La consommation du thé, au cœur de la vie quotidienne en Mauritanie

Le thé très sucré est aussi la cause de nombreux cas de diabètes

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Image du thé mauritanien ; Capture d’écran de la chaîne YouTube de CGTN Français

En Mauritanie, le thé fait partie du patrimoine culturel national. Consommé à toute heure, il donne lieu à un rituel de socialisation essentiel.

Les Mauritaniens découvrent le thé dans les années 1860. Il s’agit du thé vert qui est importé massivement depuis la Chine. Au départ sa consommation est réservée aux couches sociales supérieures, mais l’intérêt pour le thé se répand très vite dans les autres couches de la population. Plus qu’une simple boisson, le thé devient un véritable rituel qui donne du sens à la vie quotidienne dans toutes les communautés du pays. Trois mots explique ledit rituel: Jmaa (le Groupe) ; Jmar (la Braise) ; et Jar (le temps). Le site Les Toiles Maures donne plus de détails:

(…) Jmar, ce sont les braises du charbon de bois  dans le “canoun” sur lesquelles on pose la petite théière d’étain pour  chauffer l’eau.

Le mot Jar indiquant la lenteur qui est employée dans ce contexte en  référence à la danse du même nom, où l’élément marquant est précisément  l’extrême lenteur du mouvement. Lenteur de l’infusion des feuilles de thé  additionnées à la menthe verte, libérant leur arôme subtil(…)

Jmaa signifie le groupe, l’assemblée, car on prépare rarement le thé  pour une seule personne. Cette boisson est le fil reliant les uns aux autres,  les présents, et la petite théière généreuse distribue à chacun son breuvage âpre comme la vie, doux comme l’amour, suave comme la mort(…)

Il n’existe pas de situation ou de contexte qui ne soit propice pour la consommation du thé: rassemblement entre collègues ou amis, baptêmes, négociations commerciales, mariages. En 2010, Ely ould Allaf, ancien ministre de la culture de la Mauritanie explique à la chaîne allemande Deutsche Welle :

On ne conçoit pas une causerie qui ne se fasse pas autour d’un thé. Cela permet aux gens de se retrouver, de s’accepter pendant un certain temps, d’égal à égal. Celui qui fait le thé doit connaître la situation, faire en sorte que le thé s’achève en même temps que la conversation s’épuise. Cela rythme la vie.

La préparation du thé suit un processus qui se doit d’être respecté minutieusement. Dans un article consacré au thé mauritanien, Cheikh Sidya correspondante du site le360 à Nouakchott explique les détails qui entoure la préparation du thé:

Le thé est d’abord rincé à l’eau chaude. Il est ensuite mis dans une théière avec une quantité d’eau soigneusement dosée et bouilli pendant un instant. Ensuite, le préparateur, appelé «théificateur», verse et reverse la boisson dans plusieurs verres créant ainsi de la mousse dans chacun des verres. La boisson est ainsi réchauffée puis sucrée et aromatisé avec la menthe avant d’être servie à chaud dans des petits verres qui gardent l’indispensable mousse sans laquelle certains préfèrent bouder le verre.

Dans cette vidéo, des femmes mauritaniennes expliquent l’importance et la valeur du thé dans la tradition mauritanienne, sa signification, et sa préparation.

Le thé, plusieurs fois dans la journée

Le thé se consomme sans limite: dès son réveil, chaque Mauritanien prend un verre pour commencer la journée, un geste répété un nombre incalculable de fois dans la journée, dans les moments de pause au boulot, et causerie entre amis et familles. Dans son article sur le sujet, Cheikh Sidya dit:

Dans la quasi-totalité des demeures mauritaniennes, en partant des quartiers huppés de Tevragh-Zeina, la vitrine de Nouakchott, jusqu’aux coins les plus reculés des zones périurbaines, cette boisson est servie 3 à 4 fois la journée. En fait, il s’agit là d’une fréquence minimale, car parfois, le thé coule de manière continue du matin à l’heure du coucher.

A tout moment où le thé est servi en public, chaque personne doit boire trois verres et cette obligation a une signification. Chingi Tours, un site d’informations touristiques sur le pays explique:

Le premier verre est amer comme la vie, le deuxième fort comme l’amour et le troisième doux comme la mort.

Même en temps de crise économique ou de hausse des prix sur les denrés alimentaires, le rythme de la consommation du thé reste le même. Ould Mohamed Mahmoud, commerçant grossiste explique à Deutsche Welle:

Toute la population mauritanienne boit du thé 24h sur 24h, ça fait partie de sa vie, alors le thé se vend très facilement. Pour les Mauritaniens la crise peut avoir un impact sur l’achat de la nourriture mais pas sur l’achat du thé.

Par rapport à la fréquence ou les lieux dans lesquels de consommation, Cheikh Sidya ajoute:

Le service du thé est également assuré en permanence dans toutes les administrations publiques et privées. Tant pis pour la productivité. Certains vendeurs ambulants proposent du thé dans divers endroits tout au long de la journée. Même au cours du voyage, dans les camions ou autocars, les Mauritaniens ne se passent pas du thé. Les apprentis préparent le thé avec des mini-réchaud à gaz et le servent aux voyageurs sans même avoir besoin de s’arrêter.

Impact sur la santé

Certes le thé est très prisé dans le pays mais les ingrédients qui entrent dans la composition de ce thé, surtout la théine et le sucre utilisés en grande quantité, sont à la base de certaines maladies dont souffrent les Mauritaniens. Face à cette situation, Dr Sidi ould Zahaf expliquait en 2010 à Deutsche Welle:

Pour les diabétiques, dans le cas d’anémies, d’hypertension artérielle, d’insuffisance cardio-vasculaire, souvent on déconseille le thé. Maintenant, est-ce que c’est vraiment respecté? Pour un Mauritanien, c’est difficile.On aurait préféré une autre prescription!

En 2021, quelques alertes sont données sur l’intoxication par des pesticides trouvés dans les feuilles de thé dans le pays et plusieurs analyses sont effectuées. Selon le site Mauriweb, en juin 2024, Dr. Mohamed Baba Saïd, chimiste mauritanien et professeur de chimie à l’Université Clermont-Ferrand en France estime que les résultats confirment la présence de substances nocives.

A la lumière du nombre élevé de consommateurs dans le pays, ces multiples risques sanitaires peuvent avoir une incidence à grande échelle sur la population mauritanienne.

Ecrit par Jean Sovon