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Grèce : l’État réprime les manifestants pacifiques qui commémorent le meurtre d’un garçon par la police en 2008

today2025-01-22

Grèce : l'État réprime les manifestants pacifiques qui commémorent le meurtre d'un garçon par la police en 2008
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Ce qui s’est passé le 6 décembre dernier est emblématique d’une tendance de plus en plus autoritaire en Grèce

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Des renforts de la police hellénique (ELAS) ont été déployés pour réprimer les manifestants. Photo de l’auteur, utilisée avec son autorisation.

Le 6 décembre, la police grecque est intervenue brutalement dans des manifestations pacifiques à Thessalonique [gr.] pour commémorer l’anniversaire de la mort d’Alexandros Grigoropoulos, un adolescent de 15 ans abattu par la police à Athènes le même jour en 2008. L’intervention a conduit à l’arrestation de 112 personnes [gr.], principalement des jeunes adultes et des adolescents. Les actions de la police semblent concertées et calculées, et bien que les autorités aient justifié leur intervention par un « contrôle des foules » [gr.], elle a été perçue par beaucoup comme une tentative pure et simple de réprimer la dissidence.

Un jour de deuil

La commémoration annuelle a commencé à l’Arc de Galère (Kamara) [ang.], un lieu de rassemblement populaire à Thessalonique. Les gens se sont rassemblés pour préparer une marche qui revêtait une importance profonde pour les Grecs, en particulier pour les gauchistes et les anarchistes [ang.]. En tant que journaliste indépendant, je suis arrivé équipé d’un magnétoscope et d’une caméra pour documenter l’événement, conscient de l’importance de cette journée dans l’histoire politique grecque contemporaine.

Le meurtre de Grigoropoulos a marqué un tournant dans la société grecque. Une altercation verbale entre le jeune garçon et ses amis avec la police a dégénéré dans le quartier d’Exarchia, au centre d’Athènes, lorsqu’un policier a sorti son arme et a tiré sur l’adolescent. Cet acte de violence aveugle [ang.] a déclenché des émeutes et des manifestations à l’échelle nationale [ang.] et internationale. La mort de Grigoropoulos a été un catalyseur [ang.], déclenchant une colère généralisée en Grèce contre la police pour les mauvais traitements infligés aux manifestants, les réformes de l’éducation, la stagnation économique, la corruption du gouvernement [ang.] et la brutalité policière.

Epaminodas Korkoneas, le policier qui a tiré sur Grigoropoulos, a été initialement condamné à la réclusion à perpétuité [ang.], mais a été libéré en 2019. Il a été de nouveau arrêté à la mi-2024 [ang.] pour faire appel et attend un nouveau procès, qui devrait avoir lieu l’année prochaine. Les conséquences de cet événement tragique continuent de résonner chez de nombreux Grecs aujourd’hui encore, alimentant un sentiment croissant de méfiance de la population à l’égard de la police [ang.] et des demandes constantes de responsabilité.

Une épitaphe de Grigoropoulos à Athènes stipule : « Ici, le 6 décembre 2008, l’acte totalement injustifiable a éteint le sourire innocent d’Alexandros Grigoropoulos, 15 ans, sous les balles de meurtriers impénitents. » Photo via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

 Tension croissante et tournant violent

La police anti-émeute grecque (MAT) se tient en formation, dégageant une présence oppressante en contraste avec le spectateur solitaire dont la vulnérabilité montre la disparité flagrante des rapports de force. Photo de l’auteur, utilisée avec autorisation.

Comme les années précédentes [ang.], la marche de cette année a commencé pacifiquement. Cependant, contrairement aux itinéraires de protestation précédents, qui se terminaient près de Kamara, la manifestation de cette année a pris une tournure différente. Avant le début de la marche, la police a encerclé les zones clés pour les anarchistes [gr.], apparemment pour empêcher les manifestants de chercher refuge dans les magasins locaux, une tactique influencée par leurs expériences lors de la récente manifestation [gr.] du 17 novembre pour le soulèvement de 1973 à l’école polytechnique d’Athènes contre la junte [fr.]. Les tensions ont rapidement augmenté alors que les manifestants se dirigeaient vers la place Navarinou [ang.] dans le centre historique de Thessalonique et finalement vers l’avenue centrale Tsimiski [ang.], où le chaos a éclaté. Alors que je filmais la scène, je me suis soudainement retrouvé au milieu d’explosions de grenades assourdissantes. L’une d’elles a explosé à une distance alarmante, me désorientant et me faisant trébucher à côté d’un camion de chantier.

Les gaz lacrymogènes ont rapidement envahi l’air, provoquant la toux et la panique chez les manifestants. À travers la fumée, la police anti-émeute (MAT) a avancé, encerclant et arrêtant les manifestants.

L’approche de la police a été méthodique et énergique, utilisant des grenades assourdissantes, des gaz lacrymogènes et des formations pour disperser la foule et coincer les manifestants. Un nombre considérable de détentions ont eu lieu, qui ont ensuite abouti à des arrestations, dont beaucoup étaient de jeunes adultes, certains visiblement bouleversés alors que les policiers leur ligotaient les poignets et les traînaient de force. Des cris et des appels à la clémence ont résonné dans toute la scène, mais sans réponse, amplifiant l’atmosphère oppressante.

Un utilisateur grec de X (anciennement Twitter) a exprimé son mécontentement face aux arrestations, affirmant que le gouvernement actuel reflète les caractéristiques du régime de la junte grecque [fr.] (1967-1974) :

« Si cela vous fait penser à une junte militaire, c’est parce que l’État a une continuité » https://t.co/axStGI8F55

— Κάποιος Ταδόπουλος 🍉 (@_Wiesenthal_S_) 7 décembre 2024

Conséquences et implications plus larges

Le lendemain, le 7 décembre, le tribunal de Thessalonique est devenu un point de rassemblement de solidarité, avec une foule d’amis, de membres de la famille et de sympathisants se rassemblant pour exiger la libération des personnes injustement détenues. Cependant, les autorités ont défendu les arrestations, arguant que les manifestants avaient perturbé la paix publique [gr]. De manière choquante, la police anti-émeute a une fois de plus eu recours à la force [gr.], utilisant des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes sur la foule rassemblée et blessant même des passants. Si les détenus ont finalement été libérés, ils attendent toujours leur comparution devant le tribunal en raison d’un report [gr].

Cette photo d’Anthi Kekeliadou illustre l’approche violente de la police anti-émeute (MAT) pour disperser la foule rassemblée au palais de justice. La police anti-émeute a même poursuivi les sympathisants de la solidarité pour tenter de procéder à des arrestations supplémentaires. Utilisée avec autorisation.

De plus, cette répression étatique est particulièrement préoccupante dans le contexte de problèmes plus vastes, comme le cas de Nikos Romanos, un ami proche de Grigoropoulos. Romanos, qui a assisté à la mort de Grigoropoulos en 2008, est devenu un symbole anarchiste [ang.] et a été arrêté à plusieurs reprises. En 2013, il a été arrêté après avoir participé à un braquage de banque à main armée, perpétré par un groupe dans le but de financer leur mouvement et de remettre en cause le système du travail salarié [ang].

Romanos a récemment été arrêté pour implication dans une explosion [ang]. dans le quartier d’Ambelokipi à Athènes. Après avoir témoigné, il a été placé en détention provisoire, niant tout lien avec l’incident. Bien que son empreinte digitale ait été trouvée sur un sac contenant une arme à feu et un chargeur récupéré dans l’appartement, Romanos a rejeté les accusations [ang.], arguant que l’empreinte digitale n’était liée à aucune preuve significative.

Kostas Vaxevanis, un journaliste et éditeur grec bien connu, partage ses critiques sur l’arrestation de Romanos, déclarant sur X :

S’ils avaient trouvé les empreintes digitales de Mareva sur un sac Zeus+Dion dans l’appartement explosé d’Ampelokipoi, l’auraient-ils arrêtée ? Bien sûr que non.

S’ils avaient trouvé les empreintes digitales de John Doe ? Toujours pas.

Qu’est-ce qui distingue #Romanos ? Le fait qu’il soit une personne avec des idées précises. Pas quelqu’un avec des preuves compromettantes. https://t.co/NshyP5mODO

— Kostas.Vaxevanis (@KostasVaxevanis) 30 novembre 2024

Mareva Grabowski-Mitsotakis [ang.] est l’épouse du Premier ministre grec et cofondatrice de la marque de luxe Zeus+Dion.
Ce qui est particulièrement inquiétant dans le cas de Romanos, ce sont les efforts continus de l’État pour faire des mouvements dissidents des boucs émissaires [gr]. Les partisans de Romanos voient dans sa récente arrestation [ang.] une tentative délibérée de le prendre pour cible, d’inciter à la peur et de diaboliser le mouvement anarchiste.

Cette stratégie détourne également l’attention du public [gr.] des manquements et de la négligence de l’État, comme la tragique catastrophe ferroviaire de Tempi. Le scandale Tempi [fr.], un accident de train qui a coûté la vie à 57 personnes, a révélé la négligence systémique et la corruption du gouvernement [ang.], déclenchant une vague d’indignation. Les accusations contre Romanos, bien que ténues, sont largement perçues comme faisant partie d’un discours plus vaste visant à faire taire la dissidence et à détourner la responsabilité du parti au pouvoir, la Nouvelle Démocratie [fr.], dirigé par l’actuel Premier ministre Kyriakos Mitsotakis [fr].

Nouvelle démocratie ? Ou ancienne junte déguisée ?

Les événements du 6 décembre dernier sont emblématiques d’une tendance de plus en plus autoritaire [ang.] en Grèce. La réponse brutale de la police aux manifestants pacifiques souligne une réalité troublante : la contestation est étouffée sous prétexte de maintenir l’ordre et la paix. Pour de nombreux Grecs, ces événements sont un rappel brutal que les valeurs démocratiques du pays restent compromises, les citoyens n’ayant plus la possibilité de s’exprimer contre la répression parrainée par l’État.

La police anti-émeute (MAT) se tient en formation tendue quelques instants avant de commencer sa répression violente contre les manifestants. Photo de l’auteur, utilisée avec autorisation.

En tant que journaliste et témoin, je ne peux ignorer la brutalité et les efforts calculés pour faire taire ceux qui pleurent la mort de Grigoropoulos, une tragédie qui symbolise la lutte continue pour la justice en Grèce.

Écrit par: Viewcom04

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