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De l’apatridie au silence numérique : comment la désinformation anti-immigrés cible les Rohingyas dans les espaces numériques

today2025-10-21

De l'apatridie au silence numérique : comment la désinformation anti-immigrés cible les Rohingyas dans les espaces numériques
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La désinformation sur les Rohingyas n’est pas un simple problème médiatique ponctuel mais un processus structurel.

Initialement publié le Global Voices en Français

 

Réfugiés rohingyas dans un camp de réfugiés au Bangladesh.

Réfugiés rohingyas dans un camp de réfugiés au Bangladesh. Image de Zlatica Hoke (VOA) via Wikipédia. Capture d’écran de la vidéo source de Voice of America. Domaine public [fr]. 

[Sauf indication contraire, tous les liens de ce billet renvoient vers des pages Web en anglais]

La désinformation autour de la crise des Rohingyas[fr] n’est pas un phénomène récent ; les récits mensongers naissent fréquemment au Myanmar et au Bangladesh, traversent les frontières et influencent l’opinion publique dans toute l’Asie du Sud. Les images et les séquences vidéo provenant des camps de réfugiés au Bangladesh et des zones de conflit au Myanmar sont réutilisées dans la rhétorique anti-immigrés et la propagande d’État pour créer un faux sentiment d’authenticité, répandre la peur et renforcer les préjugés dominants contre les réfugiés musulmans apatrides.

La crise des Rohingyas ne se déroule pas seulement sur le terrain, mais aussi dans la sphère numérique, où la désinformation voyage plus vite que la vérité. Une étude récente retrace comment la désinformation, la propagande et les campagnes de haine migrent à travers les frontières — du Myanmar au Bangladesh, à l’Inde et au-delà — transformant la souffrance humanitaire en une fiction scrutée. Au cœur de ce processus se trouve un changement structurel : les Rohingyas ne sont plus considérés comme des victimes de la violence mais comme des menaces perçues, un cadrage discursif qui légitime l’exclusion et l’hostilité. Avec peu de capacité à se défendre à l’ère numérique, les Rohingyas apatrides sont doublement réduits au silence — par le déplacement et par la distorsion.

De manière plus significative, cette étude identifie plus de 20 rapports vérifiés sur la désinformation anti-immigrés ciblant les Rohingyas qui ont largement circulé sur les réseaux sociaux indiens et même dans certains médias. Ces vérifications des faits, menées par des organisations indiennes de vérification des faits entre 2017 et 2025, révèlent comment l’identité rohingya est faussement dépeinte comme une source de violence ou une menace démographique, alimentée par un langage communautariste et des médias trompeurs. Ces faux récits présentent généralement les réfugiés rohingyas comme des criminels, des terroristes ou une « menace » démographique — utilisant souvent des images ou des vidéos truquées, des légendes trompeuses et de pures inventions.

Pourquoi la désinformation anti-immigrés est-elle fréquente en Inde ?

En Inde, une importante population de réfugiés rohingyas sans-papiers, des narratifs anti-musulmans préexistants, l’amplification par des médias partisans et des plateformes sociales très connectées explique pourquoi la désinformation transnationale sur les Rohingyas est particulièrement fréquente et puissante.

Depuis 2012, des vagues successives de réfugiés rohingyas — estimées entre 20 000 et 40 000 — sont entrées en Inde et vivent en grande partie sans reconnaissance légale au Jammu-et-Cachemire, à Hyderabad, à New Delhi et dans d’autres États. Le discours nationaliste hindou dépeint les musulmans rohingyas comme des étrangers déloyaux, les présentant à la fois comme des menaces pour la sécurité et comme des agents d’un « djihad démographique ».

Des hashtags comme #SendRohingyasBack (Renvoyez les Rohingyas) ont été en tendance sur des chaînes comme Republic et Times Now, tandis que de hauts fonctionnaires du gouvernement qualifiaient les réfugiés rohingyas « d’immigrés clandestins » et de menaces pour la sécurité nationale. Les groupes nationalistes hindous exploitent la vulnérabilité des réfugiés pour mobiliser les sentiments majoritaires, utilisant la désinformation comme un outil pour démontrer leur « fermeté face à l’immigration clandestine ». Les Rohingyas deviennent ainsi un « autre » malléable dans les luttes politiques nationales.

Données empirique représentant des données qui a pour titre : « Victime de menaces » visant les Rohingyas

La désinformation transfrontalière ciblant les Rohingyas

La désinformation sur les Rohingyas provient souvent du Myanmar et du Bangladesh, puis migre vers l’Inde via des réseaux linguistiques communs et les canaux médiatiques de la diaspora. Des images et des vidéos provenant des camps de réfugiés bangladais et des zones de conflit du Myanmar sont détournées dans la propagande anti-immigrés et d’État pour leur conférer une fausse authenticité, susciter la peur et renforcer les préjugés existants contre les réfugiés musulmans.

Par exemple, des messages transférés sur WhatsApp affirmaient que des gangs de « musulmans rohingyas » rôdaient la nuit pour enlever ou tuer des enfants. Une autre vidéo virale, une mise en scène avec des acteurs, a été partagée avec un texte tel que « Ce sont des musulmans rohingyas… regardez comment ils mangent les hindous ». Les vérificateurs de faits ont démontré qu’il s’agissait de clips sans aucun rapport ; la vidéo de cannibalisme était clairement une mise en scène tournée en hindi, et non au Myanmar. Une douzaine de complots haineux distincts, tels que des enlèvements, des lynchages et autres, ont été faussement attribués aux Rohingyas — tous utilisant un langage communautariste sensationnaliste et de faux visuels.

Cette étude identifie au moins cinq éléments viraux : le détournement d’anciennes images et vidéos dans un faux contexte indien, où le lieu ou le moment a été modifié. Par exemple, une vidéo d’un incendie dans un camp de réfugiés rohingyas au Bangladesh (mars 2021) a été diffusée comme preuve des émeutes de Tripura. Dans un autre cas, une séquence de la police bangladaise montrant un homme rohingya arrêté près de Cox’s Bazar a été partagée avec la légende « pris en train de voler dans un foyer hindou en Inde ». Plus généralement, des images d’enfants et de familles rohingyas du Myanmar et du Bangladesh ont été diffusées avec des légendes inventées.

Presque toute la désinformation exploite leur identité religieuse, soulignant de manière répétée et sensationnaliste l’opposition « musulman » contre « hindou ». Par exemple, les slogans #JaagoHinduJaago (Hindous, réveillez-vous), et les références explicites aux Rohingyas comme des aliennes musulmans.

De nombreuses allégations soulignent que les musulmans rohingyas attaquent des hindous innocents — même lorsque les images montrent tout autre chose. Les rumeurs réutilisent également des schémas anti-musulmans classiques comme les histoires d’enlèvements par des gangs ou les récits de viols d’enfants, en insérant simplement « Rohingya » comme coupable. Les acteurs indiens détournent ces récits pour servir des agendas communautaristes locaux, créant une boucle de rétroaction où le contenu transnational renforce l’islamophobie nationale.

La désinformation provient souvent d’un petit groupe de pages et de comptes habituels. Plusieurs campagnes de vérification des faits notent que les contenus émanent de réseaux politiquement alignés et sont amplifiés par les transferts sur WhatsApp et Telegram. Par exemple, après qu’une fausse nouvelle sur un briefing fiscal du gouvernement indien est devenue virale, sa source a été retracée jusqu’à des pages de médias sociaux populaires alignées sur le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti politique conservateur au pouvoir en Inde. Cela souligne que la désinformation est systématique : il ne s’agit pas de quelques mensonges isolés, mais d’un flux constant de nouvelles publications.

Analyse du discours sur les réfugiés privés de voix dans la sphère numérique

La crise des Rohingyas a été progressivement remodelée dans la sphère numérique, où la désinformation, les campagnes de haine en ligne et les récits à motivation politique interagissent pour produire une nouvelle réalité publique hostile. En même temps, les diffuseurs partisans, les acteurs politiques et les réseaux sociaux sympathisants amplifient ces visuels et affirmations recadrés, leur conférant une aura d’autorité qui masque leur inexactitude.

Point crucial, les réfugiés rohingyas eux-mêmes n’ont pratiquement pas voix au chapitre dans ce discours. Sans plateforme médiatique ni représentation politique, ils ne peuvent corriger ces rumeurs. En effet, les réfugiés sont réduits au silence deux fois : déjà apatrides, ils sont ensuite censurés en ligne et blâmés pour les problèmes sociaux.

La circulation clandestine de récits anti-immigrés via les espaces numériques fonctionne comme une technologie délibérée de la peur : en détournant des visuels émotionnellement forts et en recyclant sélectivement des statistiques, les acteurs transforment la compassion en anxiété, puis en pression politique.

Les acteurs étatiques et les médias partisans amplifient des visuels décontextualisés pour renforcer les récits de « l’immigration clandestine » et de la « sécurité nationale ». Cette propagande haineuse non seulement incite à l’hostilité, mais aggrave également la marginalisation numérique des réfugiés.

Préoccupations en matière de gouvernance numérique mondiale

La désinformation ciblant les Rohingyas à travers l’Asie du Sud reflète un échec plus large de la gouvernance numérique pour les réfugiés. Le HCR et d’autres agences avertissent que les discours de haine non contrôlés en ligne ont des conséquences dans le monde réel. Par exemple, une mission de l’ONU en 2018 a conclu que les discours de haine propagés sur Facebook avaient contribué à déclencher les violences dans l’État de Rakhine au Myanmar.

Dans ce contexte régional, les plateformes et les gouvernements ont peu fait pour contrer les récits qui victimisent les réfugiés. Les observateurs de l’ONU soulignent la nécessité de « garde-fous et de politiques de sécurité » plus stricts sur les réseaux sociaux pour protéger les personnes déplacées. En Inde, malgré les réglementations informatiques et les initiatives de vérification des faits, ces fausses informations sur les Rohingyas continuent de circuler sans entrave, mettant en lumière les lacunes en matière de modération de contenu et d’éducation aux médias.

Dans l’ensemble, ces dynamiques montrent que la désinformation sur les Rohingyas n’est pas un problème médiatique fortuit, mais un processus structurel qui transforme la réalité humanitaire en une fiction sécuritaire. La combattre exige donc plus qu’une simple réfutation : elle nécessite une responsabilisation des médias qui freine l’amplification, des interventions des plateformes qui ralentissent la circulation de visuels décontextualisés, et des collaborations régionales de vérification des faits qui tracent et neutralisent les flux transnationaux d’images et de récits trompeurs. Ce n’est qu’en abordant simultanément les dimensions discursives, politiques et technologiques que le cycle qui transforme l’apatridie en silence numérique pourra être interrompu.

Avertissement : L’étude mentionnée dans cet article a été publiée par l’auteur sur ResearchGate.

Écrit par: Viewcom04

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