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Comprendre le soulèvement des jeunes au Népal : des décennies de corruption atteignent un point critique

today2025-11-15

Comprendre le soulèvement des jeunes au Népal : des décennies de corruption atteignent un point critique
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Les manifestants de la génération Z héritiés de la démocratie durement acquise par leurs grands-parents, ont assisté à sa dégradation.

Initialement publié le Global Voices en Français

Gen Z protesters in front of Bharatpur Mahanagarpalika office, Nepal, September 2025. Photo by Himal Subedi, via Wikimedia Commons (CC-BY-SA 4.0)

Manifestants de la génération Z devant les bureaux de la municipalité de Bharatpur, au Népal. Septembre 2025. Photo de Himal Subedi, via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Plusieurs semaines après que la police ait tiré sur une foule d’étudiants en septembre, faisant au moins 19 morts, Katmandou, la capitale du Népal, restait sous le signe de la fumée. Les rues, autrefois animées par les écoliers, étaient désormais envahies par des soldats armés.

Ce qui avait débuté comme une contestation contre l’interdiction des réseaux sociaux ne se limitait pas à TikTok ou Facebook. C’était l’expression de frustrations accumulées depuis longtemps et un face-à-face avec un siècle d’instabilité et de corruption.

Les manifestants de la génération Z au Népal ont hérité d’une démocratie pour laquelle leurs grands-parents se sont battus et ont vu, aux côtés de leurs parents, cette démocratie se défaire. Pour comprendre la colère de 2025, il faut ressasser une histoire marquée par des rois, des révolutions et des demandes incessantes de responsabilité.

Pendant une grande partie de l’histoire moderne, le Népal a été dirigé par des rois. La dynastie Rana s’empara du pouvoir en 1848, instaurant une oligarchie qui maintint le pays isolé pendant plus d’un siècle. L’accès à l’éducation était réservé à une élite, et la population népalaise n’avait que peu d’influence sur les affaires gouvernementales.

L’autocratie et le système Panchayat

Après la Seconde Guerre mondiale, inspirés par l’indépendance de l’Inde, des exilés népalais commencèrent à constituer des partis d’opposition. Une révolte en 1951, appuyée par le roi Tribhuvan, mit fin au régime des Rana et ouvrit les frontières du Népal.

En moins d’un an, le roi Mahendra dissout le parlement, interdit les partis politiques et instaure le système autocratique du Panchayat. Pendant trois décennies, le Népal fut gouverné par une hiérarchie complexe de conseils subordonnés directement à la couronne. Les opposants politiques ou toute personne contestant l’autorité royale étaient emprisonnés ou exilés. Les médias étaient strictement censurés, mais une forme de contestation subsistait néanmoins dans la clandestinité.

Le Mouvement populaire de 1990

Caption: Protest during the 1990 People’s Movement, Kathmandu, Nepal. Photo by Min Ratna Bajracharya, via Wikimedia Commons (uploaded by Biplab Anand, CC-BY-SA 4.0).

Manifestation lors du Mouvement populaire de 1990, Katmandou, Népal. Photo de Min Ratna Bajracharya, via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

À la fin des années 1980, l’économie était stagnante, la corruption gouvernementale omniprésente, et une nouvelle génération d’étudiants réclamait le changement. Après plusieurs semaines de mobilisations massives en 1990, dans le cadre du Mouvement populaire, ou Jana Andolan I, le roi Birendra accepta le retour à une démocratie multipartite.

Une nouvelle constitution institua une monarchie constitutionnelle et garantissait les libertés civiles.

Instabilité politique et insurrection maoïste

Cependant, l’euphorie céda rapidement la place à la déception. Les gouvernements se succédaient avec une grande régularité : entre 1991 et 2001, plus d’une douzaine de Premiers ministres furent nommés puis destitués. Les partis politiques se divisèrent en factions davantage soucieuses de conserver le pouvoir que d’élaborer des politiques publiques.

À mesure que les inégalités se creusaient et que les communautés rurales perdaient confiance dans des politiciens incapables d’apporter routes, électricité ou emplois, un espace s’ouvrit pour une alternative radicale. En 1996, le Parti communiste du Népal (maoïste) lança une rébellion armée réclamant la fin de la monarchie, ainsi que des réformes agraires et la justice sociale. Le conflit déclencha une grande partie des campagnes, faisant plus de 17 000 morts au début des années 2000.

Le massacre royal de 2001 et le règne de Gyanendra

Le pays fut alors confronté à un traumatisme national lorsqu’en 2001, un massacre royal a eu lieu. Le prince héritier Dipendra aurait tiré sur le roi Birendra, la reine Aishwarya et neuf autres membres de la famille royale avant de retourner l’arme contre lui-même ; il aurait été sous l’emprise de l’alcool au moment des faits.

Le roi Gynandre monta sur le trône et, en 2005, dissout le parlement en déclarant l’état d’urgence, ce qui rassembla les partis politiques d’opposition, la société civile et les maoïstes.

En 2006, lors de manifestations massives connues sous le nom de Jana Andolan II, Gynandre fut contraint d’abdiquer. En 2008, la monarchie fut définitivement abolie. Le Népal devint une République démocratique fédérale, et les anciens dirigeants maoïstes devinrent parlementaires.

La nouvelle république et la constitution

Map of Nepal showing its seven provinces. Image by SimulationWig, via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

Carte du Népal montrant ses sept provinces. Image de SimulationWig, via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).

La nouvelle république suscita de grands espoirs. La première assemblée constituante fut mise en place pour rédiger une constitution garantissant la représentation des femmes, des Dalits, des peuples indigènes et des Madhesi.

Cependant, le processus dura sept ans, marqué par des conflits au sein des élites. Ce n’est qu’après deux dissolutions de l’assemblée qu’une nouvelle constitution fut finalement adoptée en 2015.

Le nouveau texte institua un régime fédéral divisant le Népal en sept provinces et prévoyait également des droits et l’inclusion. Cependant, il fut élaboré dans un contexte contesté, et de nombreux groupes marginalisés affirmèrent avoir été exclus.

Corruption politique et inégalités croissantes

Au cours des années suivantes, le pays connut une succession de coalitions composées des mêmes personnalités, dont K.P. Sharma Oli, Sher Bahadur Deuba et Pushpa Kamal Dahal, connu sous le nom de « Prachanda », qui occupèrent tour à tour le poste de Premier ministre. Tous, sans exception, affirmaient qu’ils mèneraient des réformes, mais leurs biens furent contestés ou leurs actions entachées de favoritisme et de corruption.

Avec l’augmentation de la migration, près de 14 % de la population travaillait désormais à l’étranger, et les envois de fonds étaient devenus le pilier économique du pays. Cependant, l’écart entre riches et pauvres se creusait. Les écoles et les hôpitaux des zones rurales se dégradaient, tandis que l’élite affichait de façon manifeste sa richesse.

Les réseaux sociaux devinrent à la fois une échappatoire et un miroir, un lieu où se concentraient les frustrations, alors que des hashtags tels que #NepoKids et #YouthsAgainstCorruption mettaient en lumière les privilèges de l’élite.

En 2024, l’économie népalaise était étranglée par l’inflation, le chômage des jeunes et la stagnation politique. La réponse du gouvernement ne fut pas d’améliorer la situation par des réformes, mais d’imposer de nouvelles réglementations limitant les plateformes en ligne et les éditeurs numériques.

Les manifestations estudiantines de 2025

Au début du mois de septembre, des groupes d’étudiants commencèrent à s’organiser via des applications cryptées et des réseaux hors ligne. En l’espace de quelques jours, des milliers d’étudiants défilèrent à Katmandou, Pokhara et Lalitpur.

Ils brandissaient des pancartes, telles que « Stop à la corruption, pas aux réseaux sociaux ». Beaucoup étaient des adolescents élevés avec les récits du mouvement pour la démocratie, mais n’ayant connu que d’anomalies.

Lorsque les foules se rassemblèrent devant le parlement, la police tira des gaz lacrymogènes, puis des balles réelles. Les hôpitaux furent submergés d’étudiants en uniforme scolaire. Selon les médias locaux et les organisations de défense des droits humains, au moins 19 personnes perdirent la vie. Le gouvernement instaura un couvre-feu, interrompit les réseaux mobiles et déploya l’armée.

Cette nuit-là, alors que la colère publique éclatait, le ministre de l’Intérieur démissionna. Le cabinet fit marche arrière sur l’interdiction, mais les manifestations dépassèrent rapidement Katmandou, la colère s’enflammant contre les inégalités et la corruption.

Dans le désordre qui s’ensuivit, des foules attaquèrent des bâtiments gouvernementaux et les domiciles de responsables politiques. L’ancien Premier ministre Deuba et son épouse, Arzu Rana Deuba, furent secourus par l’armée après que des manifestants eurent pris d’assaut leur résidence.

Leadership intérimaire et appels à la responsabilité

Sushila Karki at the US-Nepal Summit for Democracy, 2021. Photo by U.S. Embassy Kathmandu, via Wikimedia Commons (uploaded by Joofjoof, Public Domain)

Sushila Karki lors du Sommet pour la démocratie États-Unis–Népal, 2021. Photo de l’ambassade des États-Unis à Katmandou, par Wikimedia Commons (domaine public).

Alors que la capitale était placée sous verrouillage militaire, le président Ram Chandra Poudel nomma l’ancienne juge en chef Sushila Karki Première ministre par intérim, faisant d’elle la première femme à occuper ce poste au Népal.

Âgée de 73 ans, Karki est une ancienne juge de la Cour suprême réputée pour ses décisions anti-corruption. Sa nomination bénéficiait du soutien des représentants des jeunes ayant contribué à diriger les manifestations.

Le gouvernement intérimaire de Karki s’est félicité de son engagement à enquêter sur les tueries, à rétablir l’ordre et à organiser de nouvelles élections en mars 2026 ; reste à savoir si cela suffira à instaurer la confiance, ce qui est une toute autre question.

Continuité et espoirs : leçons de l’histoire

L’histoire du Népal a été faite de poussées suivies de stagnation : révolution, espoirs, paralysie. À chaque fois, de 1951 à 1990 puis 2006, la révolution a renversé un ancien ordre mais n’a pas su produire de changements durables.

Pour la génération Z, le défi est de savoir si ce moment pourra aboutir à une percée réelle. Le mouvement a déjà marqué l’histoire : en tenant les responsables pour compte, en plaçant une femme à la plus haute fonction du pays, et en démontrant que l’action civique reste possible dans un système fragilisé.

Les rues de Katmandou sont silencieuses, mais la tension demeure. Les étudiants continuent de veiller chaque soir en mémoire des victimes. Les murs de l’université sont couverts de graffiti proclamant : “ Si ce n’est pas maintenant, c’est pour quand? ”

Human Rights Watch et Amnesty International ont appelé à des enquêtes indépendantes sur les actions de la police et de l’armée. L’armée affirme avoir agi pour protéger l’ordre public, soulignant que de nombreux participants étaient des mineurs.

Dans ses premières déclarations en tant que Premier ministre par intérim, Karki a appelé au calme en cette période de troubles. “Le changement doit passer par les institutions, et non par le feu”, a-t-elle déclaré. Elle a toutefois reconnu que les jeunes Népalis avaient “raison d’exiger dignités et opportunités”.

Il reste à voir si ces manifestations marqueront le début d’un chemin vers la réforme ou si elles ne constitueront que le dernier chapitre de la longue histoire du Népal, faite d’espoirs et de déceptions.

Mais il y a une constante : chacun de nos mouvements depuis la chute des Rana a été mené par des étudiants convaincus que leur pays pouvait être meilleur. À cette aune, les manifestations de 2025 ne constituent en aucun cas une rupture avec l’histoire ; elles en sont au contraire une continuité.

Écrit par: Viewcom04

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