Actualités

Comment l’université haïtienne peut-elle regagner ses lettres de noblesse ? 

today2025-02-07

Arrière-plan
share close

par Carly Dollin

La bonne gouvernance de la recherche et de l’enseignement supérieur s’avère cruciale pour dégager compétitivité et efficience dans la mise en œuvre des projets de société. C’est en investissant dans une université axée sur l’innovation et l’excellence académique que les sociétés accomplissent la noble mission de former des professionnels aptes à relever les défis socio-économiques de l’ère moderne. En effet, l’université dont la vocation est la réflexion, la proposition et la définition de projets viables, doit se dévouer à assurer en permanence son rôle de vigie. Elle est interpellée à guider la compréhension et l’orientation des politiques publiques via des informations pertinentes et des recherches approfondies sur des problématiques diverses. L’université représente le centre névralgique de la construction du capital humain dont une masse critique est censée être mobilisée de manière désintéressée. Cette vertu acquise au haut lieu de la connaissance garantit la primauté du profit sociétal par rapport aux incitations individuelles en incarnant l’altruisme intergénérationnel. Il n’y a que l’université qui puisse être motivée à générer efficacement des externalités positives en assurant la production de savoirs et de recherches avec des effets d’entraînement substantiels pour le bien-être des générations présentes et futures. 

L’université constitue le principal réservoir de techniciens et professionnels devant s’engager au service du pays. Elle œuvre à assurer la formation, promouvoir la recherche, diffuser la culture et l’information scientifique. L’université se consacre à la transmission de connaissances et à la formation des futurs cadres qui doivent participer concrètement au progrès de la société. En plus de son rôle académique, cette institution agit comme un acteur de transformation sociale en promouvant les valeurs de réflexion critique et de rigueur scientifique. Elle vise aussi à produire des solutions aux enjeux contemporains à travers des contributions substantielles au progrès culturel, économique et technologique. L’université doit s’atteler à renforcer la cohésion sociale tout en participant activement à l’amélioration des conditions de vie et à la promotion d’un état de droit. 

Les nobles missions de l’université visent à répondre aux besoins de la société tout en préconisant l’adoption des pratiques modernes vers un développement soutenable. Ces missions incluent l’enrichissement du patrimoine intellectuel, la promotion de la recherche axée sur les besoins locaux et la transmission de savoirs pertinents. Elles englobent aussi le soutien à un enseignement de qualité en adéquation avec les avancées scientifiques. Tandis que l’université joue un rôle central dans la formation intellectuelle, dans la recherche scientifique et le développement socioéconomique, en Haïti elle éprouve des difficultés majeures à accomplir pleinement sa noble mission.

Enjeux de l’adéquation et de l’équivalence 

Au sein des civilisations modernes, les grandes décisions devant orienter le devenir des nations se conçoivent à travers des pensées et des réflexions critiques dont l’université constitue le porte-étendard. Pour remplir sa fonction de vigie et d’éclaireur des actions dans l’intérêt de la collectivité, l’université doit dresser des calendriers de recherche pour cerner les enjeux de société. Les curricula académiques sont également établis sur une base dynamique afin de mieux cerner les faits sociaux tout en adaptant les approches à la lumière des exigences de la modernité. Cependant, en cette ère d’une farouche domination de l’intelligence artificielle qui charrie des défis exigeant des compétences spécialisées et une capacité d’innovation continue, l’université haïtienne reste à la traîne. Elle n’évolue pas avec le temps. Cette lenteur entraîne une inadéquation remarquable entre les ressources humaines disponibles et les opportunités offertes par la globalisation. 

L’université haïtienne est confrontée à une avalanche d’irrégularités qui compromettent sa crédibilité et sa mission fondamentale dans la société. Les facultés souffrent de faiblesses infrastructurelles et structurelles auxquelles s’ajoutent une absence flagrante de vie estudiantine et un niveau préoccupant de précarité du corps professoral. Les programmes proposés par l’enseignement supérieur en Haïti ne favorisent pas l’établissement d’équivalences académiques, contrairement aux systèmes universitaires alignés sur des standards internationaux. Certains observateurs qualifient la situation de chaotique tant les problèmes sont multiples et affectent toutes les entités académiques. 

Le problème de l’équivalence dans le système haïtien complique la mobilité des étudiants et la reconnaissance de leurs diplômes à l’échelle mondiale. Par exemple, les analystes du GTEF font ressortir des redondances et des problèmes d’harmonisation qui ne peuvent être cernés par des approches d’équivalence bien définies entre les institutions. Ce problème mérite d’être adressé en urgence. Il est absurde qu’un étudiant en science économique qui a déjà fréquenté l’UNIQ ou la FDSE soit astreint à reprendre les mêmes cours de microéconomie s’il désire poursuivre un diplôme à l’UNDH dans un champ disciplinaire connexe. 

Cette défaillance d’accréditation inter facultaire s’observe même au sein des facultés coiffées par l’UEH dont les contenus de cours ne sont pas suffisamment harmonisés. D’un professeur à l’autre, le syllabus, s’il en est, varie largement puisque les facultés fournissent les services académiques de façon disparate. Le climat d’insécurité, imposant des cours en ligne avec des moyens logistiques inadéquats, amplifie davantage ce déficit académique. Cette absence de volonté de standardisation des programmes pose des défis notamment pour les universités étrangères dans le cadre de l’analyse des dossiers des étudiants haïtiens. À cet égard, sur le chemin de la poursuite de leur formation aux deuxième ou troisième cycles, les étudiants haïtiens font face à des embûches qui auraient pu être évitées. 

Outre le problème d’équivalence, des difficultés techniques surgissent dans les systèmes d’évaluation, qui varient d’une promotion à l’autre, d’une école à l’autre et d’un professeur à l’autre ; ce qui compromet la cohérence du système. Des réformes solides sont censées incorporer les aspects physiques et immatériels en vue d’aborder les problèmes de l’université en Haïti sous toutes ses facettes. 

Problème de supervision

Le système universitaire haïtien, déjà marqué par des précarités flagrantes sur le plan des infrastructures, a vu sa situation s’aggraver à la suite du séisme du 12 janvier 2010. Cette catastrophe avait provoqué une désarticulation des entités publiques, fragilisant davantage un secteur éducatif qui peinait à répondre aux besoins croissants en formation et recherche. Plusieurs bâtiments universitaires ont été soit fissurés voire effondrés. Ce drame avait attiré la sympathie d’une multitude d’institutions internationales qui y apportaient des supports financiers pour la réparation et la reconstruction du secteur universitaire. Puisque l’État avait totalement failli à sa mission, il en résultait une prolifération d’institutions d’enseignement supérieur (IES) bénéficiaires de financements extérieurs qui échappaient à tout contrôle réglementaire. L’échec de coordination y faisait rage.

Au cours des récentes années, les conditions d’accueil se sont détériorées en raison de la prolifération des foyers de gangs dans les principales artères de la capitale. Ces mercenaires téléguidés par des voyous politiques locaux et internationaux ont ouvertement exprimé leur velléité de remplir la mission macabre de saboter les enceintes universitaires du pays. Plusieurs facultés, notamment de l’UEH, ont été soit vandalisées ou occupées par les criminels du groupe terroriste « Viv-Ansanm ». En plus d’un climat de paix indispensable aux études, la résolution de la crise de l’insécurité bénéficiera immédiatement à l’université à travers l’ouverture des voies d’accès aux espaces des facultés. À ce stade critique, des améliorations infrastructurelles s’avèrent incontournables pour retourner à l’équilibre tout en canalisant des énergies constructives vers ce secteur clé. Par ailleurs, des incitations visant à retenir les talents et à valoriser les ressources humaines qualifiées contribueront à ouvrir des perspectives prometteuses pour le développement de la société.

L’université joue un rôle central dans le développement d’une nation moderne car elle est à la fois le lieu de la production de connaissances théoriques et pratiques et le meilleur réservoir de compétences essentielles pour le progrès socio-économique. Elle est censée guider la compréhension et l’orientation des politiques publiques via des informations et analyses pertinentes. Pour relever le défi majeur d’orienter efficacement les grands chantiers nationaux, il est impératif d’activer les leviers de la bonne gouvernance universitaire. Un tel projet exige des réformes structurelles profondes et la mise en place de standards rigoureux pour garantir un fonctionnement universitaire optimal qui vise une véritable contribution au développement national. 

Le déclic vers une culture de résultats et d’excellence dans la production des services publics passe par la refonte de l’université. Celle-ci doit reconnaître ses lourdes attributions et assumer ses responsabilités avec sérieux afin de sortir le pays du labyrinthe. 

Incitations insuffisantes 

En plus de l’offre quantitative qui ne correspond pas à la demande vertigineuse émanée des bacheliers, la qualité de la formation offerte à l’université haïtienne est pratiquement inadaptée au regard des besoins actuels. À des exceptions près, cette formation précaire ne permet pas de satisfaire au prisme du standard international les exigences du marché et de la recherche scientifique. Tandis que la mission consistant à tisser des liens ancrés dans un savoir éprouvé est du ressort de l’université, très peu d’incitations sont lancées aux acteurs du niveau tertiaire. En raison du manque de stimuli, les professeurs ne sont pas fidélisés à la noble mission de transmettre le savoir parallèlement à l’entreprise d’effectuer des recherches avancées. Même ceux désignés à plein temps ne sont pas assez motivés à cause de divers obstacles structurels et des conditions de travail peu favorables. Ils ne sont pas récompensés à la hauteur de leurs attributions. Tout en doutant des perspectives peu incitatives à la recherche et au développement professionnel, ils sont confrontés à des salaires insuffisants et à une déficience de ressources et de soutien institutionnel. 

Ce manque de motivation entraîne une production d’enseignement supérieur inadéquate qui génère des déficiences qui affectent profondément les structures socio-économiques et politiques du pays. L’absence d’harmonisation des politiques publiques et l’incompréhension du rôle de l’État sont tributaires de la précarité d’un système de formation supérieure voué à l’échec. Le diagnostic du délabrement de l’université haïtienne doit constituer une source d’inquiétude et d’appel à l’action pour les forces vives du pays. Ignorer ou sous-estimer l’importance de la recherche académique combinée à une approche scientifique rigoureuse équivaut à priver le pays d’un outil vital pour sa propre croissance. À titre de protecteur du citoyen, l’État devrait donc réviser sa position par rapport à l’université. 

La garantie du bien-être collectif – production de la sécurité, de la justice, de la stabilité économique – est l’apanage de l’Administration Publique. Garant de la bonne marche de toutes les institutions, l’État doit maintenir en permanence son rôle de défenseur des droits humains. Il est propriétaire des clés de la Cité et détient le monopole de la violence légitime, dit-on. À défaut de produire lui-même une éducation de qualité et des services de santé adaptés, l’État doit assurer un encadrement et une supervision rigoureuse des pourvoyeurs de tels services d’utilité publique. Pour exercer ses fonctions avant-gardistes de protéger la dignité, les biens, les vies et assurer le bien-être de tous, l’État devrait donc faire de l’université un partenaire privilégié. L’État devrait intervenir dans un ensemble de coopérations multilatérales pour exiger que des fonds soient alloués à des études et des recherches qui mobilisent des ressources de l’université haïtienne. 

Cette approche permettrait du même coup de gagner en termes de qualité des recherches effectuées. En effet, à travers le monde, les recherches et études de faisabilité produites à l’université facilitent l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies de développement durable. Par exemple, tout écosystème entrepreneurial compétitif repose sur une triple hélice harmonieuse dont l’université constitue un pylône central. La Silicon Valley n’aurait pas connu une telle expansion économique sans l’implication dynamique de l’Université Stanford qui a joué un rôle clé en tant que catalyseur de l’innovation technologique. 

Tout en inscrivant dans son agenda la nécessité d’améliorer le système universitaire, le pouvoir exécutif devrait profiter de ce timing d’un changement du Conseil de l’UEH pour diagnostiquer les forces et faiblesses de son mode de gouvernance. Il est temps pour que l’État reconnaisse le rôle incontournable de l’université – privée et publique – dans l’harmonie et le développement de la société. 

Un arbitrage allant dans le sens de développer de meilleures relations et d’accorder priorité à la formation et à la recherche en Haïti doit être reflété dans les partenariats et les budgets alloués aux entités universitaires. C’est en accordant une place prépondérante à l’université que les sociétés modernes ont emprunté les sentiers du développement. Si Haïti envisage d’emboîter le pas aux économies émergentes, elle doit enfin redonner à l’université ses lettres de noblesse. Tant vaut l’école, tant vaut la nation.

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

The post Comment l’université haïtienne peut-elle regagner ses lettres de noblesse ?  first appeared on Rezo Nòdwès.

Écrit par:

Rate it

Articles similaires

Actualités

PRA – CE QUE JE PENSE : DU 7 FÉVRIER 1986 AU 7 FÉVRIER 2025

Tweet CE QUE JE PENSE DU 7 FÉVRIER 1986 AU 7 FÉVRIER 2025 Par Pierre Robert Auguste Un seul mot résume cette période :RÉGRESSION En effet, du 7 février 1986 au 7 février 2025, la régression est totale : RÉGRESSION POLITIQUE RÉGRESSION ÉCONOMIQUE RÉGRESSION SOCIALE Nous aboutissons ainsi à un […]

today2025-02-07


0%