La participation, pour la première fois dans l’histoire, d’un cardinal haïtien, son Eminence Chibly Cardinal Langlois, au conclave de 2025, constitue un moment historique et un événement d’une densité ecclésiologique singulière. Premier cardinal haïtien à prendre part à l’élection du Successeur de Pierre, il incarne aux côtés de ses frères Cardinaux la catholicité concrète de l’Église : cette réalité vivante par laquelle chaque Église particulière, parfois blessée et marginalisée, entre dans la vie et la gouvernance du Peuple de Dieu tout entier. Cette « catholicité incarnée », ne signifie pas simplement l’expansion géographique, mais la plénitude de l’unité dans la diversité, où chaque Église particulière devient sujet actif dans la communion.
Haïti, pays souvent réduit à ses crises, devient ici signe vivant de l’espérance, et sa voix, longtemps ignorée, entre désormais dans le silence fécond de la Chapelle Sixtine, où l’Esprit Saint parle à travers les voix humaines. Comme l’a souvent souligné le Pape François, « les périphéries ont beaucoup à dire au centre », et la présence du cardinal Langlois en est une preuve lumineuse.
Le lien entre l’Église universelle et les Églises particulières
La constitution conciliaire Lumen Gentium enseigne que l’Église catholique une et unique « subsiste dans et à partir des Églises particulières » (in quibus et ex quibus una et unica Ecclesia catholica exsistit, LG 23 §1). Cette compréhension ecclésiologique empêche, d’une part, une centralisation excessive, qui réduirait les Églises particulières à de simples extensions administratives de l’Église « universelle » ; et, de l’autre, un éclatement localiste, qui fragmenterait l’unité organique de l’Église en identifiant les Eglises particulières a des expressions sociologiques de particularismes identitaires.
Chaque Église particulière – telle que celles d’Haïti – est à la fois constituante de l’Église universelle, et réceptrice de la vie de celle-ci. Lorsque le cardinal Langlois entre dans la chapelle Sixtine, il n’est pas un délégué de l’Église d’Haïti, mais un membre vivant du Corps du Christ, portant avec lui la foi, la prière et les blessures du peuple haïtien au cœur même de l’élection du Pasteur universel. Il ne s’agit donc pas de simples représentations territoriales au conclave, mais de la manifestation organique du Corps du Christ dans sa structure sacramentelle.
La voix d’Haïti au sein du conclave est à la fois celle d’un membre à part entière du Corps du Christ, et celle d’une Église martyre, fidèle, missionnaire, qui participe à la construction de la communion ecclésiale dans sa vérité intégrale. L’Église d’Haïti vient enrichir l’Église universelle par la qualité théologale de sa foi vécue dans l’épreuve.
Une portée mémorielle et prophétique pour Haïti
Le cardinal Langlois, pasteur humble, à qui la réalité concrète des gens les plus modestes de notre pays n’est pas étrangère, incarne une Église haïtienne qui n’a jamais cessé d’espérer, de prier, de célébrer, malgré les plus dures épreuves que notre peuple a vécu : tremblements de terre, pandémies et violences. Sa présence au conclave deviendra mémorielle.
Créé cardinal par le pape François le 22 février 2014, Chibly Langlois est le premier Haïtien à rejoindre le Collège des cardinaux. Né le 29 novembre 1958 à La Vallée de Jacmel, il a été ordonné prêtre en 1991, puis nommé évêque de Fort-Liberté (2004-2011) avant d’être transféré au Siège des Cayes. Il a également été président de la Conférence des Evêques catholiques d’Haïti (2011-2017). Son entrée dans le corps électoral du conclave honore la vocation de témoin de l’espérance de l’Église d’Haïti, une Église souvent éprouvée, mais toujours debout, et riche d’une foi vivante et missionnaire.
Fondement canonique et ecclésiologique du conclave
Le Code de droit canonique, au canon 349, établit que les cardinaux forment un collège spécial dont la fonction première est d’élire le Souverain Pontife. La Constitution Universi Dominici Gregis de Jean-Paul II précise que seuls les cardinaux de moins de 80 ans peuvent voter, et que nul autre ne peut participer à l’élection.
Cette structure traduit la dimension sacramentelle et collégiale du ministère pétrinien. Le conclave n’est pas une simple élection, mais une action de discernement ecclésial, sous la motion de l’Esprit Saint, confiée à ceux qui partagent, par leur charge, la sollicitude pour toutes les Églises.
Le cardinal Langlois, par sa présence, exerce donc un ministère d’une portée à la fois particulière – au regard de l’Eglise locale – et universelle, en contribuant à l’élection du Successeur de Pierre, Pasteur du troupeau de Dieu, disséminé sur toute la terre.
Une signification forte pour l’Église d’Haïti
Pour les fidèles haïtiens qui vivent dans une réalité marquée par la pauvreté, la violence et les catastrophes naturelles, cette participation représente une parole forte de l’Esprit qui nous rappelle que nos souffrances sont celles de tous les membres d’un corps dont la communion est le signe le plus éloquent.
L’Église d’Haïti attire aussi les regards sur une expérience de foi crucifiée et féconde. Elle incarne cette Église que le Pape François a voulu « pauvre pour les pauvres », une voix de la périphérie.
Le Cardinal Chibly Langlois, acteur de la vie de l’Église universelle dans ce conclave, porte la mémoire des martyrs cachés, de ce peuple meurtri, de ces prêtres dont la fidélité, en tant que disciples et missionnaires, va au-delà des frontières que la situation existentielle et historique tente de nous imposer en Haïti.
Sa présence au conclave est à la fois mémoire, mystère et mission. Elle rappelle que la catholicité n’est pas une abstraction, mais une communion réelle et incarnée. Et elle proclame que toute Église, même blessée, est source de lumière pour l’Église entière.
P. Marc Henry Siméon, JCD
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