Amnesty International a condamné Hong Kong pour avoir utilisé la loi comme arme pour faire taire les critiques.
Publié à l’origine sur Global Voices en Français
Chow Hang-tung au Parc Victoria en 2019. Photo de Chow’s Club sur Facebook.
L’ avocat spécialisé en droits de l’homme de Hong Kong, Chow Hang-tung, 39 ans, ainsi que cinq de ses sympathisants, ont été arrêtés et emprisonnés le 28 mai 2024, pour avoir publié des posts séditieux sur les réseaux sociaux qui auraient incités à la haine contre les gouvernements de Hong Kong et de la Chine continentale. Les arrestations ont marqué la premiere application de la nouvelle loi sur la sécurité nationale, plus connue sous « Article 23 ».
Chow Hang-tung était la vice-présidente de l’aujourd’hui dissoute Alliance de Hong Kong de soutien des Mouvements patriotiques démocratiques de Chine (HK Alliance), et l’organisatrice de la veillée aux chandelles annuelle, commémoration de la répression de Tiananmen en 1989. La veillée avait lieu chaque année de 1990 à 2019. Elle est détenue depuis septembre 2021 et a été plus tard condamnée à 22 mois de prison après avoir été déclarée coupable d’incitation, d’avoir fait partie d’un rassemblement illégal pendant la veillée le 4 juin 2020 et d’avoir organisé celle de 2021. Chow, ainsi que Albert Ho et Lee Cheuk-yan, est en attente d’un procès pour subversion en vertu de la loi sur la sécurité nationale (LSN) de Pékin, dont la date reste à determiner. La peine maximale pour ce type d’accusation est l’emprisonnement à vie.
Depuis 2020, la veillée aux chandelles annuelle du 4 juin a été interdite à Hong Kong, en raison des restrictions liées à la pandémie. En 2022 et 2023, quand des individus ont spontanément commémoré la date à coté du Parc Victoria, ils ont été arrêtés ou emmenés par la police.
Cette année marque le 35e anniversaire de la répression du mouvement étudiant pro-démocratique de Tiananmen, le 4 juin 1989. Les manifestations organisées par des étudiants à la place Tiananmen à Pékin pour dénoncer la corruption généralisée et la privatisation des biens collectifs au nom de la libéralisation du marché ont eu lieu le 15 avril 1989 et ont duré jusqu’au 4 juin, date à laquelle elles ont été réprimées par une répression militaire sanglante dans le centre de Pékin.
Le chef de la sécurité à Hong Kong, Chris Tang, a déclaré que les messages publiés sur le club de Chow Hang-tung sur Facebook parlaient d’une « date sensible à venir » pour inciter à la haine. Toutefois, lorsqu’on lui a demandé si la date en question était le 4 juin, il a refusé de répondre.
Chow’s Club (Le club de Chow Hang-tung)
Qu’est-ce qui est si séditieux dans les publications publiés sur Facebook par Chow Hang-tung? Beaucoup ont remarqué une publication du 1er avril 2024, qui invitait les gens à partager leurs experiences du 4 juin, afin de les utiliser comme témoignages lors de son procès pour subversion (la publication a été écrite en chinois et anglais):
控方目前說要依賴的「證據」裏,包括了自1989年以來支聯會及友好團體出版過的單張、刊物,以及燭光集會的錄影等。…他們要說這30多年來發生過的事情都是我們的罪證,那這30多年來的參與者就都可以是我們的證人。…如果你 #曾是過去30多年來點點燭光的其中一人,不管是在台上還是台下,場內還是場外,本地還是海外,我都 誠邀你 在這場審訊中留下你的證詞,訴說你的經歷,和那段經歷的意義。
The evidence that the prosecution currently intends to rely on includes leaflets and publications issued by the Alliance and other organizations since 1989, as well as video recordings of candlelight vigils… If they claim that everything that has happened over the past thirty years is evidence against us, then all participants in the past thirty years can be our witnesses….if you have been one of the candlelight bearers in the past thirty years, whether on stage or off, inside or outside the venue, locally or overseas, I sincerely invite you to leave your testimony in this trial…
Les preuves sur lesquelles l’accusation compte actuellement s’appuyer comprennent des dépliants et des publications publiés par l’Alliance et d’autres organisations depuis 1989, dont des vidéos de veillées aux chandelles… S’ils prétendent que tout ce qui s’est passé ces trente dernières années est un élément de preuve contre nous, alors tous les participants de ces trente dernières années peuvent être nos témoins… si vous avez été l’un des porteurs de chandelles lors des trente dernières années, que ce soit sur scène ou pas, dans ou en dehors de la veillée, localement ou à l’étranger, je vous invite sincèrement à apporter votre témoignage dans ce procès…
La page Facebook a mentionné l’appel à «Une lutte de la mémoire contre la réécriture des souvenirs » #記憶和改寫記憶的抗爭, et Chow a commencé à apporter son propre témoignage et évoquer ses propres souvenirs de la commémoration du 4 juin à partir du 30 avril 2024, date qui marque un compte à rebours de 35 jours pour le 35e anniversaire des répressions du 4 juin.
Le 10 mai, elle a été placée à l’isolement en prison. Cependant, ses souvenirs écrits du 4 juin ont continué à être publiés jusqu’à que l’avocat et ses cinq sympathisants soient arrêtés le 28 mai.
En ajoutant les deux autres arrestations du 29 mai et 3 juin, il y a, jusqu’à aujourd’hui, huit personnes arrêtées qui étaient affiliées avec la page Facebook de Chow, dont Medina Chow, la mère de Chow; Lau Ka-yee et Kwan Chun-pong, anciens membres du comité permanent de HK Alliance; Chan Kim-Kam, ancien conseiller de district; et Lee Ying-chi, dentiste et membre de la Ligue des sociaux-démocrates.
La Reine de l’eau et du riz
Chow Hang-tung est l’une des rares activistes encore en activité qui persiste à s’exprimer à Hong Kong même si elle est toujours en prison. Ses actions directes s’appuient sur sa compréhension de la nature des poursuites politiques, comme elle l’a expliqué sur la page Facebook de son groupe (en chinois et en anglais) :
…我們被控的「犯罪行為」,本身就是公共的,眾人參與之事,不是被告的私人問題。控方的角色也不是找出真相,而是壓抑真相——把原本就在陽光之下的公共記錄,選擇性地抽取一些,掩埋一些,以構建一個犯罪的論述,然後在法庭這裏留下白紙黑字的、權威的記錄。所以,對我們最「有利」的,不是陪控方玩這個由少數人改寫歷史的遊戲,而是把書寫歷史的權力交還給大家,讓全部的事實都能被看見。在這個案子裏,在六四這件事上,想要隠瞞,想要避重就輕的,是控方而不是我們啊!
“…the “criminal acts” we are accused of are inherently public, involving the participation of many, it is not about the defendant’s private affairs. The role of the prosecution is not to uncover the truth but to suppress it—selectively extracting and burying public records that are already in the sunlight, to construct a narrative of crime and leave an authoritative record in the courtroom. Therefore, what is most “advantageous” for us is not to play along with the game of rewriting history by a few, controlled by the prosecution, but to return the power of writing history to everyone, allowing all facts to be seen. In this case, regarding the events of June Fourth, it’s the prosecution, not us, who wants to conceal and trivialize matters!”
«… les « actes criminels » pour lesquels nous sommes accusés sont intrinsèquement publiques, et impliquent la participation de nombreuses personnes, il ne s’agit pas des affaires privées du défendeur. Le rôle de l’accusation n’est pas de découvrir la vérité mais de la supprimer, en extrayant et enterrant de manière selective des documents publics qui sont déjà disponibles, de construire un narratif de crimes et laisser un dossier faisant autorité dans la salle d’audience. Par conséquent, ce qui est le plus « avantageux » pour nous est de ne pas jouer le jeu de la réécriture de l’histoire par quelques personnes contrôlées par l’accusation, mais de rendre le pouvoir d’écrire l’histoire à tout le monde, afin de permettre à tous les faits d’être connus. Dans ce cas, concernant les événements du 4 juin, c’est l’accusation, et non nous, qui veut dissimuler et banaliser les faits !»
Mais des représailles s’ensuivent souvent. Elle a souvent été placée à l’isolement en prison. Par exemple, après avoir reçu le prix franco-allemand des droits de l’homme et de l’État de droit en décembre 2023, elle a été placée en isolement pendant 18 jours, selon une publication sur le page de Chow Hang-tung.
Selon l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (the United Nations Standard Minimum Rules for Prisoners), le placement à l’isolement ne doit être appliqué qu’en dernier recours avec un examen indépendant. En 2011, le Rapporteur spécial sur la torture, Juan E. Méndez, a suggéré que le prolongement de placement à l’isolement de plus de 15 jours soit interdit, car des études scientifiques ont établi que quelques jours d’isolement social peuvent provoqués des dommages mentaux à long terme.
Elle a pris ce retour en cellule d’isolement à la légère en se donnant le surnom « Reine de l’eau et du riz » (水飯女皇) puisque les prisonniers n’ont droit qu’à juste de l’eau et du riz.
Cette fois-ci, les mesures de représailles s’étendent à sa chère mère et à ses amis. La nouvelle loi sur la sécurité nationale permet une détention avant inculpation pouvant aller jusqu’à 16 jours, et l’accès des suspects à un avocat peut être limité. La sédition est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans, ou dix ans en cas de collusion avec une « force extérieure ».
L’armement de la loi pour faire taire les critiques
De nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, dont Hong Kong Watch et Human Rights in China, basées à Londres, ont condamné ces arrestations. Sarah Brooks, directrice d’Amnesty International pour la Chine, a qualifié ces arrestations de « tentative honteuse » de réprimer la commémoration pacifique de la répression de Tiananmen et a condamné le gouvernement de Hong Kong pour avoir utilisé l’article 23 afin de faire taire les critiques :
Despite warnings from UN human rights experts that the law is inconsistent with international human rights laws and standards, the Hong Kong government insists on weaponizing it to silence critique…Chow Hang-tung and others in Hong Kong arrested simply for exercising the right to freedom of expression should be immediately and unconditionally released, and the Hong Kong police must refrain from suppressing other peaceful commemorations of the 1989 tragedy. Remembering the Tiananmen crackdown is not and never shall be a crime.
Malgré les avertissements des experts des Nations unies en matière de droits de l’homme, selon lesquels cette loi est incompatible avec les lois et les normes internationales en matière de droits de l’homme, le gouvernement de Hong Kong persiste à l’utiliser pour faire taire les critiques… Chow Hang-tung et les autres personnes arrêtées à Hong Kong simplement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression devraient être libérés immédiatement et sans condition, et la police de Hong Kong doit s’abstenir de réprimer d’autres commémorations pacifiques de la tragédie de 1989. Se souvenir de la répression de Tiananmen n’est pas et ne sera jamais un crime.
Pourtant, ironiquement, les arrestations ont rappelé au monde le 35e anniversaire des répressions du 4 juin.