minute de la rédaction
S’il est des lieux où l’absurde s’invite à la table du réel, Haïti en est le théâtre par excellence. Là-bas, le grotesque se confond avec la gouvernance, et la politique, tel un carnaval sans fin, se pare tour à tour des atours du drame, de la farce et de la tragédie. Sous les projecteurs de cette scène chaotique, surgit Smith Augustin, ex-ambassadeur de facto et aspirant improbable au trône du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Figure hybride, à la fois comédien de l’arène politique et stratège d’arrière-cour, Augustin s’offre aujourd’hui un rôle de premier plan dans ce vaudeville national, rêvant d’asseoir son pouvoir là où la République tangue, là où l’État n’est plus qu’un décor en carton-pâte.
Pourtant, il fut un temps – si l’on peut appeler ainsi les heures creuses de la justice haïtienne – où Smith Augustin se vit éclaboussé par les remous d’un scandale retentissant : celui de la Banque Nationale de Crédit (BNC). Fraude, détournements, un florilège d’accusations aussi lourdes que le silence des institutions. Mais que l’on se rassure : en Haïti, l’éthique se plie aux logiques de pouvoir comme la canne sous la machette. Augustin, loin de ployer sous le poids des soupçons, trouva la parade suprême : placer son juge à l’appel. Un juge, dit-on, choisi avec la précision d’un horloger et la loyauté d’un domestique. Résultat ? Lustré, nettoyé, « blanchi » — comme si la corruption elle-même avait ses lessives certifiées. Ainsi, l’ancien diplomate ressortit de ce bain judiciaire immaculé, prêt à reconquérir la scène politique avec l’assurance de ceux que la République n’ose plus inquiéter.
Le tour de passe-passe, quoique prévisible, n’en reste pas moins une démonstration éclatante de ce qu’Haïti sait faire de mieux : transformer la justice en une pièce de théâtre où les rôles sont distribués à l’avance et où la sentence, bien avant d’être prononcée, est déjà digérée par les arcanes du pouvoir. La magistrature haïtienne, ce vaisseau à la dérive, se prête depuis longtemps à ces mises en scène, où l’impartialité n’est qu’un masque et la vérité, un simple accessoire de décor.
Ainsi, fort de sa rédemption orchestrée, Smith Augustin revient hanter la sphère politique avec l’énergie d’un phénix aux ailes pleines de cendre. Il lorgne désormais sur le Conseil Présidentiel de Transition, ce carrefour incertain où s’agglutinent ambitions débridées, querelles intestines et illusions démocratiques. La transition, en Haïti, n’est plus une étape : elle est devenue un mode de gouvernance, une sorte de ronde infernale où les présidents intérimaires se succèdent comme des figurants interchangeables, sans jamais écrire la moindre ligne d’avenir.
Que désire donc Smith Augustin ? Officiellement, le salut national. Officieusement, le contrôle de leviers financiers d’un État exsangue, où le Fonds National pour l’Éducation (FNE) — surnommé « la vache du régime » — continue de nourrir des appétits féroces. À défaut d’idéal, l’homme s’accroche aux symboles du pouvoir, ces trônes fragiles que l’on dispute comme on pille un trésor en perdition.
Mais derrière le masque d’Augustin se cache un drame plus vaste. Car Haïti n’est pas seulement la scène de ses ambitions ; elle est la victime d’un système où la trahison est vertu et où la corruption s’érige en colonne vertébrale de la gouvernance. Le pillage de la Banque Nationale de Crédit par des élites formées gratuitement à l’Université d’État d’Haïti n’est qu’un épisode de plus dans la longue série des spoliations nationales. Ces intellectuels, censés incarner l’avenir du pays, préfèrent le dépouiller, troquant le savoir contre le profit, la citoyenneté contre le lucre.
Et pendant ce temps, la République suffoque. Les gangs, véritables seigneurs des périphéries, étendent leur empire : 90 % de la périphérie de Port-au-Prince est aujourd’hui sous leur coupe, transformant la capitale en un archipel de zones interdites. Les chiffres de Transparency International, implacables, confirment l’enlisement : Haïti, avec un score dérisoire de 16 sur 100, campe parmi les nations les plus corrompues du globe. Et le monde, lassé de ce naufrage répétitif, détourne peu à peu le regard, condamnant Haïti à une marginalisation croissante.
Mais la farce ne s’arrête pas là. L’avenir des Haïtiens à l’étranger s’obscurcit, notamment aux États-Unis, où les mesures migratoires attendues après le 3 août 2025 risquent d’ajouter au drame national une tragédie diasporique. Et dans ce contexte d’urgence et de désespoir, que fait Augustin ? Il rêve toujours du pouvoir, croyant, peut-être, que la clef du chaos se trouve dans son ambition personnelle.
Et l’on rit. Oui, l’on rit de ce spectacle, mais d’un rire jaune, d’un rire nerveux qui cache mal la fatigue et la rage. Car cette comédie nationale, loin de se limiter aux exploits d’un seul homme, est le miroir brisé d’un pays où l’espoir lui-même semble s’être lassé de revenir. Smith Augustin n’est pas l’exception : il est la règle. Le symptôme criant d’un mal plus vaste, plus ancien, plus profond.
Alors, jusqu’à quand ce théâtre ? Jusqu’où cette mascarade pourra-t-elle se poursuivre avant que les rideaux ne tombent, non dans les applaudissements, mais dans un silence épais et accablé ? Haïti n’est pas un décor : c’est une nation. Et si elle continue d’être traitée comme une scène de cabaret politique, elle risque bien de s’effacer des planches — pour de bon.
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