Un dicton souvent évoqué, dans les rouages gouvernementaux, quand éclatent des scandales, s’exprime en ces termes : «Le linge sale se lave en famille ». Ces paroles ne semblent pas tenir, dans le monde d’aujourd’hui, dominé par les réseaux sociaux. Grâce à ces derniers s’ajoutant aux organes de presse traditionnels, les trois membres du Conseil présidentiel de transition (CPT) impliqués dans le scandale des 100 millions de gourdes (760 000 $) de la Banque nationale de crédit (BNC) font la une, leurs noms se trouvant sur toutes les lèvres, surtout dans le mauvais sens. En sus de susciter des commentaires des plus défavorables, dans tous les journaux qui se respectent, y compris des grands quotidiens internationaux à grand tirage.
En effet, depuis plusieurs semaines, les noms de trois conseillers présidentiels défraient la chronique, exposant les méfaits de ces derniers, au monde entier, qualifiés de « scandale BNC ». Smith Augustin, représentant la coalition « EDE-RED-Compromis historique », au sein du CPT; l’Accord du 21 décembre, qui y a, de son côté, nommé le Dr Louis Gérald Gilles; et la formation politique Pitit Dessalines, qui a élu Emmanuel Vertilaire. Ces trois membres de l’Exécutif intérimaire tournant, la plus haute instance politique du pays, sont au cœur d’un méga scandale. L’ex-président de la Banque nationale de crédit (BNC), Raoul Pierre-Louis, les a accusés de lui avoir réclamé la somme de 100 millions de gourdes (760 000 $) pour être maintenu dans cette fonction.
Parvenus au pouvoir, dans un contexte de dénonciation systématique, quasiment générale, de la corruption, on s’imaginait que les membres des deux branches du gouvernement, le CTP multicéphale de neuf membres (dont sept dotés du pouvoir de vote et deux observateurs), et la primature, devraient être au-dessus de tout soupçon. Mais à peine quelques semaines après leur entrée en fonction, tour à tour, le 25 avril 2024 et le 12 juin 2024, ces trois conseillers-présidents n’ont pu résister à la tentation d’exécuter ce qu’ils considéraient être leur objectif premier.
Ce geste des trois membres du CPT confirme les préoccupations émises, dès le début, par Haïti-Observateur, dénonçant la mise sur pied de la présidence multiforme, structure inventée par les secteurs ayant participé aux discussions qui ont abouti à la formation de ce système gouvernemental inconstitutionnel créé, non pour défendre les intérêts du peuple haïtien, mais plutôt pour s’offrir des créneaux leur permettant de grossir leurs comptes en banque. En ce sens, il y a fort à parier qu’une enquête approfondie révèlerait d’autres scandales du même genre imputables à ces trois hommes, voire même à d’autres, qui n’ont pas été encore dénoncés. Car tel est le motif derrière la création de ce mode d’Exécutif. De toute évidence, histoire de fournir au plus grand nombre de conseillers présidentiels l’occasion de ramasser, à leur tour, des millions.
Mais où est l’indignation, qui aurait dû se manifester chez les autres membres du CPT, ou encore à la primature, en dépit du fait que les deux membres non-votants de cette institution aient réclamé le retrait pur et simple de MM. Gilles, Augustin et Vertilaire de l’institution présidentielle ? Au fait, bien que les dénonciations de cet acte de corruption flagrante fusent de toutes parts, notamment dans la presse non stipendiée, de la société civile et d’autres secteurs de la vie nationale d’Haïti, les décideurs politiques restent terrés dans leur silence, une attitude objectivement assimilée à la solidarité envers les trois membres dénoncés de corruption du CTP. Faute de trouver une expression moins hostile pour caractériser cette entité, avec trois conseillers-présidents sur 7, moins les deux membres non-votants, le CPT est corrompu à 0,6 %.
Quand la réalité sociopolitique d’Haïti est exposée au monde entier, comme elle s’affiche présentement, on peut imaginer ce que pense le monde de la majorité des Haïtiens. Avec de telle donnée, à quel espoir d’un renouveau peut-on s’attendre ? Mais cette situation est encore plus grave. Alors que, chez les pays dits « partenaires d’Haïti », la démission des accusés se fait automatiquement, en raison de telle accusation, sous l’administration intérimaire, présentement, le lanceur d’alerte est celui qui essuie la punition des décideurs. Aussi Raoul Pierre-Louis a-t-il été banni de la présidence du Conseil d’administration du BNC. Pourtant, les trois présumés corrompus, Gilles, Augustin et Vertilaire, restent fermement à leur poste, malgré le blocage que cela entraîne au CPT.
Dans de telles conditions, l’observateur objectif n’est-il pas, le plus naturellement du monde, susceptible de conclure à l’impossibilité de nettoyer les écuries d’Augias, par rapport à la corruption ? Ou tout au moins une gageure dans le choix de dirigeants crédibles et intègres, en Haïti ? Mais l’attitude des secteurs ayant fait choix de ces trois hommes constitue une autre couche de révélations de la « réaction naturelle » des trois présidents-conseillers. Si le groupe de l’Accord du 21 décembre avait, assez tôt, évoqué la mise à l’écart de leur candidat, le Dr Gilles, les deux autres secteurs ont, carrément, résisté à une telle idée. Dans un premier temps, la coalition « EDE-RED-Compromis historique » réitérait son support du maintien en poste d’Augustin, assimilant les révélations de Pierre-Louis à une conspiration visant à écarter leur candidat du leadership du CPT.
Dans un second temps, un schisme s’est produit au sein de cette structure, à la faveur d’un revirement de Claude Joseph, désormais partisan du bannissement de la structure présidentielle du représentant de la formation politique dont il fait partie. Une décision attribuée à la visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui aurait, dit-on, formulé une « annulation de visa » à son encontre. Quant à l’organisation politique Pitit Dessalines, dont le chef de file est l’ex-sénateur et ancien candidat à la présidence Moïse Jean-Charles, son appui de Vertilaire reste encore inchangé. Bien que, après sa rencontre avec M. Blinken, l’ancien parlementaire ait modifié un peu sa position, disant qu’il faut encore du temps à Pitit Dessalines avant d’arriver à une telle décision.
À ce tournant, soit des semaines après l’éclatement de ce scandale au sein du CPT, les trois conseillers présidentiels dénoncés pour corruption n’affichent aucune volonté de se retirer, chacun d’eux ayant élaboré des défenses individuelles et séparées, mais tous évoquant le principe de « présomption d’innocence ». Il semble que cette attitude s’inspire de l’attente de la publication prochaine de l’enquête sur cette affaire lancée par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). Mais les secteurs proches des trois conseillers-présidents mis en cause ont élaboré une stratégie d’intimidation dirigée contre l’ex-président du Conseil d’administration de la BNC, dont l’objectif consiste à le diaboliser, attaquant sans réserve son refus d’une confrontation directe de MM. Gilles, Augustin et Vertilaire.
En effet, M. Pierre-Louis avait toujours posé, comme condition de cette confrontation, le retrait du CPT des trois conseillers à l’origine du scandale ayant éclaté à la BNC. Et pour cause ! Quand bien même Haïti ferait l’expérience d’une présidence multicéphale, moins les membres votants du CPT, les sept membres votants ont chacun le poids d’un chef d’État individuel dans les grandes décisions de l’administration publique. Autrement dit, autant la présidence monocéphale met son poids dans la balance, par rapport aux verdicts publics, autant aussi, pris individuellement, les membres du CTP influencent les jugements officiels. Surtout, en Haïti, où la Justice est vassalisée par l’Exécutif. C’est donc par crainte de se voir faire le dindon de la farce, dans cette affaire, que l’ancien chef du Conseil d’administration de la BNC se rebiffe contre l’idée de confronter « trois présidents » et non « trois citoyens ». Un tel scénario conforterait bien la primature et le reste du CPT, qui seraient soulagés du devoir d’intervenir dans ce dossier.
Bien que, d’un côté comme de l’autre, le silence soit maintenu, en ce qui concerne le point de vue émis par Antony Blinken sur l’affaire des 100 millions de gourdes (789 000 $), le fait par les parties de modifier leurs positions suggère la réprobation du chef de la diplomatie américaine de l’agissement des acteurs, tous niveaux confondus. Dans cet ordre d’idées, quand bien même les fils authentiques d’Haïti repousseraient l’attitude consistant à reconnaître les Américains comme étant les « donneurs d’ordres » aux dirigeants haïtiens, il faut leur imputer l’obligation de trancher,
dans le sens des intérêts du peuple haïtien, dans ce dossier. Car, pour avoir été le créateur du CPT et des primatures post-Jovenel Moïse, le gouvernement américain porte l’entière responsabilité des dérives accouchées par l’équipe placée à la tête du pays. Dans ce contexte, on peut dire que les Américains, quoi qu’ils disent et fassent, ont largement contribué à la promotion de la corruption en Haïti, une culture qui prévaut au sein de l’administration publique.
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