personnelles sur son art, des défis posés par le fait d’être une artiste immigrée et de l’évolution du rôle des femmes dans ses récits. Elle a également donné un aperçu de son processus créatif, de sa passion pour l’enseignement et de sa vision de l’avenir de son parcours artistique.

Des extraits de l’entretien suivent :

Lotus, Shiva Ahmadi, Watercolor and ink on Aquaboard, 120 x 60 in, 304.8 x 152.4 cm, 2014. Image courtesy of the artist.

« Lotus », Shiva Ahmadi, aquarelle et encre sur aquaboard, 304,8 x 152,4 cm (120 x 60 in), 2014. Avec l’autorisation de l’artiste.

Omid Memarian (OM) : Vos œuvres intègrent souvent un riche symbolisme et des références à des mythes historiques. Pourriez-vous nous expliquer comment ces éléments influencent vos récits, en particulier dans des séries comme « Throne » et « Apocalyptic Playland » ?

Shiva Ahmadi (SA) : En grandissant en Iran, j’ai été entourée de peintures miniatures persanes qui ornaient les murs autour de moi. Bien que belles, complexes et détaillées, ces images étaient aussi étonnamment graphiques – beaucoup d’entre elles représentaient des scènes de conflit et de combat, ce qui contrastait avec leur fonction d’art décoratif. Des années plus tard, au cours de mes études supérieures, alors que je cherchais un moyen de réfléchir au monde qui m’entourait, j’ai découvert que ces images historiques étaient une source d’inspiration très pertinente.

Pipe, Shiva Ahmadi, Watercolor on Aquaboard, 40 x 60 in, 101.6 x 152.4 cm, 2014. Collection of The Metropolitan Museum of Art. Image courtesy of the artist.

« Pipe », Shiva Ahmadi, aquarelle sur carton, 101,6 x 152,4 cm (40 x 60 in), 2014. Collection du Metropolitan Museum of Art. Avec l’autorisation de l’artiste.

OM : Dans votre série « Réinventer la poétique du mythe », vous examinez des questions telles que le capitalisme et la glorification du pétrole au Moyen-Orient. Comment naviguez-vous à l’intersection de l’art et de la politique ?

SA : Je suis convaincue qu’il est impossible d’être iranien sans être sensible à la politique. En tant qu’immigrante iranienne, ma vie a été profondément marquée par les choix politiques. Un simple regard sur l’histoire révèle l’importance cruciale de la politique pétrolière au Moyen-Orient au fil du temps. Je suis fermement persuadée qu’une grande partie des événements qui ont façonné mon pays au cours de son histoire sont intimement liés à la dynamique pétrolière dans la région et à l’influence du capitalisme.

Against the Pull, Shiva Ahmadi, Watercolor on paper, 15 x 22.5 in, 38.1 x 57.15 cm, 2024. Image courtesy of the artist.

« Against the Pull », Shiva Ahmadi, aquarelle sur papier, 38,1 x 57,15 cm (15 x 22,5 in), 2024. Avec l’autorisation de l’artiste.

OM : Comment votre éducation a-t-elle façonné votre vision artistique, et de quelle manière se manifeste-t-elle dans votre travail ?

SA : Grandir pendant la révolution islamique et la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak m’a rendu extrêmement conscient de ce qui m’entourait, m’inculquant un profond sentiment d’anxiété et d’instabilité, qui s’est, par la suite, retrouvé au cœur de mon travail. Je crois que l’une des raisons pour lesquelles je suis si attirée par l’aquarelle est sa nature incontrôlable – l’eau coule librement, ce qui exige des efforts et des compétences considérables. Cette qualité traduit parfaitement l’instabilité qui résonne avec mes expériences et mes thèmes.

OM : Comment vos techniques et vos couleurs vibrantes, enracinées dans les traditions persanes, indiennes et moyen-orientales, reflètent-elles votre processus et les écosystèmes culturels qui façonnent vos récits ?

SA : Bien que je n’aie pas reçu de formation formelle de peintre miniaturiste et que je ne crée pas de peintures miniatures persanes, j’ai un immense respect pour cette forme d’art traditionnelle, dont la maîtrise nécessite une formation approfondie. Avec ses nombreuses écoles stylistiques et sa riche histoire, il s’agit d’une tradition artistique profonde. Sur le plan conceptuel, je m’inspire profondément des éléments narratifs de la peinture miniature persane. Les histoires complexes, qui mettent en scène des héros et des méchants uniques, sont captivantes et suscitent la réflexion. Ces peintures invitent à un engagement prolongé, révélant de nouveaux détails à chaque visionnage. Cette qualité m’inspire à utiliser la métaphore et la narration pour réfléchir aux questions contemporaines du monde d’aujourd’hui.

Broken Balance, Shiva Ahmadi, Watercolor on paper, 15 x 22.5 in, 38.1 x 57.15 cm, 2024. Image courtesy of the artist.

« Broken Balance », Shiva Ahmadi, aquarelle sur papier, 38,1 x 57,15 cm (15 x 22,5 in), 2024. Avec l’autorisation de l’artiste.

OM : Comment vos diplômes en beaux-arts ont-ils façonné votre pratique et vos concepts artistiques ?

SA : Mon éducation s’est avérée inestimable, d’autant plus que je n’ai pas obtenu mon BFA (Bachelor of Fine Arts) aux États-Unis et que je n’ai pas été formé à la pensée critique. À l’époque, les écoles d’art en Iran ne mettaient pas l’accent sur le développement conceptuel. Le fait d’avoir suivi des programmes de beaux-arts aux États-Unis et d’avoir participé à des résidences m’a beaucoup aidé à cultiver les compétences nécessaires pour analyser et discuter des œuvres d’art tout en expérimentant de nouvelles idées.


Regardez : « Marooned », de Shiva Ahmadi, vidéo d’animation monocanal avec son (animation faite à la main), édition de 3, collection de l’Académie des beaux-arts de Pennsylvanie, 2021.

OM : Comment enseignez-vous l’art à l’UC Davis, en conciliant sa nature intuitive avec la promotion de la créativité et de la pensée critique chez les étudiants ?

SA : Il est essentiel d’enseigner aux étudiants l’art de véritablement observer. Regarder et voir sont deux actes différents. L’un de mes premiers exercices pour les débutants consiste à placer un sac de pommes sur la table et à leur demander de les dessiner à l’aide de lignes simples. Lorsque nous analysons leurs dessins, je remarque fréquemment que les pommes ont une forme et une taille quasi identiques. Cela résulte du fait que les étudiants se contentent souvent de jeter un coup d’œil rapide aux pommes, mémorisent la première qu’ils voient et la reproduisent sur le papier. Ils dessinent à partir de leur mémoire, plutôt qu’en observant attentivement. Cet exercice illustre l’importance d’une observation réfléchie et consciente, qui nourrit la créativité. Une fois cette compétence acquise, les étudiants peuvent l’appliquer à une diversité de pratiques et d’expériences artistiques.

Cascade, Shiva Ahmadi, Watercolor on paper, 22.5 x 30 in, 57.15 x 76.2 cm, 2024. Image courtesy of the artist.

« Cascade », Shiva Ahmadi, aquarelle sur papier, 57,15 x 76,2 cm (22,5 x 30 in), 2024. Avec l’autorisation de l’artiste.

OM : Qu’est-ce qui vous a poussé à mettre l’accent sur les figures féminines dans votre récente exposition, « Strands of Resilience », et comment incarnent-elles la résilience et la force dans vos récits ?

SA : Avant la pandémie [COVID-19], les personnages principaux de mes peintures n’avaient ni visage ni sexe. C’était intentionnel, car je voulais que mon public se concentre sur les actions et le message de l’œuvre plutôt que sur le genre ou l’identité. Comme tout le monde, je me suis isolée dans mon atelier lorsque la pandémie a frappé. Pour faire face à l’anxiété, j’ai commencé à créer des dessins gestuels. Au fil du temps, je me suis rendu compte que les personnages étaient principalement des femmes. Je crois que mon subconscient était profondément conscient de mon propre corps. Peu à peu, j’ai commencé à placer les femmes au centre de mon travail, ce qui a conduit à la création de la série Strands of Resilience. Quelques années plus tard, avec le soulèvement des femmes iraniennes, je me suis encore plus concentrée sur les questions relatives à l’oppression des femmes, car c’est quelque chose que j’ai personnellement vécu en grandissant sous la République islamique.

Fiery Descent, Shiva Ahmadi, Watercolor and silkscreen print on paper, 41 x 60 in, 104.14 x 152.4 cm, 2023. Image courtesy of the artist.

« Fiery Descent », Shiva Ahmadi, aquarelle et sérigraphie sur papier, 104,14 x 152,4 cm (41 x 60 in), 2023. Avec l’autorisation de l’artiste.

OM : Comment voyez-vous l’évolution de votre parcours artistique ? Y a-t-il de nouveaux thèmes ou de nouveaux supports que vous souhaitez explorer ?

SA : Quel que soit le support, mon travail servira toujours de commentaire sur le monde qui m’entoure. Je travaille actuellement sur une nouvelle animation qui fera partie d’une installation immersive intégrant l’espace, l’éclairage et la musique. L’interaction de l’éclairage et du son amplifiera la narration émotionnelle, créant une expérience puissante et immersive. Ce projet n’en est qu’à ses débuts, et nous verrons comment il évoluera. Dans le monde rapide d’aujourd’hui, où les médias sociaux défilent en permanence, je pense que les installations immersives qui font appel à tous les sens peuvent avoir un impact profond, en entraînant les gens dans l’expérience d’une manière que les médias statiques ne peuvent souvent pas faire.

Flame Proofed, Shiva Ahmadi, Watercolor and silkscreen print on paper, 41 x 60 in, 104.14 x 152.4 cm, 2023. Image courtesy of the artist.

« Flame Proofed », Shiva Ahmadi, aquarelle et sérigraphie sur papier, 104,14 x 152,4 cm (41 x 60 in), 2023. Avec l’autorisation de l’artiste.

Écrit par: Viewcom04

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