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RADIO DROMAGE
Entre 1915 et 1934, Haïti subit l’occupation militaire des États-Unis, période qui marque en profondeur l’architecture politique et institutionnelle du pays. Dans ce contexte, les bases de la Garde d’Haïti — future armée nationale — sont posées par les forces américaines dans une logique de maintien de l’ordre et de contrôle social. Cette force militaire, qui deviendra l’instrument principal de régulation du pouvoir d’État, est conçue pour défendre les intérêts économiques des élites locales et la stabilité politique selon les normes de la tutelle étrangère. La classe bourgeoise haïtienne, notamment commerçante et majoritairement mulâtre, trouve dans ce dispositif militaro-administratif un allié pour assurer la reproduction de ses privilèges. Dès lors, l’armée et la bourgeoisie deviennent les deux colonnes portantes d’un système d’exclusion politique.
C’est dans cette conjoncture que s’inscrit la présidence de Louis Borno (1922–1930), homme de loi formé en France, choisi sans élection par l’occupant américain. Borno gouverne par décret, sans Parlement, dans un cadre autoritaire qui centralise l’administration tout en modernisant certaines infrastructures. Il applique fidèlement les orientations économiques dictées par la Commission financière américano-haïtienne. Durant son mandat, la bourgeoisie haïtienne conserve ses positions sociales, profitant d’un régime stable et prévisible. L’armée, encore peu développée, n’intervient pas comme force politique autonome, mais elle amorce son enracinement au sein de l’État central.
Avec Sténio Vincent (1930–1941), Haïti connaît un retour symbolique au suffrage, mais dans un cadre toujours largement conditionné par les intérêts américains. Vincent profite du retrait officiel des Marines en 1934 pour renforcer son pouvoir exécutif. Il favorise l’institutionnalisation de l’armée nationale, désormais dirigée par des officiers haïtiens, qui devient le principal garant de l’ordre intérieur. L’alliance entre la bourgeoisie commerçante et le pouvoir exécutif reste intacte, l’armée jouant un rôle tampon entre les masses et les élites. Vincent élimine les contre-pouvoirs parlementaires et entretient une méfiance envers les mouvements populaires. Il gouverne pour la stabilité, avec l’appui tacite des grandes familles marchandes de Port-au-Prince et du Cap-Haïtien.
La présidence de Élie Lescot (1941–1946) prolonge cette dynamique de pouvoir conservateur. Ancien ministre de Vincent et originaire du Nord, Lescot incarne le modèle du dirigeant autoritaire, francophile, étroitement lié aux élites du Cap et aux réseaux de la bourgeoisie mulâtre. Sa gestion du pouvoir s’effectue dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle il aligne sa diplomatie sur celle des Alliés, ce qui lui vaut un appui ponctuel des États-Unis.
Toutefois, sa présidence est marquée par un népotisme affiché, une répression accrue des syndicats et des partis émergents, ainsi qu’un contrôle rigide de la presse. Sa dépendance envers l’armée pour contenir la dissidence étudiante finit par se retourner contre lui. En janvier 1946, une révolte populaire impulsée par les étudiants et soutenue par de jeunes officiers provoque sa chute, révélant la fragilité de l’alliance militaro-bourgeoise lorsqu’elle ne peut plus contenir les tensions sociales.
Dumarsais Estimé, élu président en août 1946 à la suite d’une conférence politique inédite, représente une rupture dans l’histoire politique haïtienne. Ancien ministre de l’Éducation sous Vincent, intellectuel de formation, il est perçu comme l’expression d’une nouvelle légitimité, issue des couches noires de la petite bourgeoisie urbaine. Il tente d’ouvrir l’appareil d’État aux classes exclues, en menant des réformes en faveur de l’éducation, de l’emploi et du développement agricole.
Ce basculement inquiète la bourgeoisie traditionnelle, qui voit en Estimé une menace à l’équilibre racial et économique établi. Bien que soutenu à l’origine par une fraction progressiste de l’armée, Estimé sera renversé en 1950 à la suite d’un coup d’État militaire orchestré par le colonel Paul Magloire, scellant le retour d’un pouvoir conservateur, soutenu cette fois encore par l’establishment économique.
Enfin, tout au long de cette période (1915–1950), l’armée haïtienne, née comme instrument de contrôle colonial, devient progressivement une institution autonome, dotée d’un pouvoir d’arbitrage décisif dans la désignation des chefs d’État. Elle agit tantôt comme bras répressif du pouvoir en place, tantôt comme force de changement sous contrôle. De son côté, la bourgeoisie haïtienne, majoritairement urbaine et métissée, reste l’alliée structurelle du pouvoir exécutif, façonnant à sa manière les trajectoires présidentielles au nom de la stabilité, du commerce et du contrôle social. Cette configuration demeurera dominante jusqu’à l’irruption de la dictature duvaliériste en 1957, qui redéfinira brutalement le rôle de l’armée et le rapport entre pouvoir et capital.
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The post Haïti avant Estimé (1946) : les présidents de l’ordre bourgeois et militaire first appeared on Rezo Nòdwès.
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