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A la découverte des artistes coréens du Kazakhstan

today2025-02-13 3

A la découverte des artistes coréens du Kazakhstan
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Ils contribuent de bien des manières à sculpter l’art local

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Tableau d’un artiste coréen (anonyme) se trouvant au musée d’État des arts Abilkhan Kasteyev à Almaty, Kazakhstan. Photo utilisée avec permission.

En 1937, Joseph Staline ordonne l’expulsion de presque 175 000 Coréens du Kraï d’Extrême-Orient, territoire appartenant autrefois à l’Union Soviétique.
Mais leurs descendants vivent toujours en Asie centrale, et ceux-ci sont déterminés à faire connaître l’histoire de leurs ancêtres à travers l’art et l’échange culturel.

Ces descendants ont choisi le nom « Koryo-saram », un terme utilisé pour décrire les Coréens de l’Union Soviétique. Leurs ancêtres furent déportés suite à un décret « Sur l’expulsion des populations coréennes hors des régions frontalières au territoire d’Extrême-Orient ». Décret qui fut mis en place par Staline. L’Asie Centrale faisait à l’époque partie de l’Union Soviétique.

La décision d’expulser les Coréens tirerait son origine de la peur d’une possible coopération de ces derniers avec l’empire du Japon, dont les relations avec l’Union Soviétique étaient assez hostiles. Cette manœuvre à grande échelle commença en septembre 1937, plus de 100 000 personnes considérées comme « indignes de confiance » furent relocalisées de force dans des régions peu occupées du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. Les Coréens font partie des premiers peuples de l’Union Soviétique ayant subi une déportation massive.

Voici une vidéo YouTube abordant le sujet de la déportation des Coréens :

Rien qu’au Kazakhstan, la population de Coréens dépasse les 100.000 individus, contribuant énormément à la vie sociale et culturelle du pays. Le premier théâtre national coréen du monde, le « Théâtre coréen de la comédie musicale », se trouve par ailleurs à Almaty, la ville la plus grande du pays ainsi que sa capitale. La ville héberge également le journal « Koryo Ilbo », publié dans trois langues différentes : coréen, kazakh et russe.

De plus, le Musée d’État des arts Abilkhan Kasteyev, principal musée d’art de la ville qui fut nommé d’après le peintre Abilkhan Kasteyev, abrite non seulement les œuvres de dizaines d’artistes coréens qui furent exilés au Kazakhstan, mais aussi celles de leur descendance. Cependant, due à l’isolation de l’Asie centrale au cours des années soviétiques, ces artistes, qui font pourtant partie intégrante du paysage artistique kazakh, ne sont pas souvent étudiés en dehors de l’Asie centrale et de la Corée.

Global Voices a pu visiter le musée avec l’aide de Elizaveta Kim, historienne de l’art et employée du musée, ce qui nous a permis d’explorer les archives de l’art coréen au Kazakhstan et d’en apprendre beaucoup sur les artistes coréens les plus influents du pays.

Dans la rubrique suivante, Elizaveta Kim nous contera l’histoire de ces artistes par une narration à la première personne. La journaliste Alexandra Sharopina a contribué à la révision de cet article.

Elizaveta Kim se tenant face à l’un des tableaux de son père, Mikhail Kim, intitulé « Mechta » (rêve). Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Elizaveta Kim : Sculpter l’art local

Le premier de nos artistes important s’appelle Kim Hyun Nyun (1908–1994). Il fut diplômé de l’Académie des beaux-arts d’Union soviétique en 1937, avant d’être déporté au Kazakhstan depuis Leningrad. Cette expulsion forcée l’avait empêché de retourner chez lui, à Vladivostok. On lui avait fait croire que tout le monde avait déjà été expulsé, et qu’il ne trouverait personne là-bas.

Uke Azhiyhev, comme beaucoup de nos artistes kazakh, se rappelle : « Quand on était étudiants (1937-1938), on adorait les expositions de Kim Hyun Nyun. Ses tableaux étaient à grande échelle. Il représentait des scènes historiques composées de plusieurs personnes, et ses lumières étaient complexes. On adorait étudier à ses côtés parce qu’à l’époque, il n’y avait pas d’autres artistes aussi sérieux que lui au Kazakhstan. »

Kim Hyun Nyun enseignait à l’université, travaillait dans une maison d’édition de journaux, était impliqué dans des œuvres théâtrales, tout en continuant de peindre.
Il y avait un manque de personnel énorme dans ces domaines, c’est pour cela qu’on l’invitait partout.

Voici l’un des tableaux de Kim Hyun Nyun :

Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Mon père, Mikhail Kim (1923–1990), est né à Vladivostok, mais il fut déporté au Kazakhstan en 1937, alors que ce n’était encore qu’un adolescent. Il rêvait d’être diplômé de l’Académie des Arts de Leningrad, malheureusement, les Coréens n’avaient pas le droit de quitter le pays. Ils étaient considérés comme des « colons particuliers », alors mon père est resté au Kazakhstan, puis il a voyagé dans de nombreuses villes.
Il peignait des tableaux monumentaux, et ses esquisses sont gardées dans notre musée.

Voici l’une de ses œuvres, « Schastye » (Bonheur) :

Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Boris Pak (1935–1992) est un autre artiste éminent. Il n’avait que quatre ans quand sa famille fut déportée au Kazakhstan. Sa mère perdit la vie lors du voyage. Son père, Pyotr Pak-Ir, était un grand scientifique, linguiste, orientaliste, philosophe… C’était une personne incroyable.

Pak Boris était très éduqué, il a obtenu son diplôme à l’Académie des Arts de Leningrad. Il a ensuite produit de magnifiques illustrations pour des livres et des contes d’auteurs comme Hans Christian Andersen, Wilhelm Hauff, et bien d’autres.

Voici deux illustrations de Boris Pak :

Illustration pour « Le Chant de Hiawatha » par Henry Wadsworth Longfellow. Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Illustration pour « Le Stoïque Soldat de plomb » d’Hans Christian Andersen. Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Les personnes qui allaient voir les expositions de Pak n’arrivaient pas à comprendre si ses illustrations étaient faites à la main. Son travail était tellement minutieux, délicat. Un livre à une structure différente d’un tableau, et il le savait bien. Il prenait en compte ce genre de détail. C’était un excellent dessinateur.

Konstantin Pak (1924–1987) fut déporté au Kazakhstan alors que ce n’était encore qu’un enfant. Il travailla pendant longtemps au théâtre coréen, pour lequel il conçut de nombreux décors. De plus, les théâtres coréens et ouïghours se trouvaient pendant longtemps dans le même bâtiment, et leurs représentations s’alternaient. Konstantin a donc pu réaliser des décors pour les performances des Coréens, mais également pour celles des ouïghours.

Voici deux tableaux de Konstantin Pak :

Esquisse pour l’une des pièces d’Hong Din, « Kim sung-der ». Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Costume réalisé pour la pièce « Anarkhan » de D. Asimov et A. Sadyrov. Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Perpétuer la tradition familiale

Svyatoslav, Afanasy, et Sergey Kim font partie de la seconde génération d’artistes coréens. Nés au Kazakhstan dans les années 1950, ce sont les neveux de Mikhail Kim.

Svyatoslav Kim (1954–2017) à pendant longtemps travaillé dans des maisons d’édition. Sa compréhension de la structure d’un livre était parfaite, ce qui lui permit d’illustrer de nombreux livres. Il fut lauréat de diverses expositions centrées sur les livres, et c’était un graphiste reconnu dans ce domaine.

Voici une illustration de Svyatoslav Kim pour « Kruglyi god » (Toute l’année) :

Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Afanasy Kim (1952–1987) était le frère de Svyatoslav. C’était un dessinateur incroyable et extrêmement talentueux. Malheureusement notre musée ne possède aucun de ses travaux.

Sergey Kim est né en 1952. Il travailla pendant longtemps sous la tutelle d’Azhiev Uke, qui avait placé beaucoup d’espoir en lui. Uke répétait que Sergey était un coloriste béni par les dieux. Pavel Zaltsman avait également placé ses espoirs en lui. Il retrouvait dans le style de Sergey une extension de celui de Pavel Filonov.

Sergey est un incroyable coloriste, travaillant principalement à l’aquarelle. Fut un temps où il ne peignait que de jeunes femmes ou des hommes âgés. La génération entre les deux ne l’intéressait pas tant que ça. Ce qui l’intéressait, c’étaient ceux qui venaient de commencer à vivre, ainsi que ceux qui avaient déjà bien vécu.

Voici l’un de ses tableaux.

« Portrait de Gali Kopakli ». Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

« Portrait de Gali Kopakli ». Photo prise par l’auteur, utilisée avec permission.

Prenez l’exemple de « Portrait de Gali Kopakli », qui est une jeune fille moldave. On ne la remarque pas tout de suite, mais il y a bel et bien une rose dans le coin gauche. Elle sert un peu de « diapason chromatique », et montre toute la tendresse du tableau : elle a toute la vie devant elle, mais à quoi bon vivre ?

Note de l’auteur : Même si le fait de présenter des artistes par leur ethnie n’est pas l’idée la plus productive du point de vue de l’histoire de l’art, notre objectif dans cet article n’était pas scientifique, mais bien journalistique. Nous voulions mettre en valeur la manière dont l’art contemporain kazakh fut créé par le mélange de différents groupes ethniques.
Nous pourrions également poser la question de savoir à quel point ces travaux sont « Coréens ». Ce qui est certain, c’est qu’on y retrouve énormément d’énergie « kazakh soviétique ».

Écrit par: Viewcom04

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