Listeners:
Top listeners:
RADIO DROMAGE
Ce texte est le fruit de ma profonde réflexion sur Haïti, mon pays que j’aime tant. Il est aussi une analyse politico-juridique qui pourrait donner lieu à un vrai débat de société. Haïti ne cesse d’être scandalisée à l’intérieur comme à l’extérieur. Après avoir lu cet avant-projet, je suis vraiment sidéré.
En effet, de la note de présentation à la rédaction « du projet de Constitution », on ne retrouve qu’un ensemble de concepts mal connus, d’allégations, de rédactions d’articles farcis de confusion. Contrairement aux constituants de 1987 qui ont donné un projet relativement acceptable, les experts de 2025 ont produit un texte, en partie, de mauvais goût, dit-on, « jetable ». Un avant-projet de Constitution est par nature débatteur, d’autant que je croyais entendre parler d’une « conférence nationale ». L’avant-projet de Constitution devait être la résultante de yon vrè chita pale (d’un vrai dialogue), et non d’une conférence imaginaire ou bâclée. Bien entendu pour ceux qui acceptent de jouer le jeu de modifier la Constitution de 1987.
A ma grande surprise, ils ont recouru également à l’importation du droit public français et de celui américain. Ces droits étrangers ont été déjà transformés en Haïti en une véritable gigantesque déformation du droit importé. On a l’impression que rien n’est réglé en Haiti. On constate aussi une véritable confusion entre la notion de constitution et celle de lois organiques, qui m’indispose à plus d’un titre. La longueur du texte en témoigne et semble s’éloigner de toute démarche méthodologique. Les experts s’autorisent de parler et d’écrire au nom du peuple sans qu’ils soient habilités. Cela est considéré comme une parjure, n’en déplaise aux collègues, camarades et amis. Car persister dans l’erreur est plus qu’une faute et la reconnaitre est une qualité humaine. J’attendais vainement des mea culpa.
Il faut comprendre qu’une Constitution, étant écrite, est un texte fondateur qui doit être complété par des lois organiques. Le prétexte allégué pour changer la Constitution de 1987 est comme un arbre qui cache la forêt. C’est un stratagème qui dissimule une mentalité anti-démocratique et une conception patrimoniale de l’État qui détruisent graduellement les fondements de l’État haïtien. La démocratie se construit avec une culture démocratique. Elle se construit avec un minimum de bien être pour tous. Contrairement à la démocrature qui s’installe en Haïti depuis 1987, la démocratie se construit avec un ensemble d’institutions solides où le principe de reddition de compte ne souffre d’aucune exception. Quand on a une Constitution, il faut commencer par en respecter les règles. Quoi qu’on dise d’elle, la Constitution de 1987 ne saurait être responsable de la « mal administration haïtienne ».
Disons par exemple que la Constitution de 1987 n’y est pour rien dans l’affaire BNC, qui aboutit provisoirement à une parodie de justice. Un licencié en droit à la fleur d’orange pourrait comprendre aisément la notion d’agent public au titre de la Convention des Nations unies contre la corruption, dont Haïti est membre depuis 24 mai 2007. À cette Convention multilatérale, le droit haïtien s’est adapté le 12 mars 2014. Depuis lors, un nouveau courant du droit pénal spécial fait son entrée dans la fonction publique y compris les postes politiques. Le droit public (international haïtien) définit, un président, un parlementaire, un ministre et j’en passe, comme des agents publics en matière de corruption. Par probité, je fais mienne la position publique et argumentée de Me Samuel MADISTIN selon laquelle tout agent public est justiciable devant les tribunaux de droit commun. Le professionnalisme et le courage du Magistrat Lyonel C. BOURGUOIN, ex-Commissaire du Gouvernement au Parquet de Port-au-Prince, méritent d’être salués avec respect et honorabilité dans le cadre de cette affaire. Son transfert déguisé n’est qu’un actif qui enrichit son patrimoine. En Haïti, un ministre de la Justice qui veut aider au redressement des parquets se doit être indépendant au sein même de son gouvernement. Ce disant, il doit toujours être prêt à donner sa démission. Quant à notre confrère, Me Guerby BLAISE, avocat de l’un des trois inculpés au pouvoir, il a fait un usage stratégique du droit, ce qui est humainement et professionnellement compréhensible. La justice haïtienne s’en est sortie affaiblie comme à l’accoutumée. À tort ou à raison, elle est toujours traitée comme le parent pauvre de l’administration. N’allez pas trop loin pour décortiquer les causes d’un tel traitement. En tout état de cause, c’est le peuple qui en fait les frais. Ce qu’on doit retenir en l’espèce, le CPT éclaboussé n’inspire pas confiance et tombera de son propre poids. En outre, il faut rappeler, en principe, qu’on ne peut civiliser ni le pragmatisme du droit administratif ni un accord politique, voire un décret qui, est, à mon humble avis, un pseudo acte législatif. La Constitution est aussi innocente dans le scandale de la diplomatie qui valorise le droit de cuissage. Bref, elle n’y est aussi pour rien dans la mise en place des pouvoirs de facto qui donnent les coudées franches à la corruption. Au contraire, elle est bafouée dans un processus démocratique allant de crise en crise. Cessons d’accuser la Constitution !! Il n’existe pas de constitution parfaite. Il serait plus logique d’accuser ceux ou celles qui violent la règle des règles et s’enrichissent au détriment de la population avant et après 1987. Ils sont nombreux à être vivants et jouissent de leur butin en toute quiétude. Qui pis est, ils sont mieux valorisés par certains médias derrière lesquels se cachent certains patrons qui font leur beurre dans la fraude fiscale.
Il parait étonnant que personne ne puisse s’expliquer sur la méthodologie et les critères objectivés en vertu desquels auraient été choisis ces experts. Ces derniers semblent nous conduire vers une autre crise, celle de la réforme constitutionnelle. Tout cela se passe avec des gouvernements de facto qui ont du mal à s’inspirer de la doctrine des pouvoirs de fait qui remonte à la première Guerre mondiale. Je dis bien « s’inspirer ». De 1987 à date, Haïti n’a jamais connu une démocratie opérationnelle. La Constitution est l’unique accusée qui se retrouve sur la sellette.
Après l’assassinat du Président Jovenel MOISE, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, deux gouvernements humanitaires Made in USA se sont succédé. Le premier avec M. Ariel Henri, ex Premier ministre qui a été installé à la faveur d’un tweet de l’ambassade américaine en Haïti et le deuxième est l’œuvre apparente de « Hautes personnalités » de la Caricom dont les USA tirent les ficelles comme de véritables marionnettes. C’est le CPT et le Gouvernement Fils AIMÉ conspués qui veulent imposer au peuple haïtien une constitution toute faite et ambiguë. Or, le droit public ne s’importe pas à moins que cela se fasse entre deux ou plusieurs peuples qui ont les mêmes cultures et le même niveau de développement. Le projet de changer la constitution est donc chimérique tant sur la forme qu’au fond. Á coté des enjeux que cette initiative porte en elle-même, je voudrais jeter un éclairage sur l’illégitimité ou légitimité des tenants du pouvoir (1) par rapport à ce projet de réforme qui s’annonce avec tant de confusions (2).
Souvent, on entend dire qu’un gouvernement de facto est illégal et inconstitutionnel. C’est une incompréhension qui mérite d’être pardonnée. Car cette façon de parler est due à une méconnaissance de la nature des pouvoirs de facto ou à une erreur d’attention. Un pouvoir de facto n’a vocation à être ni légal ni constitutionnel. Il est essentiellement antidémocratique en raison de sa nature.
Selon le dictionnaire d’administration publique, le mot légitime vient du latin legitimus et signifie « fixé par les lois, conforme aux lois ». A ce titre, la légitimité renvoie à un niveau de conformité à la loi ou à une institution. Dans une logique juridique positiviste, il s’agit d’une légitime légale ou constitutionnelle. Elle est donc formelle. Elle revêt aussi un caractère subjectif suivant lequel chacun peut s’en faire une idée. Selon Max Weber et F. Scharpf, il existe plusieurs types de légitimité : « la légitimité par les procédures, les résultats, les croyances partagées et celle internationale ».
Alors un gouvernement de facto peut bien être légitime. Les adminîstrativistes sont quasi-unanimes à reconnaitre que la légitimité administrative s’apprécie et s’explique par la satisfaction de l’intérêt général. C’est la légitimité « par les résultats ». Car le service public se définit comme une activité d’intérêt général. Avec cette équipe composée en grande partie d’anciens opposants au pouvoir de l’ex- Président Jovenel Moise, la conception patrimoniale de l’État atteint son paroxysme et l’État haïtien n’est plus un bloc de services publics. C’est la personnalisation du pouvoir qui s’impose.
Dans ce contexte, un budget dit de guerre est loin de résoudre le problème d’insécurité. Comme on dit souvent un problème mal posé n’aura aucune solution. L’insécurité qui s’installe en Haïti depuis 2019 est symptomatique d’une crise séculaire plus profonde. Un budget de guerre sera une boîte de pandore et un moyen sûr permettant aux détenteurs du pouvoir de s’enrichir beaucoup plus. Les actes de corruption qui leur sont reprochés jouissent d’une totale impunité. La justice étatique est défaillante et s’est révélée incapable de se prendre en charge. Les membres du CPT sont de véritables jouisseurs, insouciants et minables. Le Gouvernement Fils- AIMÉ, n’étant pas à la hauteur de ses responsabilités, s’enrichit et patauge dans la démagogie en faisant de fallacieuses promesses. Les élections annoncées et le soi-disant référendum ne sont que des ballons d’essai. Il est inconcevable qu’un CPT scandalisé qui viole son propre accord puisse prétendre pouvoir doter le pays d’une nouvelle Constitution et organiser des élections qui sincérisent le vote. C’est la faillite morale. Sur la base de ces faits, on peut conclure que les tenants actuels du pouvoir n’ont aucune légitimité administrative. J’invite donc les personnalités crédibles aux yeux du peuple à se regrouper et se positionner pour une véritable transition crédible qui sera administrativement légitime.
Après la chute de la dictature des Duvalier (père et fils), Haïti s’est doté d’une Constitution rigide depuis 1987. Dans un État à constitution rigide comme le nôtre, la Constitution ne peut être révisée qu’au moyen d’une procédure très spéciale. Cette procédure est prévue par les articles 282 à 284- 4 de la Constitution de 1987. Et le pouvoir constituant originaire qu’est le peuple interdit toute « consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum ». La Constitution parle d’amendement qui est un anglicisme emprunté aux américains. Il s’agit de la procédure de révision relevant de l’apanage du parlement. En fait, dans quels cas peut-on élaborer une Constitution ? La doctrine publiciste fait état de deux cas principaux : la naissance d’un État nouveau, c’est le cas par exemple (Haïti 1805, la Constitution impériale et 1987, la république, États -Unis 1787 avec son système fédéraliste) et lorsqu’on se retrouve face à l’effondrement d’un régime politique comme la France en 1944 et en 1958 avec la 5e République). Il en existe deux autres cas : Un pouvoir qui émane d’un coup d’État et tous autres cas où le pouvoir relève de l’autoritarisme. En Haïti c’est l’ordre constitutionnel qui s’est effondré. Le régime politique considéré comme hybride avait déjà été dégénéré en une confusion de pouvoirs. Dans cette confusion, l’Exécutif et les majorités parlementaires se complotent très souvent contre le peuple. Dans cette dynamique de recul, Haïti est devenue le théâtre d’une suite de Gouvernements de facto. Le moindre mal c’est de retourner au peuple qui doit se prononcer sur l’opportunité de modifier la Constitution. Mais là encore, il y a un risque et je me réserve le droit de l’aborder éventuellement.
Le projet de modifier la Constitution est ambigu. Un observateur néophyte peut constater qu’aucune disposition constitutionnelle n’a été mise en veilleuse. Les tenants du pouvoir refusent d’assumer cette réforme voulue par césarienne. Malgré le tollé que suscite le projet de Constitution, aucune version en créole n’a été publiée. Cela discrimine plus de 80% de la population haïtienne ne parlant et ne comprenant le français et constitue une violation flagrante de l’article 43 du projet contesté. Que peut-on espérer dans une telle situation quand les experts sont incapables de respecter leur propre œuvre ? Ce projet est un bricolage entre le texte de 1987 et de nouvelles dispositions additionnelles très mal articulées. Ce texte de 240 pages a repris plusieurs axes du texte de 1987 qui sont très intéressants. Pourtant, les experts se perdent dans la confusion et dans des redondances inutiles et incohérences.
Par exemple, l’article 39 sur le droit de propriété prévoit qu’une loi en déterminera les modalités et la jouissance. Il est donc intitulé de venir avec un article 59 qui donnera les détails sur le droit de propriété immobilière accordé à l’étranger. Je suis désolé de préciser que cela traduit une méconnaissance du droit constitutionnel, du droit privé, du droit des investissements et de manière plus basique, celui des contrats qui mérite d’être réformé. Par exemple le droit de préemption repris et accordé aux habitants des communes pourrait être de l’apanage du Pouvoir central pour des motifs d’intérêt général. Le contrôle se fera par le biais des notaires moyennant la mise en place d’une e-administration. Cela nous épargnerait une urbanisation diffuse et la gestion anarchique du territoire et de nos terres cultivables. Ainsi, on n’aura aucun souci pour faire face aux étrangers qui veulent acquérir d’immeubles en Haïti puisque la question doit être réglée dans une perspective développementaliste.
Cette réforme est indispensable si l’on veut qu’Haïti puisse devenir un pays attractif en matière d’investissement. Permettez que je rappelle à ces experts qu’on ne dit pas tout dans un projet de constitution. Prenons la question de collectivités territoriales, une importation du droit public français, elle n’est pas bien adressée par le nouveau texte. Les experts se contentent de les réduire à deux niveaux sans une étude d’impact au préalable. Voyons aussi la question de prestation de serment du Président de la République, les articles 122 et 27 ne s’accordent pas et portent atteinte au principe de laïcité qui n’y est pas posé expressis verbis. Quant à l’article 135 du projet, les experts se convertissent en apôtres de notre malheur en prévoyant « le vide législatif ». Ils semblent vouloir qu’Haïti ne soit pas dotée d’une démocratie opérationnelle. En général les pouvoirs de l’État sont de véritables services publics qui obéissent au principe de permanence ou de continuité. C’est vraiment gravissime de penser à un vide législatif dans un projet de constitution. De surcroit, le régime politique assorti de ce projet constitue un recul notable par rapport aux acquis théoriquement démocratiques du texte de 1987.
Le mal haïtien semble être plus profond qu’on ne l’aurait pensé. Les articles 120 et suivants du projet sur l’élection du président donnent trop de détails qui devraient être traités dans un code de justice électorale ou dans une loi ou encore dans un décret électoral. Permettez que je définisse la Constitution comme étant un texte fondateur qui contient « essentiellement les règles d’organisation générale des pouvoirs publics ». L’article 172 fait référence aux professeurs et juriste de haut niveau ; il semble que seuls les experts sachent les critères pour être un juriste de haut niveau ; l’art. 172- 4 parle de « bonne moralité et de grande probité » ; de telles expressions renvoient à la subjectivisation et n’ont pas leur place dans un projet de Constitution. En outre l’article 173 sur le conseil électoral semble être rédigé par des experts étrangers qui n’ont aucune maitrise de la réalité haïtienne. Généralement, les conseillers électoraux en Haïti n’ont aucune idée en droit électoral ou en droit du contentieux électoral. La présence de Me Léon Saint-Louis et celle de tant d’autres comme experts qui ont compétences dans le domaine pourraient éviter de telles grossièretés. Cet article se retrouve, parmi tant d’autres, qui va tenir Haïti dans une crise post-électorale indéterminable. L’article 207 sur la carrière administrative est très mal rédigé et entre en conflit avec le principe du concours qui relève du droit administratif spécial. Au niveau de l’article 32 on prévoit un système de parrainage qui ne tient pas compte de la réalité locale. Cet article devrait faire obstacle aux candidatures fantaisistes à tous les niveaux. Ma plus grande surprise est que le texte est muet sur la responsabilité pénale des membres du gouvernement en matière de corruption. Les experts n’ont tiré aucune leçon du phénomène de la corruption en Haïti qui est avant tout politique. Au moins, ils devraient se renseigner auprès d’anciens parlementaires de la 50eme législature, notamment ceux qui ont eu le courage d’introduire la mise en accusation de l’ex -Président Jovenel Moise. Ce projet de Constitution a repris la Haute Cour de justice pour garantir une totale impunité à ceux ou celles qui auront mérité d’être jugé.es pour crime de haute trahison.
Or, en matière de gestion de la res publica, le principe de la reddition de compte au pénal et celui de la transparence financière se révèlent indispensables dès lors qu’on prétend évoluer dans une forme de démocratie. Quant à la justice de l’ordre judiciaire, les experts se sont vraiment fourvoyés en méconnaissant globalement les vrais problèmes auxquels est confronté le système judiciaire. Pour ce qui relève de la justice de l’ordre administratif, on reprend la même litanie qui fait d’elle une institution politisée dès sa naissance et incapable de bien remplir sa mission de contrôle et celle sanctionnatrice. Je crois avoir dit tout ce qui pourrait aider mon pays à retrouver sa fierté effritée. Par ces quelques lignes, l’histoire retiendra que je ne me suis pas croisé les bras face à cette situation délétère et révoltante.
Par Joseph Manès LOUIS, av
Doctorant en droit public (Laboratoire CREDESPO, Université Bourgogne Europe/Grenoble)
Juriste d’affaires internationales/relations internationales.
Magistrat de formation/ ancien CG de Port-au-Prince.
Ce, 26 juin 2025.
A lire aussi :
Examens d’État 2025 : le MENFP lance la première phase et dévoile le calendrier complet
Écrit par: Viewcom04
1
play_arrowK-Dans
2
play_arrowDjakout #1
3
play_arrowHarmonik