Acte de l'Indépendance d'Haiti

L’acte fondateur oublié : comment la Constitution de 1801 de Toussaint Louverture a préparé l’indépendance sans la déclarer

today2025-04-08

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Comment une Constitution signée au Cap devint un arrêt de mort à Paris! Toussaint Louverture et la Constitution de 1801 : genèse d’un projet d’autonomie étouffé par l’Empire

Le 7 avril 1803, dans la froide solitude du Fort de Joux, mourait Toussaint Louverture, artisan de l’autonomie de Saint-Domingue et auteur d’un acte juridique fondateur : la Constitution de 1801. Cet acte, à la fois politique, symbolique et stratégique, est considéré par de nombreux historiens comme le prélude véritable à l’indépendance d’Haïti, dont il incarne à la fois la vision, les tensions et la répression. Loin d’un geste unilatéral de rupture, cette constitution voulait concilier l’universel républicain avec l’émancipation locale, dans un équilibre que la France napoléonienne refusa de tolérer.

Une charte fondamentale dans un contexte post-esclavagiste

La Constitution du 8 juillet 1801 (14 messidor an IX) fut adoptée à l’initiative de Toussaint Louverture par l’Assemblée centrale de Saint-Domingue, réunie à Port-Républicain (aujourd’hui Port-au-Prince). Dans un contexte marqué par l’abolition de l’esclavage (1793, confirmée par la Convention en 1794), il s’agissait d’organiser juridiquement la vie dans une colonie désormais peuplée d’hommes et de femmes libres, tout en maintenant, du moins en apparence, le lien avec la République française.

Ce texte fondamental proclamait l’abolition définitive de l’esclavage, affirmait que « tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français » (art. 3), et réorganisait l’administration locale sur le modèle départemental français. Mais il contenait aussi des éléments d’une autonomie assumée : la nomination à vie du gouverneur général, en l’occurrence Louverture lui-même, ainsi que le droit de désigner son successeur. Ces dispositions furent interprétées par Bonaparte comme des gestes de défi à l’autorité centrale, voire comme une esquisse d’indépendance.

Un acte perçu comme séditieux par le Premier Consul

Dans une lettre adressée au gouvernement français, Louverture tenta pourtant d’adopter une posture légaliste. Il y affirmait que cette Constitution avait été conçue dans l’intérêt de la colonie, et qu’il la soumettait à la ratification du Premier Consul, par l’intermédiaire du colonel Vincent. Mais les autorités métropolitaines ne furent pas dupes. Pour Napoléon Bonaparte, cette Constitution représentait un acte unilatéral, portant atteinte à la souveraineté du peuple français. Il écrira plus tard à Louverture :

« La Constitution que vous avez faite, en renfermant beaucoup de bonnes choses, en contient qui sont contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple français, dont Saint-Domingue ne forme qu’une portion… »

Loin de calmer les tensions, cette correspondance renforça la détermination du Consulat à restaurer l’ordre colonial. L’expédition de Saint-Domingue, préparée depuis plusieurs mois, fut alors lancée avec célérité. À sa tête, Charles Leclerc, beau-frère de Bonaparte, accompagné de 25 000 hommes. Cette expédition, à peine voilée d’un langage diplomatique, visait clairement à rétablir l’ancien ordre, réduire Louverture au silence, et restaurer l’esclavage — ce que la France fera officiellement en Guadeloupe en 1802.

La capture de Louverture et le tournant de 1803

Toussaint Louverture, bien qu’engagé dans des négociations, fut arrêté en juin 1802, sous prétexte de complot. Déporté en France, il fut interné au Fort de Joux, dans le Jura. Il y meurt le 7 avril 1803, probablement de pneumonie aggravée par les conditions de détention. Sa célèbre réplique à Bonaparte dans une lettre restée célèbre souligne sa lucidité :

« Si je suis dans l’erreur, je la réparerai ; mais je ne puis croire qu’en servant mon pays, j’aie offensé ma patrie. Le poste que j’occupe n’est pas le fruit de mon ambition, mais celui des circonstances et du vœu de mes concitoyens. »

L’histoire lui donnera raison : son projet d’émancipation fut poursuivi par Jean-Jacques Dessalines, qui proclamera l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804. Toutefois, cette indépendance ne fut ni celle de Louverture, ni celle de la Constitution de 1801. Alors que cette dernière prônait une autonomie au sein de l’Empire, la rupture de 1804 fut totale, radicale, et accompagnée d’un rejet définitif de la France, confirmée par la Constitution impériale de 1805.

De 1801 à aujourd’hui : un legs toujours contesté

La Constitution de 1801 fut suspendue de facto dès l’arrivée des troupes françaises en 1802, et n’a jamais été reconnue par Paris. Elle demeure pourtant, historiquement, la première constitution adoptée sur le territoire haïtien. Elle inaugura une tradition constitutionnelle fondée sur la souveraineté populaire, l’égalité des droits, mais aussi sur une méfiance envers les velléités impérialistes.

Elle prévoyait, pour mars 1803, l’élection ou le renouvellement des membres de l’Assemblée locale. Mais à cette date, Louverture avait déjà disparu de la scène, et la guerre s’était généralisée. Ce n’est qu’en mai 1805, sous l’impulsion de Dessalines, que fut adoptée la seconde charte fondamentale d’Haïti, cette fois entièrement détachée de la France, et marquée par un nationalisme farouche : son célèbre article 12 interdisait à tout blanc de posséder une propriété sur le sol haïtien, clause qui survivra jusqu’au débarquement des troupes américaines en 1915.

L’histoire constitutionnelle d’Haïti commence donc dans une ambiguïté : entre fidélité proclamée à la République française et affirmation d’une autonomie de fait. La Constitution de 1801, tout en s’inscrivant dans la logique universaliste des Lumières, portait en germe une émancipation coloniale inacceptable pour l’ordre napoléonien. En cela, elle fut à la fois acte de gouvernance et déclaration d’indépendance, trahie dans sa lettre comme dans son esprit. Elle pose encore aujourd’hui une question fondamentale : une constitution peut-elle être à la fois un instrument de loyauté et un outil de rupture ? Louverture croyait à la synthèse ; Bonaparte y vit une menace. Et c’est peut-être dans cette tension, irrésolue, que se noue le tragique de la première grande figure politique de l’histoire haïtienne.

cba

à lire aussi : La Constitution de 1801, l’acte qui a valu à Toussaint Louverture sa déportation jusqu’à ce que mort s’en suive le 7 avril 1803

  1. De la loyauté à la rupture : lecture politique de la Constitution de 1801 et de la chute de Toussaint Louverture
    ↳ S’inspire de travaux sur les tensions entre autonomie coloniale et centralisme impérial (cf. Laurent Dubois, Avengers of the New World, 2004).
  2. Toussaint Louverture et le droit constitutionnel colonial : genèse d’un projet impossible (1801–1803)
    ↳ Renvoie à une analyse juridique et politique, en lien avec les écrits de Michel Hector et Jean Casimir.
  3. La Constitution de 1801 : pacte républicain ou acte de sédition aux yeux de Bonaparte ?
    ↳ Titre dialectique qui reflète le conflit d’interprétation analysé dans The Black Jacobins de C.L.R. James (1938).
  4. Entre République et indépendance : la brève existence constitutionnelle de Saint-Domingue sous Louverture
    ↳ Référence implicite au dilemme entre république une et indivisible et particularisme local.
  5. Le premier acte d’indépendance ? Relecture politique et symbolique de la Constitution de 1801
    ↳ Pose la question soulevée par plusieurs historiens contemporains (cf. Yvan Debbasch, Les constitutions d’Haïti, 1959).

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