Les Gonaïves d’hier et d’aujourd’hui : récit d’une ville perdue dans l’insalubrité
Du temps de mon enfance et de ma jeunesse aux Gonaïves, certains artisans ou hommes et femmes de métiers vivaient humblement de leur savoir et savoir-faire, faisant la joie de la population. La qualité, la bonne présentation, le respect – c’est-à-dire que le client est toujours roi –, ainsi que la propreté des lieux d’exposition des produits à vendre, mettaient en valeur la provenance d’une famille dont les bonnes manières, le savoir-faire et l’engouement à être utile à leur communauté constituaient autrefois les prémices des petites et moyennes entreprises aux Gonaïves.
Jadis, les Gonaïves furent une ville florissante, avec un port ouvert au commerce extérieur. Le bateau nommé Chaland venait presque chaque mois prendre du coton, du cuivre, du café du nord et d’autres produits à quelques centaines de mètres du wharf de la ville ou accostait à celui de Sedren. Des machines imposantes, les « trailers », pillaient nos mines de marbre, de cuivre et de bois de chandelle, au profit de l’étranger.
Toutefois, la ville ne bénéficiait que peu de ces ressources, mais certains travailleurs en profitaient.
À l’époque, deux dames parmi une douzaine se démarquaient énormément aux Gonaïves : Madame Raymond Jean, avec sa pâtisserie située rue Clerveaux, et Madame Léonard, rue Vernet. Ces deux rudes travailleuses, situées non loin de la Cathédrale du Souvenir de l’Indépendance, recevaient chaque jour, vers quatre heures du matin, la bénédiction des cloches, actionnées par Necker, un pauvre homme, très humble et sympathique.
Pendant la semaine, et surtout le dimanche matin, après la messe de 8 heures à la cathédrale, enfants, jeunes et adultes envahissaient la pâtisserie de Monsieur et Madame Raymond Jean, où l’on trouvait une variété de pains, de bonbons et de sucreries. Quant à Madame Léonard, elle se spécialisait dans les commandes pour les mariages, communions et fêtes spéciales.
Propreté, qualité, respect et honnêteté constituaient autrefois la dignité des petites et moyennes entreprises aux Gonaïves.
Aujourd’hui, la ville des Gonaïves est méconnaissable, perdue dans l’arène de l’insalubrité, où la propreté, la qualité, le respect des clients et l’honnêteté dans le service offert sont sur le point de disparaître complètement. L’avarice atteint son paroxysme quand l’État devient omniprésent par son absence. L’engouement démesuré et indécent à s’accaparer l’argent de l’acheteur ou du bénéficiaire d’un service, ainsi que la très mauvaise qualité des produits ou services offerts (dans le secteur privé et plus encore dans le secteur public), révèlent une indécence accrue, avilissant davantage la société et illustrant la profondeur de la corruption qui gangrène non seulement les Gonaïves, mais tout le pays.
Le sens de l’honneur, de la dignité et le respect des noms de famille sont étouffés par la quête du pain quotidien, devenu si difficile à obtenir dans un environnement très insalubre, au centre-ville et dans la périphérie du vieux Gonaïves. Chak moun ap eseye pran avantaj sou yon lòt. Il suffit de se rendre dans les bureaux de l’État pour comprendre.
Autorités, employés et population se retrouvent au même carrefour, dans une bataille acharnée pour le pain quotidien. Responsabilité, engagement, droits et devoirs, ces concepts sont complètement effacés de la conscience collective de la majorité des Gonaïviens, tant dans la ville qu’aux alentours, et même dans tout le pays.
J’ai perdu les Gonaïves de mon enfance et de ma jeunesse. Vieillard, je ne fais que constater, dans une douleur profonde et amère, les ravages de l’ignorance et de l’incompétence qui avilissent aujourd’hui l’homme haïtien, et le Gonaïvien en particulier. Je rêve malgré tout d’un avenir meilleur pour Haïti et pour les générations à venir, car la maladie est aujourd’hui grave et profondément ancrée.
Reynald Orival,
citoyen haïtien et caribéen engagé
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