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Amnistier l’horreur, refonder l’illégal : les deux impasses juridiques d’un pouvoir sans mandat légitime

today2025-06-10

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Amnistier l’horreur, refonder l’illégal : contra legem et les impasses d’un pouvoir sans mandat

Le droit positif haïtien, tel que consolidé dans la Constitution du 29 mars 1987, ne contient nec verbo nec sensu aucune norme permettant l’octroi d’une amnistie générale à des individus ou groupes auteurs de criminalité de masse. Ab initio, l’introduction d’un tel débat, en l’absence de toute restauration institutionnelle et dans un contexte de violence systémique ayant conduit à la dislocation de l’espace républicain, relève d’un acte de contra legem visant à légitimer a posteriori des actes constitutifs de violations massives des droits fondamentaux. L’occupation armée de larges segments du territoire national par des groupes assimilables à des entités terroristes, et la dépossession effective de l’État de ses prérogatives régaliennes, confèrent à cette proposition un caractère cynique et juridiquement insoutenable. L’amnistie, eo ipso, ne saurait opérer dans un système d’impunité généralisée où la res publica est absente et où les institutions judiciaires sont soit dysfonctionnelles, soit capturées.

Les principes généraux du droit international public, en particulier ceux articulés autour du jus cogens, interdisent de façon absolue l’octroi d’une amnistie ou d’une grâce à l’égard de crimes d’une gravité extrême : meurtres de masse, violences sexuelles systématiques, tortures, disparitions forcées, ou déplacements internes contraints. Ces actes, définis comme crimes contre l’humanité par l’article 7 du Statut de Rome, relèvent de la compétence universelle et sont imprescriptibles ratione materiae. Toute tentative d’amnistie générale serait donc ipso facto nulle et non avenue, car contraire aux obligations erga omnes de l’État haïtien. L’absence d’un processus de justice transitionnelle conforme aux standards internationaux ne saurait servir d’alibi pour ancrer la violence comme principe structurant de la gouvernance politique. Ubi societas, ibi jus, et là où règne la violence organisée, il ne peut exister de véritable État de droit.

Sur le plan interne, le projet de remplacement de la Constitution de 1987 par un avant-projet non autorisé doit être qualifié de tentative de fraus legis. Conformément à l’article 284.3 de la Loi fondamentale, « toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ». Cette interdiction expressis verbis rend toute procédure parallèle ou prétendument innovante nulle de plein droit. L’initiative de révision, pour être valide, exige la réunion préalable des conditions posées aux articles 282 à 284, dont l’existence d’un Parlement en exercice. A fortiori, aucun organe exécutif dépourvu de légalité démocratique, issu d’un consensus extra-constitutionnel, ne saurait s’arroger une telle compétence. En l’espèce, actus nullus effectus producit : un avant-projet conçu en marge du pacte constitutionnel ne produit aucun effet juridique opposable.

Le contexte de vacatio rei publicae que traverse Haïti – effondrement des institutions, suspension de la souveraineté populaire, désintégration territoriale – ôte tout fondement à la légitimité d’un pouvoir issu de l’Accord du 3 avril 2024. Ce dernier, conclu inter amicos, sans représentation nationale, n’a donné lieu à aucune mise en œuvre effective des structures transitoires qu’il prévoyait : ni Conseil électoral de consensus, ni organe de contrôle des actes de l’Exécutif, ni mécanismes de désarmement réel des gangs…Le pouvoir de facto en place agit en dehors du cadre constitutionnel et sans auctoritas populaire, violant ainsi le principe de séparation des pouvoirs et de continuité de l’État. En ce sens, toute tentative de réforme constitutionnelle sous son égide relève de la simulatio juris, soit une feinte de droit dissimulant une intention politique illégitime.

In fine, transposer la souffrance collective d’un peuple ravagé par l’anomie, l’exode et le deuil en capital politique pour exonérer les auteurs de ces crimes, ou pour instrumentaliser l’architecture constitutionnelle à des fins de perpétuation du pouvoir, revient à commettre une seconde violence, cette fois symbolique et institutionnelle. Fiat justitia ruat caelum : la justice doit être rendue, même si le ciel doit s’effondrer. Nulle société fondée sur la négation de ses morts, sur la compromission avec le crime organisé ou sur la subversion de ses normes fondamentales, ne saurait espérer se reconstituer. L’amnistie et la réforme constitutionnelle, dans les conditions actuelles, ne sont pas des actes politiques légitimes, mais des violations du jus publicum et une trahison de la République.

Elco et cba

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