En Haïti, la Constitution est devenue un document à géométrie variable, invoqué quand elle sert, ignoré quand elle gêne. Tandis qu’un Haïtien est arrêté aux États-Unis pour avoir voté en infraction à la loi, un groupe de neuf personnalités prépare un référendum interdit par la loi suprême haïtienne, sans que cela ne suscite la moindre réaction des instances internationales.
Vendredi dernier, un ressortissant haïtien a été interpellé par les agents de l’ICE aux États-Unis pour avoir voté alors qu’il réside de manière irrégulière sur le territoire américain. Selon les premières informations rapportées par la presse locale, ce migrant se serait inscrit illégalement sur les listes électorales avant de déposer son bulletin dans l’urne lors des élections de novembre dernier. Dans un pays où le droit électoral est rigoureusement encadré, cet acte constitue une infraction sérieuse. La sanction est immédiate, la procédure judiciaire déjà enclenchée, et l’éventualité d’une expulsion plane, confirmant une vérité que nul n’ignore : la loi américaine s’applique, sans exception ni indulgence, à ceux qui prétendent s’insérer de force dans ses institutions.
Mais c’est précisément ce contraste qui dérange lorsqu’on observe, au même moment, ce qui se passe chez nous en Haïti. Là-bas, un groupe de neuf personnalités, des éminents prétentieux, désignés sans fondement électoral ni encadrement législatif, s’apprête à franchir un seuil politique décisif : convoquer un référendum constitutionnel. Or, cette entreprise viole ouvertement l’article 284.3 de la Constitution de 1987, qui stipule que « toute consultation populaire ayant pour objet de modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ». Cette interdiction n’a jamais été levée par une quelconque réforme en bonne et due forme, et pourtant, aucun organisme international ne parait s’en émouvoir. Ni l’ONU, ni l’OEA, ni la CARICOM — pourtant si prompts à évoquer la défense de l’ordre démocratique — ne réagissent, tout comme ils s’abstiennent de toute ingérence lorsque les États-Unis appliquent strictement leurs lois.
Il se dessine ici une asymétrie à la fois juridique et politique qu’il serait hasardeux d’ignorer. Ce que les États dotés d’institutions fortes qualifient d’infraction grave — tel le fait de participer indûment à un scrutin électoral — perd toute gravité dès lors qu’il s’agit d’altérer, en toute illégalité, l’architecture constitutionnelle d’un État en situation de vulnérabilité institutionnelle. Ainsi, un citoyen haïtien peut faire l’objet de poursuites pénales à l’étranger pour avoir exercé un droit politique auquel il ne pouvait prétendre, tandis que, sur le sol haïtien, la transgression explicite des normes fondamentales ne suscite ni remontrance diplomatique ni réaction institutionnelle. Un tel écart met au jour les incohérences persistantes dans l’application des principes de légalité selon les rapports de force internationaux : dans quelle mesure la légalité constitutionnelle d’un État postcolonial demeure-t-elle opposable et reconnue dans l’ordre international, si aucune puissance, aucun organisme régional ni aucune instance multilatérale ne se porte garante de ses principes fondamentaux ?
Ce déséquilibre ne s’explique pas seulement par des considérations politiques , il est profondément moral. Car on ne peut réclamer des peuples le respect des lois, l’observance des règles et la consolidation de la démocratie, si dans le même temps on tolère — voire on accompagne en silence — des dérives qui sapent l’État de droit. Le silence des partenaires internationaux face aux violations manifestes de la Constitution haïtienne n’est pas neutre : il est complice. Il conforte ceux qui prétendent que la loi n’est qu’un instrument parmi d’autres, que la norme constitutionnelle peut être tordue au gré des ambitions personnelles, et que les textes fondateurs ne valent rien lorsqu’ils s’opposent à des intérêts supérieurs non exprimés.
L’arrestation du migrant haïtien aux États-Unis, pour symbolique qu’elle soit, devient alors un révélateur ironique : c’est hors de ses frontières que la citoyenneté haïtienne rencontre encore la rigueur de la loi. Sur son propre sol, la Constitution est devenue un texte désincarné, à force d’être piétinée, elle n’est plus qu’un décor qu’on agite quand ça arrange et qu’on relègue quand ça dérange. Pendant qu’un Haïtien est arrêté aux États-Unis pour avoir osé voter, neuf hommes s’apprêtent à violer, en Haïti, la loi fondamentale sans que l’ONU, l’OEA ou la CARICOM n’aient le moindre mot à dire. Le deux poids, deux mesures atteint ici sa pleine expression.
cba
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