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Amérique Latine : la nécessité de mettre un terme à la culture du bruit

today2024-06-29 3

Amérique Latine : la nécessité de mettre un terme à la culture du bruit
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« Contrôler la source du bruit c’est contrôler la santé d’autrui »

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Peinture murale de rue représentant une femme, un doigt sur la bouche en signe de silence. Image via Pxhere. Licence: CC0 Public domain.

Sur l’écran apparaît un homme qui essaie de dormir mais n’y parvient pas à cause du bruit qui vient d’à côté. Il va frapper chez son voisin qui d’abord ne l’entend pas. Puis le voisin répond en tirant un coup de feu. Il ne s’agit pas là du script d’un gag de bandes-dessinées ou d’un dessin-animé mais de la réalité. Durant les festivités de la Fête des Mères en Colombie, tôt le matin du 12 mai, un homme de 50 ans a été assassiné par ses voisins après leur avoir demandé de baisser le son de la musique à leur fête.

Des scènes de ce genre sont monnaie courante en Colombie et à travers l’ Amérique Latine. Elles dénoncent non seulement l’ intolérance qui existe entre voisins mais aussi un problème culturel profond relatif à l’utilisation et à l’abus du bruit.

On sait bien que le bruit d’une explosion peut engendrer une perte de l’audition, mais cela peut aussi arriver progressivement par une exposition continue à un volume sonore élevé, comme écouter de la musique forte avec un casque ou être constamment exposé(e) à de la musique forte.

En 2013, l’ Organisation mondiale de la Santé a estimé que 360 millions de gens souffrent de perte auditive — soit environ 5,3 % de la population mondiale. Parmi eux, 32 millions sont des bébés. En Colombie, depuis 2015, environ 11 % de la  population totale a des problèmes d’audition. Au sein de la population active des 25 – 50 ans, les pertes de l’audition liées au bruit sont estimées à 14%.

Chaque jour, les feux de circulation n’ont pas le temps de changer que déjà les automobilistes klaxonnent. Les bus aussi klaxonnent très fort à chaque arrêt. Quand les gens prennent les transports en commun, ils écoutent de la musique ou regardent des vidéos sur leur portable sans écouteurs. Dans la rue, des piétons et des motos transportent des enceintes équipées de lumières colorées avec le volume monté au maximum. À cela s’ajoutent les bicyclettes motorisées, sources de terribles nuisances sonores, qui rivalisent avec des motos dignes de figurer dans Fast & Furious.

Il y a ceux qui font des fêtes sur les toits-terrasses ou dans les espaces communs que l’on peut entendre dans tout l’immeuble et qui durent des jours. Il n’y a pas de répit, même à l’heure des repas. On peut entendre les télévisions qui diffusent des matches de foot dans les restaurants à des rues à la ronde. Chaque endroit a son propre haut-parleur. Les centres de consultation médicale qui par le passé étaient décorés de posters représentant une infirmière avec un doigt sur la bouche ont maintenant des écrans de télévision et tout le monde a le droit d’utiliser son portable aussi fort qu’il le souhaite.

Dans les villes comme Bogotá, la police est censée intervenir quand des voisins sont trop bruyants. Cependant, ceux qui en ont fait l’expérience savent qu’impliquer la police de cette manière peut être dangereux et nuire plus encore à une coexistence civique. Et dans les unités résidentielles, l’administration ne fait non plus pas grand-chose pour résoudre ces problèmes.

Opération de circulation contre les nuisances sonores des véhicules, Lima, Pérou. Photo de la Municipalidad de Miraflores sur Flickr (CC BY 2.0 DEED).

À ce propos, le projet de loi sur les nuisances sonores (« la Loi contre le bruit »), sous la direction de la personnalité colombienne Daniel Carvalho de la Chambre des députés, cherche à établir des directives pour la formulation d’une politique de qualité sonore dans le pays. Ce projet de loi garantirait le bien-être des gens, mais aussi des plantes et des animaux de divers écosystèmes en encourageant des espaces exempts de bruit, défiant ainsi les normes actuelles en Colombie. La rédaction du projet de loi a été participative, impliquant la collaboration d’organisations environnementales, du milieu académique et des personnes affectées par le bruit.

Outre soutenir le projet de loi, l’initiative encourage les citoyens à s’engager avec un « Manifeste pour la Sérénité. » Le manifeste appelle à maintenir une coexistence saine et respectueuse avec ses voisins; à éviter l’usage d’enceintes dans les lieux publics; à utiliser les appareils audio et de télévision à un volume modéré; à pratiquer des techniques de conduite respectueuses de l’environnement sonore, comme ne pas klaxonner sans raison et préférer la mobilité durable, et à parler sur un ton de voix modéré dans les espaces publics ou privés.

Face à la surexposition au stress auditif, une option possible si on en a les moyens, est de s’installer en banlieue de sa ville. Cependant, cela implique des trajets plus longs. Et tôt ou tard, l’irresponsabilité des propriétaires d’enceintes y fera aussi son apparition.

D’autres options, qui requièrent aussi un investissement financier, sont la mise en place d’une isolation acoustique: un système de boîte à l’intérieur d’ une boîte, comme sont censés utiliser les bars and discothèques, ou de fenêtres insonorisées, qui utilisent un verre trempé épais et des chambres à air.

Pour des solutions un peu plus abordables et transportables  — les quartiers résidentiels ne sont pas les seuls endroits bruyants, les lieux publics le sont aussi  — il y a les écouteurs anti-bruit, les écouteurs insonorisés , et les boules Quiès pour dormir. Les gens les utilisent de plus en plus pour dormir, travailler, ou dans leur vie quotidienne. L’usage d’un casque avec un bruit blanc, un bruit marron ou le son de la pluie peut aider à la concentration.

Les écouteurs insonorisés, avec ou sans suppression du bruit, sont adaptés aux personnes atteintes du syndrome d’ Asperger ou de troubles du spectre autistique, de TDAH, ou d’hypersensibilité aux bruits forts. Ils sont aussi idéaux dans les situations où l’on souhaite feutrer les bruits, comme lorsqu’on étudie, à un concert, pendant le sommeil, au théâtre, lors d’évènements, ou dans n’importe quelle situation où le bruit dérange.

La musique, qui devrait être une source de plaisir, puisqu’elle provoque la libération de dopamine dans le cerveau, devient totalement insupportable quand elle représente un élément de pouvoir sur les autres. Quiconque contrôle la source du bruit contrôle la santé de ceux et celles qui l’entourent.

Il est temps d’arrêter de normaliser la culture du bruit. Prenons conscience de la façon dont le bruit affecte notre environnement. Une chose aussi insignifiante que le bip répétitif d’un téléphone portable peut avoir de sérieuses conséquences pour la personne assise à nos côtés. Il nous faut comprendre que le bruit peut être la cause non seulement de perte auditive, mais aussi de migraines, de frustration, de crainte de rentrer chez soi, de désespoir et même d’un désir de mort.

Écrit par: Viewcom04

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