Afrique du Nord et Moyen-Orient

« L’imperfection, la clé de l’évolution artistique » : entretien avec l’artiste iranien Sadegh Adham

today2025-02-28 1

« L’imperfection, la clé de l’évolution artistique » : entretien avec l’artiste iranien Sadegh Adham
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« Ces œuvres invitent l’humanité à un voyage esthétique, libéré des biais politiques et sociaux. »

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Sadegh Adham, dans son studio à Téhéran en 2023. Image fournie avec l’autorisation de l’artiste.

Le parcours artistique de Sadegh Adham a débuté dans des circonstances pour le moins inattendues. Son enfance a été marquée par les bruits de la guerre, puisqu’il a grandi durant la guerre Iran-Irak. Né en 1978 à Masjed Soleiman, une ville située dans la province du Khouzistan au sud de l’Iran, Adham a vécu une enfance façonnée par l’intensité du conflit et ses répercussions profondes. Il se souvient, à l’âge de cinq ans, d’un missile qui a détruit leur maison, contraignant sa famille à se réfugier chez sa grand-mère maternelle à Shushtar. Cependant, même au cœur du chaos de la guerre, sa créativité naturelle a commencé à émerger.

Adham se souvient des premières étincelles de son parcours artistique : son père travaillant le plomb fondu et lui, dans le carnet de croquis de sa mère, dessinant sa première sirène. Ces moments ont posé les fondations de sa passion pour l’art, marquant le début de sa carrière créative.

Sadegh Adham, « Casque de soldat », série « Guerre » 2013. Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Dans une région où l’accès à l’éducation artistique était limité, la détermination d’Adham à créer n’a jamais faibli. Il se souvient avec émotion avoir longtemps admiré une boîte de 96 crayons de couleur dans la vitrine d’une librairie, rêvant de les posséder. Après un an et demi d’économies, il réussit enfin à acheter ce set, un véritable moteur pour sa passion artistique.

Par la suite, Adham poursuit des études formelles à l’Université des Beaux-Arts de Téhéran, où il affine ses compétences. Ses œuvres abordent aujourd’hui des thèmes tels que la mémoire, l’identité et la culture, mêlant son histoire personnelle à un récit universel, invitant ainsi les spectateurs à interagir avec le passé et le présent.

Au cours de la dernière décennie, Sadegh Adham a organisé des expositions individuelles en Iran et a présenté ses œuvres dans des galeries au Royaume-Uni, en France et au Canada, gagnant ainsi une reconnaissance internationale pour sa capacité à mêler des thèmes traditionnels à des expressions contemporaines.

 

Sadegh Adham, Defiance. 10 x 10 x 15 cm, 3.94 x 3.94 x 5.91 inches. 2015. Image courtesy of the artist.

Sadegh Adham, ‘Défiance.’ 10 x 10 x 15 cm (3.94 x 3.94 x 5.91 in), 2015. Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Dans une interview avec Global Voices, Adham a évoqué comment ses expériences d’enfance ont façonné son art, mettant l’accent sur des thèmes tels que la mémoire, le traumatisme, l’identité, et l’exploration de figures mythologiques pour relier le passé au présent.

Voici des extraits de l’interview :

Omid Memarian (OM) : Comment vos expériences d’enfance ont-elles influencé votre développement en tant qu’artiste ?

Sadegh Adham (SA) : J’ai grandi au Khouzestan, une région où l’esprit et la forme de la mythologie résonnent fortement. Mon enfance dans cette ville ancienne, avec son architecture unique et sa civilisation, m’a inspiré et a constitué une base pour créer des œuvres qui, peut-être, sont moins explorées aujourd’hui.

OM : Comment les figures mythologiques de la région, notamment d’Iran, inspirent elles votre art, et comment reliez vous le passé au présent à travers ces personnages ?

SA : Je crois que nous vivons à la surface du passé, en expérimentant quelque chose de nouveau. Plus nous valorisons ces racines dans l’art et la vie, plus les bases de la création artistique seront solides, car nous pouvons nous appuyer sur l’authenticité de notre héritage historique pour créer des œuvres profondément ancrées dans la culture et l’histoire. Vous êtes un produit et une définition d’une époque politico-sociale spécifique, symboliquement en train de continuer et de développer la culture du passé.

Sadegh Adham, Rostam, Bronze, H183 x W57 x D31/5 cm, H72.2 x W22.4 x D12.4 inches. Image courtesy of the artist.

Sadegh Adham, ‘Rostam,’ Bronze, H183 x W57 x D31/5 cm (H72.2 x W22.4 x D12.4 in). Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

OM : Qu’est-ce qui a motivé votre série « Guerre », et comment avez-vous créé une collection ancrée dans une expérience personnelle tout en restant accessible à un public mondial ?

SA : Je crée souvent des œuvres basées sur mon parcours de vie. Cette collection étant ma première expérience de la sculpture, et en raison de ma vie dans le sud de l’Iran et des expériences tangibles de la guerre [entre l’Iran et l’Irak, 1980–1988] et de son impact psychologique et émotionnel. Elle représente peut-être la naissance de cette tumeur maligne en moi, exprimée à travers l’art. J’ai toujours voulu interpréter la guerre différemment, et ces œuvres sont le fruit de mon expérience personnelle pendant la guerre Iran-Irak.

OM : Vous avez mentionné qu’une partie du rôle d’un artiste est de susciter des questions et que l’imperfection peut évoluer en quelque chose d’acceptable et de parfait. Qu’est-ce qui a inspiré cette perspective ?

SA : Au début de ma carrière, je réalisais des sculptures réalistes, mais mon insatisfaction envers ce style m’a poussé à chercher de nouvelles formes et significations. En introduisant des imperfections et en développant peu à peu une compréhension plus profonde de la beauté, mon objectif était de créer des œuvres qui, au-delà de leurs défauts, deviennent complètes en elles-mêmes. Chaque jour, j’aspire à élargir ma perspective, en mêlant sens et forme, pour transcender le monde matériel et entamer un voyage de signification. Ces œuvres invitent l’humanité à un voyage esthétique, libéré des biais politiques et sociaux.

Sadegh Adham, No.2, 2020, 99 x 58 x 21 cm, 39 x 22.8 x 8.3 inches. Image courtesy of the artist.

Sadegh Adham, Numéro 2, 2020, 99 x 58 x 21 cm (39 x 22.8 x 8.3 in). Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

OM : Comment gérez-vous la contradiction entre imperfection et perfection dans votre processus créatif, et quelle est votre conception de l’imperfection en art ?

SA : Je crois que l’imperfection fait partie de notre nature humaine. Lorsqu’on l’accepte consciemment, elle peut être nourrie et développée. Nier l’imperfection, c’est en réalité le début de la créativité dans les œuvres. Plus nous recherchons l’imperfection, plus nous réalisons qu’il existe un monde décisif et mystérieux derrière elle, et en l’acceptant, nous comprenons que la perfection marque la fin du chemin.

OM : Comment votre migration de Masjed Soleiman à Téhéran a-t-elle influencé votre perspective artistique, et quelles différences peut-on observer dans les thèmes, les sujets et l’atmosphère de vos œuvres après ce changement de lieu ?

SA : En 2009, lorsque je voyageais fréquemment entre Téhéran et Shushtar — l’une traditionnelle et petite, l’autre relativement moderne avec ses immeubles de grande hauteur — j’ai vécu une contradiction, un paradoxe. J’ai ressenti une sorte de suspension dans mes œuvres, quelque part entre le sommeil et l’éveil, où cette contradiction semblait créer en moi un sentiment d’incertitude. Je passais trois jours dans une ville et trois jours dans l’autre. Cette différence d’espace, avec ses villas anciennes et ses gratte-ciel modernes, donnait l’impression que le temps s’écoulait lentement dans une ville, tandis qu’à Téhéran et dans les villes industrielles, le temps semblait toujours être compté.

Sadegh Adhma. Sans titre. 2018. Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

OM : Dans la collection « Sufi », comment avez-vous atteint une perspective poétique et mythologique dans votre expression artistique, et comment ce point de vue a-t-il influencé la forme et le contenu de vos œuvres ?

SA : Au départ, le Shâhnâmeh (ou Le Livre des Rois) représentait pour moi une épopée, mais plus j’ai exploré cette œuvre, plus je me suis rendu compte qu’il s’agissait en réalité d’un voyage de découverte de soi. Même le moment où Rostam tue son propre fils de ses mains m’a paru être une manière pour Rostam de tuer sa propre respiration afin d’atteindre un chemin supérieur et transcendant. Le Simorgh symbolise pour moi une forme de témoignage, et pour moi, le Shâhnâmeh est devenu davantage un chemin de croissance spirituelle qu’un récit de héros.

 

Sadegh Adham, Cow, Bronze, H36 x D45 x W23 cm, H14.2 x D17.7 x W9.1 inches. Image courtesy of the artist.

Sadegh Adham, ‘Vache,’ Bronze, H36 x D45 x W23 cm (H14.2 x D17.7 x W9.1 in). Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

OM : Comment établissez vous cette connexion mondiale dans vos œuvres, et quels éléments de la culture et de l’art iranien y mettez-vous en avant ?

SA : Dans mes œuvres, en particulier celles inspirées du Shahnameh, j’ai cherché à utiliser des formes simples et complètes telles que des cercles, des carrés et des cylindres. En mélangeant ces formes avec l’architecture iranienne — en mettant particulièrement l’accent sur l’architecture iranienne — j’ai pu atteindre une expression unique au sein de l’école Saqqā-ḵāna. Je crois que le seul véritable style iranien ayant un impact profond, mais qui malheureusement est resté à la surface, est l’école Saqqā-ḵāna. À travers l’étude de l’art iranien en sculpture, j’aspire à l’élever à un niveau différent.

Sadegh Adham. ‘Vie Urbaine .’ 2013. Photo partagée avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Écrit par: Viewcom04

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