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À Port-au-Prince, la peur a pris le pouvoir, alerte Miroslav Jenča devant le Conseil de Sécurité de l’ONU

today2025-07-05

À Port-au-Prince, la peur a pris le pouvoir, alerte Miroslav Jenča devant le Conseil de Sécurité de l’ONU
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Le fracas des armes remplace peu à peu l’autorité de l’État à Port-au-Prince. La capitale haïtienne, gangrenée par les gangs armés, n’est plus qu’un archipel de quartiers aux mains de chefs de guerre. 

« Sans une action accrue de la communauté internationale, l’effondrement total de la présence de l’État dans la capitale pourrait devenir une réalité », a alerté Miroslav Jenča, responsable du continent américain à l’ONU, lors d’une réunion du Conseil de sécurité ce mercredi.

Depuis janvier, les chiffres s’emballent : 1,3 million de déplacés internes – dont la moitié sont des enfants –, plus de 4.000 homicides volontaires recensés par l’ONU, dont 376 femmes et 89 mineurs, et la faim qui rôde partout en Haïti, désormais classé parmi les cinq pays les plus exposés au monde au risque de famine. 

À cela s’ajoute l’impuissance de l’État haïtien, qui voit ses institutions rongées par la corruption et les bandes armées. À Mirebalais, une attaque coordonnée en mars a conduit à l’évasion de 530 détenus à haut risque, « dont beaucoup liés à des trafics d’armes, de drogue et d’êtres humains », a souligné Ghada Fathy Waly, directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Une gouvernance fantôme

Le Conseil de sécurité était réuni pour faire le point sur la mission politique de l’ONU dans le pays. Mais les exposés livrés ce matin dessinaient bien plus que le portrait d’un État en crise : ils racontaient l’anatomie d’un effondrement.

Dans les zones sous contrôle des gangs, les services publics n’existent plus. À la place, des formes de gouvernance parallèle s’installent. « Les groupes criminels comblent le vide laissé par l’absence ou l’insuffisance des services publics », a expliqué Mme Waly. Pendant ce temps, le commerce légal est asphyxié. Le terminal portuaire de la capitale est à l’arrêt, le prix du riz a bondi de plus de 30 % depuis 2022, et le carburant se négocie à cinq dollars le gallon au marché noir.

© OHCHR/Marion Mondain

Haïti est le pays le plus pauvre du continent américain.

Violences extrêmes

À l’horreur s’ajoute la peur. Violences sexuelles massives, exploitation de femmes et de jeunes filles dans les zones contrôlées par les gangs, multiplication des groupes d’autodéfense accusés d’exécutions sommaires… L’ONUDC rapporte également des allégations glaçantes de trafic d’organes. En mai, la police haïtienne a mené une perquisition dans une clinique suspectée d’en être le centre nerveux à Pétion-Ville. Des cas similaires ont été signalés dans le nord du pays.

« Ce qui était déjà une situation grave est en train de dégénérer davantage », a tranché Mme Waly.

L’impuissance internationale

Face à ce chaos, les maigres remparts peinent à tenir. La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MSS), un contingent international non-onusien de police sous l’égide du Kenya, a marqué son premier anniversaire dans la douleur, endeuillé par la mort de deux policiers. « Malgré tous leurs efforts, la MSS et la police nationale d’Haïti n’ont pas réussi à restaurer l’autorité de l’État », a concédé Miroslav Jenča, en appelant à des contributions volontaires supplémentaires et à la mise en place urgente par le Conseil d’un bureau de soutien logistique et opérationnel des Nations Unies à la MSS, conformément aux recommandations formulées le 24 février par le Secrétaire général.

« Ces recommandations offrent une solution immédiate », a-t-il insisté.

En attendant, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), une mission politique spéciale créée en 2019 par le Conseil de sécurité afin de prendre le relais de sa mission de maintien de la paix dans le pays, semble inadapté à la situation actuelle. « Il n’avait pas vocation à opérer dans un environnement aussi hostile que celui que nous connaissons aujourd’hui », a résumé M. Jenča. Pourtant, le bureau continue de fonctionner dans des conditions de plus en plus précaires.

Et pendant ce temps, la République haïtienne s’effrite. À La Chapelle, dans l’Artibonite, 8.890 habitants ont fui une attaque de gang le 22 juin. Dans les faubourgs de Mirebalais, ce sont 51.000 personnes, dont 27.000 enfants, qui ont pris la route. Le Sud, jadis épargné, est désormais touché. Et à l’Est, les points de passage avec la République dominicaine deviennent le théâtre d’attaques contre les douaniers et les policiers.

Course contre l’effondrement

En toile de fond, l’ONU tente de garder espoir. « La situation en Haïti reste dramatique, mais certaines mesures récentes prises par les autorités sont prometteuses », a souligné Ghada Fathy Waly, citant les réformes judiciaires, les enquêtes anti-corruption et le gel d’avoirs liés au crime organisé.

Mais pour Miroslav Jenča, le compte à rebours est lancé : « Nous ne devons pas laisser tomber Haïti à ce moment critique. Les options dont nous disposons aujourd’hui seront bien moins coûteuses que si l’État venait à s’effondrer totalement. Il n’y a plus de temps à perdre ».

Plusieurs États ont appuyé cet appel à l’action. La France a plaidé pour une implication accrue des Nations Unies dans la sécurité, notamment via un bureau de soutien logistique à la mission multinationale, l’application rigoureuse de sanctions contre les financeurs des gangs, et le renforcement des institutions judiciaires et pénitentiaires haïtiennes.

De son côté, la BArbade a exhorté le Conseil, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), à accorder au BINUH un mandat plus robuste, incluant le soutien aux autorités haïtiennes dans la détention de criminels dangereux et la mise en œuvre de l’embargo sur les armes. « Haïti ne peut pas être relégué au second plan. La crise n’est pas seulement nationale, elle est régionale », a déclaré son représentant.

Mais pour les Haïtiens piégés entre l’indifférence et la peur, les mandats, les résolutions et les plans d’appui ne valent rien s’ils n’arrivent pas à temps.

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