NOTE DE PLAIDOYER POUR LE RENFORCEMENT DE LA BONNE GOUVERNANCE EN HAITI
Mars 2025
Contexte
Le score d’Haïti en matière de lutte contre la corruption demeure alarmant (Transparency International1, 2024). La corruption représente un grave défi pour le pays, constituant un obstacle majeur à l’amélioration de la bonne gouvernance, à l’accès à des services de qualité et à la croissance économique.
Alors que la reddition des comptes assure la transparence dans l’administration publique, cet exercice peine à s’implanter dans la vie démocratique du pays, ce qui compromet ainsi toutes les initiatives visant à renforcer la bonne gouvernance. L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), à travers plusieurs rapports, a mis en lumière des cas de corruption impliquant de hauts fonctionnaires de l’État. Malgré sa passivité, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CS/CCA) a également révélé des cas de corruption dans son premier rapport d’audit de 291 pages sur la gestion des projets financés par le fonds PetroCaribe2.
Le 20 février 2008, la loi portant sur la déclaration de patrimoine par certaines catégories de personnalités politiques, de fonctionnaires et autres agents publics a été publiée dans le journal officiel de la République, Le Moniteur. Si l’on doit certains mérites à l’ULCC dans cette démarche, il est inquiétant de constater que les personnes concernées font souvent des déclarations incomplètes, fausses ou inexactes. Pire encore, il existe de nombreux cas de défaut de déclaration à l’entrée ou à la cessation de fonction, à tous les niveaux de l’État. Pourtant, ce mécanisme est essentiel pour assurer la cohérence des éléments déclarés, identifier des omissions importantes ou des variations inexpliquées du patrimoine et prévenir tout enrichissement illicite. Le législateur a instauré cette obligation afin de garantir la transparence de la vie publique et de moraliser l’administration en luttant contre la fraude, la corruption et l’enrichissement illicite.
Dans cette même logique, la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) joue un rôle crucial dans la lutte contre la corruption en veillant à la bonne utilisation des deniers publics dans le processus de passation des marchés et l’exécution des contrats de l’État. Cela doit se faire dans une transparence totale afin de maximiser les bénéfices des dépenses publiques.
Face à cette réalité, et dans une démarche de bonne gouvernance (promotion et prévention contre la corruption), certaines mesures urgentes doivent être adoptées. L’OCNH estime qu’il est impératif d’instaurer un registre public des contrats et du patrimoine des hauts fonctionnaires de l’État et de toute personne y étant assujettie.
De plus, il est essentiel d’accompagner et de renforcer les institutions travaillant à la lutte contre la corruption, notamment l’ULCC et la CNMP3. Compte tenu du rôle clé joué par certains professionnels dans la dénonciation des abus, la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes d’investigation doit être une priorité. Par ailleurs, la société civile a un rôle fondamental à jouer dans le suivi des politiques publiques et l’amélioration des services aux citoyens.
La corruption en Haïti entrave la mise en œuvre effective des droits humains
Lorsque les fonds publics sont détournés au profit de certains individus et au détriment du bien être collectif, ce sont les institutions qui s’affaiblissent et les programmes sociaux et économiques qui stagnent, faute de financement. Chaque scandale financier contribue à éroder davantage la confiance des citoyens envers les institutions, compromettant ainsi l’état de droit et favorisant l’impunité des auteurs de violations des droits humains.
Pourtant, bonne gouvernance et droits humains sont complémentaires. Les normes et principes relatifs aux droits humains posent un cadre éthique et juridique pour guider l’action des gouvernements et des autres acteurs politiques et sociaux. Sans bonne gouvernance en Haïti, il est impossible de garantir le respect et la protection des droits humains. En effet, la mise en œuvre de ces droits exige un environnement institutionnel et juridique favorable, ainsi que des processus politiques, administratifs et de gestion transparents.
Le rôle des différentes institutions et acteurs impliqués
Pour parvenir à une meilleure gouvernance, Haïti a besoin d’institutions solides et d’acteurs engagés. Les autorités compétentes doivent prendre des mesures efficaces pour garantir que les institutions chargées de la lutte contre la corruption bénéficient d’un cadre adéquat et de ressources suffisantes. Trop souvent, ces institutions souffrent d’un manque de budget, ce qui nuit à leur efficacité. De plus, certaines d’entre elles sont vulnérables structurellement, car le cadre légal régissant leur fonctionnement place leurs dirigeants sous la dépendance des pouvoirs politiques, ce qui les expose ainsi à des pressions et à des chantages.
En dehors des institutions étatiques, les organisations de la société civile, les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation jouent un rôle crucial dans la lutte contre la corruption et doivent être protégés. Leur mission de veille et de dénonciation ne peut être efficace que s’ils évoluent dans un environnement sûr, sans crainte de représailles, de censure ou d’abus de pouvoir. Enfin, il importe de souligner que le Commissaire du gouvernement est sur un siège éjectable4car il arrive difficilement à jouer son rôle de « défenseur de la société » et représentant de l’administration en place au sein du pouvoir judiciaire où il est mandaté pour appliquer sa politique pénale.
Dans un véritable État de droit, les normes juridiques doivent être claires et bien hiérarchisées, de manière à limiter les abus du pouvoir et à garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques.
La corruption : un fléau à combattre en Haïti
La corruption met en péril la démocratie, la gouvernance et les droits humains en affaiblissant les institutions publiques qui garantissent l’équité et la justice sociale. Selon l’article 2 de la loi du 12 mars 2014 de l’ULCC, la corruption englobe tout abus ou usage illégal d’une fonction publique à des fins personnelles ou au profit d’un tiers, au détriment de l’État ou d’autres entités publiques et privées.
En Haïti, la corruption est devenue la norme plutôt que l’exception, ce qui affaiblit les institutions et freine le développement du pays. Ce fléau ne peut être toléré, car ce sont souvent les droits humains qui en paient le prix. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), les fonds détournés dans les pays en développement à cause de la corruption sont dix fois supérieurs à l’aide publique au développement (HCDH et la Bonne Gouvernance, 2023).
Conclusion et commanditions
Si la bonne gouvernance en Haïti n’est pas une réalité, c’est à cause des faiblesses des institutions, qui entraînent un déficit de l’État de droit. Dans ce schéma fragile, les droits humains sont violés en toute impunité, et l’État devient alors défaillant.
L’OCNH estime que la corruption n’est pas une fatalité, car un engagement ferme des autorités, associé à des institutions efficaces et à une société civile vigilante, pourrait permettre à Haïti de progresser vers une gouvernance plus juste, transparente et respectueuse des droits humains.
C’est pourquoi l’OCNH appelle les autorités haïtiennes et la communauté internationale, dans sa coopération, à prendre les mesures suivantes :
1. Renforcer l’indépendance et les capacités des institutions de lutte contre la corruption, notamment l’ULCC, la CNMP et la CS/CCA, en leur garantissant un budget suffisant et un cadre juridique les protégeant des ingérences politiques.
2. Mettre fin à la tutelle du Premier ministre sur la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP).
3. Instaurer un registre public des contrats et du patrimoine des hauts fonctionnaires de l’État pour assurer la transparence et prévenir l’enrichissement illicite.
4. Garantir la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes d’investigation, en instaurant des lois les protégeant contre les représailles.
5. Promouvoir l’éducation à la bonne gouvernance et à l’éthique publique dans les écoles, les universités et les administrations publiques.
6. Renforcer la participation de la société civile dans la surveillance et l’évaluation des politiques publiques.
7. Garantir l’indépendance du Commissaire du gouvernement notamment en lui rendant inamovible dans le cadre de sa fonction.
8. Appliquer de manière stricte les sanctions pénales et administratives contre les auteurs d’actes de corruption.
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://ayibopost.com/marches publics-corruption
haiti/&ved=2ahUKEwjM7aPJ5omMAxUCTTABHeosIdgQFnoECBkQAQ&usg=AOvVaw2VdM1JZBUwRsH48emopkAm
1 Aperçu du score d’Haïti
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.transparency.org/en/cou ntries/haiti&ved=2ahUKEwjtyrKyzYSMAxWSSzABHex3CJUQFnoECBkQAQ&usg=AOvVaw3qZe-SejboL_BfC6ZhsvON 2Le rapport est accessible en ligne :
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.haitilibre.com/docs/PETR OCARIBE-31-01-2019.pdf&ved=2ahUKEwjBmKfJ4YSMAxXsRTABHcfUJiQQFnoECBsQAQ&usg=AOvVaw3vgqL J7w2yPLmH8aHZgjy
3 Cet article (Ayibopost, 2023) donne un aperçu de la fragilité de cette commission. Par exemple, Claudie Marsan, avocate au Barreau de Port-au-Prince et spécialiste senior en Passation des marchés publics met en lumière la corruption dans les marchés publics en Haïti et la problématique de la CNMP qui est placée sous l’autorité du Premier ministre et aussi du fait qu’elle fonctionne sur le budget de la Primature et est donc un organe interne à l’administration centrale.
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4 Ayibopost, 2020, les Commissaires du gouvernement sont sur un siège éjectable.
Cet article souligne la vulnérabilité de la fonction du chef du Parquet.
https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://ayibopost.com/le commissaire-du-gouvernement-est-sur-un-siege-ejectable-cest-un-gros
probleme/&ved=2ahUKEwiUi4mi7omMAxUDSjABHdpkFykQFnoECBUQAQ&usg=AOvVaw3VuYVltaz2qD5hJs9klDta
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