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Fête du Travail ou journée de détentions ? Le 1er mai en Turquie

today2025-07-09

Fête du Travail ou journée de détentions ? Le 1er mai en Turquie
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La présence policière fortement élevée, des barricades et des centaines de détentions ont ponctué la journée.

Initialement publié le Global Voices en Français

Image de Arzu Geybullayeva, créé avec des éléments de Canva Pro.

Encore cette année, à travers la Turquie, une forte présence de policiers ainsi que des barricades et des arrestations ont ponctué la fête du Travail, alors que des dizaines de milliers d’ouvriers et de militants ont essayé de commémorer la Journée internationale des travailleurs.

Des journalistes basés à Istanbul ont relevé une lourde intervention policière contre les militants souhaitant se rendre à la place Taksim à Istanbul. La place a été fermée aux piétons, et toutes les voies de transport ont été fermées. Même dans les lieux de démonstration désignés, tels que les districts de Kadikoy et Kartal à Istanbul, l’annulation des transports a rendu ces zones difficiles d’accès.  Des centaines de personnes ont été détenues, alors que dans les jours précédents le 1er mai, des vingtaines d’autres ont été arrêtées pour avoir demandé aux autres de rejoindre les manifestations prévues.

Malgré les restrictions extraordinaires installées sur les routes principales, les transports publics et maritimes à Istanbul, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à la place Kadıköy İskele pour les célébrations du jour de travail. «Une Turquie où nous ne sommes pas condamnés à vivre sur les salaires minimums, où les grèves ne sont pas bannies et où les droits démocratiques peuvent être librement exercés est possible » se lit le communiqué joint de tous les syndicats qui commémorent la fête du Travail à Kadıköy. « Une vie où nous ne mourrons pas au travail, où nous ne perdons pas notre santé, où nous travaillons 8 heures restons 8 heures et vivons 8 heures est possible. Un pays dans lequel de droit de prendre sa retraite n’est pas usurpée et les pensionnés peuvent vivre avec humanité est possible. »

Taksim, la place prohibée

La place Taksim au cœur d’Istanbul est considérée comme un symbole puissant des droits des travailleurs et de la culture contestataire. Elle est également depuis des décennies, un champ de bataille idéologique pour les gouvernements qui ont pris le leadership du pays. En 1977, au moins 34 personnes ont été tuées lors d’un rassemblement du 1 mai là-bas, un événement largement connu sous les noms « le massacre de Taksim » et « le 1er mai sanglant ».

Chaque année, dans l’anticipation du 1er mai, des militants et des syndicats demandent la permission de se rassembler à Taksim, et chaque année, ils font face à un rejet. Cette année n’a été pas une exception. Le Bureau du gouverneur d’Istanbul a déclaré que Taksim était interdit, ce qui a entraîné la fermeture de dizaines de routes, de lignes de transport public et de services de ferry — une stratégie de confinement qui est devenue une routine sombre du 1 mai dans le pays. Les dernières manifestations du 1 mai ont été officiellement autorisées à Taksim en 2010, 2011 et 2012, lors d’un bref dégel dans l’approche du gouvernement envers la dissidence.

Depuis 2013, lorsque la place est devenue l’épicentre des manifestations du « Parc Gezi », les autorités y ont restreint les rassemblements publics, invoquant des préoccupations de sécurité et d’ordre public.

Cette année, aussitôt qu’à cinq heures du matin, l’accès à Taksim était effectivement fermé dès 5 heures du matin, et même les quartiers environnants comme Şişli et Beyoğlu ont vu un important déploiement de policiers. Tous ceux qui voulaient manifester à la place, notamment des membres de parties politiques opposées au gouvernement actuel, des syndicats et des unions d’étudiants, ont été interpelés, détenus ou même repoussés de force par les policiers.

Les places ne doivent pas être fermées au public. Chacun a le droit d’organiser des réunions et des manifestations pacifiques, non armées sans autorisation préalable. Istanbul, 1er mai, 2025. Photo de Zeynep Kuray.

Le Bureau du gouverneur d’Istanbul a déclaré que plus de 50 000 policiers ont été déployés ce 1ᵉʳ mai et il a ultérieurement affirmé que 384 personnes avaient été détenues à cause de leur participation dans une manifestation dite « non autorisée ». Par contre, le terme « manifestation non autorisée » est fallacieux, selon un reportage de Bianet, car l’article 34 de la Constitution réclame que « Chacun a le droit d’organiser des réunions et des manifestations pacifiques et non armées sans autorisation préalable ».

Ce concept d’une « manifestation non autorisée » est aussi une expression fallacieuse et fausse, en ce qui concerne la Constitution et les lois. De plus, selon les décisions de la Cour constitutionnelle, les rassemblements pacifiques qui ne constituent pas une menace à l’ordre public doivent être encadrés, même ceux qui sont faits sans notification des forces de l’ordre. Selon la loi numéro 2911 concernant les rassemblements et manifestations, bien que les organisateurs des manifestations soient obligés d’aviser les autorités locales, ne pas le faire n’implique pas que la manifestation est interdite, affirme la rédaction de Bianet.

L’année dernière, la police a détenu plus que 200 personnes qui ont tenté de manifester à Taksim le 30 avril, Dinushika Dissanayake, la directrice adjointe d’Amnesty International pour l’Europe a constaté que « les restrictions aux célébrations de la fête du Travail sont entièrement fondées sur des troubles à la sécurité et à l’ordre public. Elles défient d’ailleurs la décision de la Cour constitutionnelle prise en 2023. Ces restrictions doivent être levées de toute urgence. »

Une image austère pour les ouvriers

Au-delà de la question des rassemblements publics, le premier mai est un souvenir douloureux de l’état des droits de travail en Turquie. Selon des données de l’Assemblée de la Santé et de la Sécurité au travail (İSİG) un conseil local qui lutte pour une vie et des conditions de travail saines et sûres, un total de 1 894 travailleurs sont morts en Turquie en 2024. Un an auparavant, le réseau avait signalé 1 932 décès qu’il avait pu documenter. En mars 2025, ce nombre avait déjà atteint 145 pour l’année jusqu’à présent. Un coup d’œil rapide aux données collectées par le réseau, qui se compose de travailleurs de diverses professions et industries et leurs familles, au cours de la dernière décennie, les chiffres annuels n’ont jamais descendu en dessous de 1 000 décès, atteignant parfois 2 000 ou plus. Beaucoup de ces décès, selon les défenseurs des droits des travailleurs, étaient entièrement évitables et découlent d’un manque d’application des normes de sécurité et de surveillance réglementaire.

Des accidents mortels sont malheureusement devenus courants dans ce pays où le travail précaire et l’emploi informel sont répandus. En outre, le travail des enfants continue à ronger le marché de travail. Selon un reportage du syndicat de travailleurs en éducation et science (Eğitim-İş), plus de 869 000 enfants travaillent en Turquie. Ce chiffre est ajouté aux plus que 500 000 enfants qui sont inscrits dans des programmes d’apprentissage professionnel (MESEM), qui fonctionnent efficacement comme des filières de travail plutôt que comme des établissements éducatifs.

La Turquie n’a pas de cadre global de protection sociale pour sa main-d’œuvre. La sécurité de l’emploi, les droits syndicaux et les avantages sociaux restent insaisissables pour des millions de personnes, en particulier pour les travailleurs saisonniers, migrants et sans papiers. Pour beaucoup, travailler dans des conditions d’exploitation n’est pas une question de choix, mais de survie.

Des mythes et des représentations fausses de l’emploi.

Les statistiques officielles offrent également une image déformée. Dans son récent reportage, la journaliste Ayça Örer montre des divergences dans les données fournies par l’institution statistique d’État et les syndicats de travailleurs. Örer écrit que tandis que l’Institut turc de statistique (TÜİK) rapporte un taux d’emploi officiel au dernier trimestre de 2024 de 49,6 %, la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DİSK) remet en question ce récit, en se concentrant sur les définitions de l’emploi utilisées en Turquie.

Alors que le taux de chômage selon le TÜİK est à neuf pour cent, le DİSK et d’autres plateformes indépendantes de travail constatent que le pourcentage est plus proche de 28,2 à la fin de décembre 2024. Ils suivent une définition plus large de chômage, qui compte des chercheurs d’emploi découragés, des individus sous-employés et ceux qui peuvent travailler, mais qui ne sont pas en recherche active. La situation s’empire pour les jeunes femmes qui sont employées à un taux de 46,7 %, mais seulement 20 % avec un travail déclaré et à temps plein, informe Örer.

Pour nombreuses personnes, le 1er mai est néanmoins un autre jour de travail. C’est le cas de Veysel et Sefer, deux ferrailleurs qui ont discuté  avec Örer. « Chaque jour, on écrase des boites en métal, tire des papiers et ramasse les déchets dans la ville. C’est comme si nous étions des fourmis d’Istanbul, personne ne nous voit, mais on dégage les ordures. Sefer ajoute, il y a des personnes qui habitent dans les décombres d’anciens bâtiments parce qu’ils n’arrivent même pas à payer pour une chambre commune. Certains gagnent 100 liras, mais doivent payer 20 000 liras par mois juste pour avoir un endroit où dormir. »

Des histoires comme celles-ci n’arrivent que rarement en vogue dans le discours dominant, mais elles sont intégrales pour comprendre l’image globale de labeur en Turquie, l’image d’invisibilité, de l’exploitation et de résilience.

Le 1 mai cette année a été pluvieux et froid. Mais cela n’a pas empêché les gens de participer à des manifestations. Au-delà de la puissance des ouvriers en Turquie, la situation a aussi montré la résistance de l’État envers des réformes significatives, quoi qu’ils soient dans les droits de travail ou des libertés démocratiques. Alors que la précarité s’aggrave, le nombre de personnes employées diminue, et les protections affaiblissent, la lutte annuelle pour la visibilité de la dignité perdure.

Et c’est aussi le cas pour la marche, qu’il s’agisse de pluie ou de police anti-émeute.

Écrit par: Viewcom04

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