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En 2010, Préval et Bellerive invoquent un décret de l’Occupation quoiqu’abrogé en 1963 pour justifier l’évacuation du centre-ville de Port-au-Prince

today2025-04-12 1

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Quand le droit devient fiction : retour sur un décret fantôme de 1927 ressuscité en 2010 par l’administration Préval/Bellerive alors que ce décret a été modifié en loi en 1963. Peut-on, en 2010, fonder un acte administratif sur un décret de 1927 aboli ? Un gouvernement postérieur peut-il valablement invoquer une norme ancienne si celle-ci a été modifiée par une législation postérieure, surtout dans un ordre constitutionnel profondément remanié depuis ?

Par la rédaction

Un décret présidentiel signé en juillet 2010 par le tandem René Préval et Jean-Max Bellerive, visant la reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince après le séisme, fait aujourd’hui l’objet d’une lecture critique renouvelée. Ce texte, passé inaperçu à l’époque, mobilise un décret antérieur du 6 août 1927, adopté durant l’occupation américaine. Pourtant, cette base juridique est contestée, car déjà modifiée, voire dépassée, par la loi du 29 mai 1963. Retour sur un cas symptomatique de manipulation normative.

L’ombre d’un décret ancien dans une Haïti post-séisme

À la suite de la tragédie du 12 janvier 2010, le gouvernement haïtien promulgue un arrêté présidentiel le 12 juillet 2010, instaurant un Comité de facilitation de la reconstruction du centre-ville de Port-au-Prince. Ce texte prévoit une série de mesures d’aménagement, dont la désignation d’un coordonnateur technique, la mise en place d’un comité consultatif, et l’activation de plusieurs organes techniques (DINEPA, EDH, ISPAN, etc.).

Mais ce qui retient l’attention, quinze ans plus tard, c’est l’ancrage juridique indirect de cette décision : le décret fait référence à un dispositif de réorganisation urbaine datant du 6 août 1927. Or, ce texte avait été modifié par la loi du 29 mai 1963, et sa compatibilité avec la Constitution de 1987 est sujette à caution.

Peut-on invoquer un décret de 1927 en 2010 ?

La question paraît saugrenue, mais elle mérite une réponse technique. Le droit public interdit en principe l’usage d’un texte abrogé ou couvert par une loi postérieure. La règle de l’abrogation implicite dispose qu’un texte ancien devient inapplicable dès qu’une législation nouvelle le modifie substantiellement, notamment dans son domaine de compétence.

La loi du 29 mai 1963, adoptée sous le gouvernement de François Duvalier, introduit un nouveau cadre pour l’aménagement urbain et la planification territoriale, conférant au ministère des Travaux publics des pouvoirs étendus sur le zonage, les permis de construire, et l’orientation du développement urbain. Cette législation, à défaut d’avoir été abrogée, reste en vigueur jusqu’à l’adoption de dispositions ultérieures.

Encadré explicatif : Trois textes pour une même ville

  • Décret du 6 août 1927 : adopté sous occupation américaine, ce texte visait la modernisation de Port-au-Prince en instaurant un zonage colonial et une autorité technique centralisée.
  • Loi du 29 mai 1963 : réforme majeure de l’aménagement du territoire, elle impose une planification urbaine nationale et des plans directeurs municipaux.
  • Décret du 12 juillet 2010 : pris dans l’urgence post-séisme, il institue un comité présidentiel d’exception, sans référence explicite au cadre juridique contemporain.

Derrière le recours au décret de 1927 se profile une stratégie juridique plus politique qu’administrative. L’État haïtien, en invoquant une norme désuète, esquive les exigences contemporaines de consultation publique, de respect de la propriété privée et de transparence, pourtant garanties par la Constitution de 1987.

Des juristes dénoncent ici une fiction de légalité : en mobilisant un texte ancien, non modifié officiellement mais de facto dépassé, le pouvoir exécutif se dote d’une façade normative pour mener une politique de déplacement de population urbaine — ce que d’aucuns considèrent comme une évacuation planifiée du centre-ville.

Aujourd’hui, les gangs comme exécuteurs d’un vieux projet étatique ?

Un constat troublant s’impose : en 2025, le centre historique de Port-au-Prince est entièrement déserté. Les commerces, les bureaux publics, les institutions financières et religieuses ont été forcés de quitter la zone. Les gangs ont pris le contrôle de cet espace, là où l’État, quinze ans plus tôt, projetait une requalification radicale, sans véritable base légale.

Certains commentateurs, de manière provocatrice, affirment que les gangs ont exécuté le décret de Préval/Bellerive là où l’État avait échoué à l’imposer. Une manière de souligner l’ambiguïté du cadre normatif utilisé en 2010, et le vide institutionnel laissé par des décisions non concertées.

Ce cas illustre l’urgence d’un travail systématique d’assainissement normatif en Haïti. Il faut aujourd’hui :

  • Clarifier les textes en vigueur ;
  • Identifier ceux qui ont été abrogés expressément ou implicitement ;
  • Assurer la conformité de toute décision administrative à la Constitution de 1987 et aux normes postérieures.

La mobilisation d’un décret datant de l’occupation américaine pour légitimer des projets d’aménagement urbain en 2010 n’est pas seulement une erreur juridique. Elle est le symptôme d’une gouvernance qui instrumentalise le droit pour contourner la société. En cela, ce décret oublié devient une parabole contemporaine du pouvoir sans légitimité.

Selon les principes classiques du droit administratif, lorsqu’une loi ou un décret nouveau intervient dans le même champ d’application qu’un texte antérieur, le texte ancien est abrogé de manière implicite s’il est incompatible ou couvert par la norme postérieure. C’est ce qu’enseignent les grands auteurs de droit administratif (Rivero, Chapus, Duguit), et cette règle est applicable même dans les systèmes de droit mixte comme celui d’Haïti.

La loi du 29 mai 1963, qui établit des règles nouvelles pour l’aménagement urbain, modifie l’architecture légale mise en place par le décret de 1927. Elle introduit notamment :

  • la compétence exclusive de l’administration centrale en matière de zonage et d’habitat,
  • des procédures de consultation publique et de contrôle administratif,
  • l’obligation de plan d’urbanisme cohérent fondé sur l’intérêt général.

Dès lors, toute référence ultérieure au décret de 1927 sans articulation avec la loi de 1963 est non conforme au droit positif.

Un acte administratif fondé sur une norme périmée est entaché d’illégalité, car il viole le principe de légalité et peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’État français, dans sa jurisprudence constante depuis Compagnie Alitalia (1989), rappelle que l’administration ne peut se fonder sur une norme réglementaire devenue illégale. Ce raisonnement est transposable au droit haïtien.

La Constitution de 1987, en vigueur au moment de l’arrêté de 2010, introduit un cadre normatif démocratique, décentralisé et protecteur des droits humains. Or, le décret de 1927 est un texte hérité de l’occupation américaine, sans base constitutionnelle propre, et qui reflète une logique autoritaire de planification. Sa mobilisation en 2010, sans débat parlementaire ni consultation populaire, soulève une tension entre légalité formelle et légitimité démocratique.

De plus, la Constitution de 1946 (réaffirmée par celle de 1987) prévoit que les décrets contraires à ses principes sont réputés abrogés, notamment ceux qui attentent à la propriété privée, à la participation citoyenne ou à la souveraineté territoriale. Dès lors, la référence à un décret de 1927 pour justifier une évacuation massive du centre-ville sans concertation peut être vue comme anticonstitutionnelle.

texte et recherches: cba

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