A lire

Les raisons derrière le mythe selon lequel le cantonais serait une langue chinoise plus authentique

today2025-11-25

Les raisons derrière le mythe selon lequel le cantonais serait une langue chinoise plus authentique
share close

Le débat sur l’authenticité est une réaction à l’intrusion culturelle

Initialement publié le Global Voices en Français

Expressions et mots cantonais couramment utilisés qu’on ne trouve pas dans les dictionnaires de mandarin standard. Image d’Inmediahk.net (CC: AT-NC).

Comme expliqué dans un précédent article, il n’existe pas qu’une seule langue chinoise, mais de nombreux dialectes et variantes. Ce n’est qu’après la fondation de la République de Chine en 1912 que le mandarin, une langue parlée dans le nord-est du pays et au sein de la cour impériale de la dynastie Qing, est devenu la langue nationale de la Chine.

La décision a été prise le 15 février 1913, à la suite d’un processus de vote arbitraire mené par le « Comité de standardisation de la prononciation », sous la République de Chine nouvellement fondée. Le comité comptait 44 représentants, mais son président, Cai Yuanpei, alors recteur de l’Université de Pékin, détenait 29 voix, tandis que le vice-président en détenait 5.

En raison de l’absence de consensus et de la montée du régionalisme durant l’époque des seigneurs de la guerre de la République de Chine (1916-1928), le mouvement en faveur du mandarin comme langue nationale s’est heurté à des résistances locales. Le gouvernement central de la République de Chine a alors dû appeler à une « révolution culturelle » afin de « sauver le pays ».

Le mandarin, appelé plus tard putonghua, a servi de lingua franca en Chine, permettant aux locuteurs de différentes langues chinoises de communiquer entre eux. La diversité linguistique du pays a perduré jusqu’aux années 1990, période à laquelle le putonghua a été officiellement promu comme langue d’enseignement principale dans les écoles.

Beaucoup ont dénoncé la décision arbitraire de 1913 qui faisait du mandarin la langue officielle, et des défenseurs locaux se sont opposés à la suppression des langues maternelles.

Dans la province du Guangdong, où l’on parle cantonais, beaucoup estiment que leur langue locale est plus authentique que le mandarin, et certains pensent même que le cantonais a failli être choisi comme langue officielle de la Chine.

Beaucoup de révolutionnaires chinois ayant renversé la dynastie Qing dirigée par les Mandchous sont nés dans le Guangdong. C’est le cas, par exemple, du père fondateur de la République de Chine, Sun Yatsen, locuteur natif du cantonais et du hakka. Il a commencé à élaborer des plans pour renverser la dynastie Qing à Hong Kong en tant que membre du groupe de locuteurs cantonais appelé les Quatre Bandits. Après avoir fondé la Société de l’Alliance de Chine au Japon, Sun a collecté des fonds auprès des Chinois d’outre-mer de Nanyang (terme désignant des pays d’Asie du Sud-Est, dont la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines) pour financer la Révolution chinoise. Les Chinois d’outre-mer du Nanyang parlent en majorité le cantonais et le hokkien.

Le cantonais ou d’autres langues du sud de la Chine étaient ainsi considérés comme des choix plus corrects politiquement, le mandarin étant la langue parlée par la cour impériale des Qing, contre laquelle les révolutionnaires chinois prévoyaient de se révolter. C’est probablement la raison pour laquelle le « Comité de standardisation de la prononciation » de la République de Chine n’a pas réussi à atteindre un consensus concernant la langue officielle, la décision ayant finalement été largement influencée par son président.

Outre les considérations politiques, du point de vue de nombreux Chinois du sud de la Chine, le mandarin est considéré comme une « langue han étrangérisée » (胡化漢語), la partie nord de la Chine ayant été sous la domination de peuples étrangers tout au long de l’histoire chinoise.

D’après Yuan Tengfei, célèbre historien et professeur d’histoire chinois, le mandarin était une langue créole parlée par des tribus étrangères dans le nord de la Chine, autour de Pékin. L’historien souligne dans l’un de ses ouvrages sur l’histoire de la Chine :

北京是遼金元明清五朝故都,除了明朝,遼金元清全是少數民族,所以北京這個地方自古胡漢雜居,胡人統治的時間可能比漢人還要長。

Pékin est l’ancienne capitale de cinq dynasties : la dynastie Liao dirigée par les Khitans (916-1125), la dynastie Jin dirigée par les Jurchens (1115-1234), la dynastie Yuan dirigée par les Mongols (1271-1368), la dynastie Ming dirigée par les Han (1368-1644) et la dynastie Qing dirigée par les Mandchous (1636-1912). À l’exception de la dynastie Ming, les dynasties Liao, Jin, Yuan et Qing étaient toutes gouvernées par des minorités ethniques non han. Ainsi, Pékin a toujours été un lieu de cohabitation entre Han et peuples étrangers, et la période de domination des peuples étrangers y a sûrement été plus longue que celle des Han.

En revanche, d’autres langues du sud de la Chine, en particulier le cantonais, sont considérées comme plus authentiques.

Le mythe autour du cantonais veut que cette langue ait été parlée dès la dynastie Tang et conservée dans le sud de la Chine après la révolte d’An Lushan (755-763), lorsque l’empereur s’enfuit au Sichuan et qu’un grand nombre de lettrés se réfugièrent également dans le sud du pays.

Bien qu’il soit impossible de retracer avec précision les prononciations du chinois à l’époque de la dynastie Tang, le mythe du cantonais est étayé par de nombreux exemples montrant que les expressions de cette langue s’appuient sur la littérature classique chinoise. Par exemple, le terme « amour » se dit « jung1-yi3 » (鍾意) en cantonais, et non « xi huan » (喜歡) comme en mandarin, terme reflété dans le roman Au bord de l’eau de la dynastie des Song du Nord. De même, « combien » se dit « gei2-do1 » (幾多) en cantonais, au lieu de « duo shao » (多少) comme en mandarin, expression reflétée dans le poème « 虞美人 » (« Lady Yu, la belle impériale ») écrit par Li Yu (李煜, 937-978), empereur de la dynastie des Tang du Sud.

Les poèmes de la dynastie Tang rimeraient également mieux en cantonais. Un exemple souvent cité est le poème « Monter sur la tour des cigognes » (登鸛雀樓) de Wang Zhihuan (688-742). La transcription ci-dessous illustre la manière dont le poème rime en putonghua et en cantonais :

白日依山盡 | Le soleil blanc se couche derrière les montagnes
黃河入海流 | Le fleuve Jaune se jette dans la mer
欲窮千里目 | Si vous souhaitez une vue plus vaste
更上一層樓 | Montez encore d’un étage

Mandarin : Bái rì yī shān jìn
Huánghé rù hǎiliú
yù qióng qiānlǐ mù
gèng shàng yì céng lóu

Cantonais : baak6 jat6 ji1 saan1 zeon6
wong4 ho4 jap6 hoi2 lau4
juk6 kung4 cin1 lei5 muk6 
gang13 soeng56 jat1 cang4 lau4

Pourtant, comme l’ont souligné certains spécialistes, le débat sur l’authenticité reflète la réaction locale à  l’intrusion culturelle de l’autorité centrale. Depuis l’adoption de la Loi sur la langue nationale standard parlée et écrite de Chine en 2000, les habitants de la province de Guangdong ont exprimé une forte opposition. En l’espace de deux décennies, l’usage du cantonais dans les communications publiques au sein des organisations gouvernementales, des écoles, des entreprises, des restaurants et autres structures a progressivement été remplacé par l’usage du putonghua dans la province.

En ce qui concerne Hong Kong, depuis 1999, le gouvernement de la ville a élaboré un plan visant à mettre en œuvre la politique d’enseignement du programme de chinois en putonghua plutôt qu’en cantonais, en complément du programme de putonghua dans l’enseignement primaire et secondaire. Néanmoins, ce plan a rencontré une forte opposition dans le secteur de l’éducation, car des recherches ont montré que les enfants auraient des difficultés à comprendre les expressions écrites en chinois si elles étaient expliquées en putonghua. L’authenticité du cantonais a également été avancée comme un argument majeur contre la politique de standardisation linguistique. Ce plan est resté suspendu jusqu’en 2008.

En 2020, plus de 70 % des écoles primaires et environ 30 % des établissements secondaires de Hong Kong avaient adopté le putonghua pour l’enseignement du programme de chinois.

Après la répression des manifestations de 2019 contre l’extradition vers la Chine et la mise en œuvre de la Loi sur la sécurité nationale en 2020, la volonté d’imposer pleinement l’enseignement en putonghua dans le cursus d’enseignement du chinois s’est renforcée. Wong Ching-yung, un intellectuel favorable au gouvernement, a par exemple défendu dans le magazine Bauhinia l’idée selon laquelle le remplacement du cantonais par le putonghua comme langue chinoise standard à Hong Kong devrait constituer un élément central de « l’éducation nationale » de la ville, en appuyant son argument sur le statut international du putonghua, reconnu comme langue officielle parlée à l’ONU.

La Journée de la langue chinoise des Nations Unies, le 20 avril, pourrait devenir une nouvelle occasion de promouvoir la standardisation du chinois parlé à Hong Kong. L’ironie est que ce jour est à l’origine consacré à la célébration de la diversité linguistique.

Écrit par: Viewcom04

Rate it

Radio Tv Dromage
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.