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La littérature sinophone au-delà des frontières chinoises : entretien avec l’auteure Zhang Lijia

today2025-06-13

La littérature sinophone au-delà des frontières chinoises : entretien avec l’auteure Zhang Lijia
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Les auteurs doivent être libres de créer pour mieux raconter l’histoire de la Chine

Initialement publié le Global Voices en Français

Zhang Lijia. Photo utilisée avec permission.

Près de 50 millions de Chinois ne vivent pas en Chine. Cette population, souvent réduite à un simple acteur économique, est en vérité très active dans les domaines médiatiques et culturels, dont la littérature, particulièrement appréciée des citoyens de la diaspora chinoise qui peuvent écrire en chinois ou dans la langue de leur pays hôte.

Afin de comprendre les nuances qui entourent la littérature de la diaspora chinoise, Global Voices s’est entretenu avec Zhang Lijia (张丽佳), ancienne employée d’une usine de roquettes devenue auteure analysant la société, est née en Chine et alterne aujourd’hui une vie entre Londres et Pékin. Elle est l’auteure du mémoire «  Socialism Is Great!» et du roman « Lotus », une œuvre abordant le sujet de la prostitution dans la Chine contemporaine. Son prochain ouvrage, un roman historique, racontera la vie de Qiu Jin, la première féministe et révolutionnaire chinoise à l’aube du 20 ᵉ siècle, souvent appelée « la Jeanne d’Arc de Chine ».

Filip Noubel (FN) : Ressentez-vous une certaine liberté lorsque vous écrivez dans une langue que vous avez apprise tard dans votre vie ? Est-ce que c’est une question d’autocensure ? Pensez-vous que cela vous permet d’étendre votre style et d’expérimenter avec le processus d’écriture ?

Zhang Lijia (ZLJ): As a Chinese writer who grew up in China, speaking only Chinese, writing in English has been unexpectedly liberating. Politically, it grants me freedom. Writing for an international audience allows me to bypass the constraints of China’s strict censorship, which has long stifled creative expression. In fact, I believe this censorship is one of the key reasons why China’s literary scene isn’t as vibrant or dynamic as it could be.

Creatively, writing in English offers a different kind of liberation. Because it is not my native tongue, I feel more comfortable experimenting with form, structure, and style. The unfamiliarity of the language opens doors to fresh perspectives and a certain boldness. My adopted language has enabled me to explore and articulate thoughts and emotions that might have felt constrained in Chinese. For example, in my memoir “Socialism Is Great!,” I wrote a sex scene that was far more explicit than it would have been had I written it in Chinese, where cultural and linguistic nuances might have demanded greater restraint.

Writing in English has, in many ways, become an avenue for both creative exploration and personal emancipation.

Zhang Lijia (ZLJ) : En tant qu’auteure chinoise ayant grandi en Chine et n’ayant jamais parlé que le chinois, il est vrai qu’écrire en anglais fut, étonnamment, assez libérateur. Politiquement parlant, je suis plus libre lorsque j’écris pour un public international. Cela me permet de contourner la censure chinoise, qui ne sert qu’à étouffer la créativité. En effet, je pense que cette censure est l’une des raisons pour laquelle la scène littéraire chinoise n’est pas aussi vibrante et dynamique qu’elle pourrait l’être.

Créativement parlant, écrire en anglais offre une liberté totalement différente. Puisque l’anglais n’est pas ma langue natale, je ressens un certain confort à tester les structures, les formes et les différents styles de la langue. Cette méconnaissance de la langue m’a permis d’ouvrir de nombreuses portes et de découvrir de nouvelles perspectives. L’anglais, en tant que langue adoptée, me permet d’explorer et d’articuler mes pensées d’une manière que je pensais impossible en chinois. Par exemple, dans le mémoire « Socialism Is Great!», j’ai écrit une scène de sexe bien plus explicite que ce que je me serais permis de créer en chinois, puisque les nuances linguistiques et culturelles auraient demandé un peu plus de retenue.

Écrire en anglais m’a permis d’ouvrir de nombreuses voies, tant dans une exploration créative que dans une émancipation personnelle.

FN : Écrivez-vous encore en chinois ? Comment décririez-vous la relation qui se crée entre ses deux langues dans votre processus créatif ?

ZLJ: I rarely write creatively in Chinese these days, though I occasionally contribute pieces to Chinese publications when invited. Chinese is such a rich and expressive language, full of cultural depth and historical resonance. When I do write in English, I like to deliberately weave in dated expressions and traditional idioms to give the prose a distinctive flair — almost as if breathing new life into forgotten phrases. It’s a way to make the language feel fresh and evocative while connecting with its deep roots.

In my creative process, English and Chinese serve different purposes. English is my primary medium for storytelling — it’s where I feel most liberated and experimental. Chinese, however, remains the language of my inner world, tied to my memories and identity. Writing in English sometimes feels like building a bridge between the two, translating not just words but experiences, emotions, and cultural contexts.

ZLJ : J’écris rarement en chinois ces temps-ci, sauf lorsque je suis invité à participer à des publications chinoises. Le chinois est une langue très riche et expressive, autant culturellement qu’historiquement. Mais quand j’écris en anglais, je m’amuse à insérer des termes datés et des expressions classiques afin de rendre ma prose plus élégante, comme si je donnais un second souffle à des phrases oubliées. C’est une manière d’amener un vent de fraîcheur à une langue et de se connecter à ses racines enfouies.

L’anglais et le chinois ne servent pas le même but dans mon processus créatif. Je me sers principalement de l’anglais pour raconter une histoire, c’est une langue qui me permet de briser mes chaînes et de tester de nouvelles choses. Mais le chinois reste tout de même la langue de monde intérieur, elle est liée à ma mémoire et à mon identité. Lorsque j’écris en anglais, c’est comme si je construisais un pont qui relie deux cultures, je traduis plus que des mots, je traduis des expériences, des émotions et toute une culture.

FN : On parle souvent de littérature sinophone transcendant les barrières linguistiques et géographiques,  Xiaolu Guo, Ha Jin, Dan Sijie, Yan Geling, sans vous oublier, bien sûr. Pensez-vous qu’un tel genre de littérature existe réellement ? Si oui, quelle en est la définition ?

ZLJ: Yes, I believe global Sinophone literature is a valid and vibrant category. I think it refers to literary works written in Sinitic languages (such as Mandarin or Hokkien) or by authors of Chinese descent, often living outside mainland China. These works engage with a diverse array of themes and contexts, reflecting the complex interplay of language, identity, and geopolitics within the global Chinese diaspora.

What defines this literature is its multiplicity — it is not confined to one geography, style, or perspective. Instead, it captures the lived realities of Chinese communities across the world, often exploring themes like migration, displacement, identity, and cultural hybridity. It challenges the notion of a singular ‘Chinese literature’ by emphasizing the plurality of Chinese voices.

In an age of globalization, I welcome the recognition of Sinophone literature as part of the broader landscape of world literature. It offers an opportunity to deepen our understanding of how Chinese culture functions beyond national borders and encourages dialogue about postcolonialism and global interconnectedness.

On a related note, Xi Jinping’s ‘Tell China’s Story Well’ campaign aims to project a favorable image of China through soft power and international storytelling. While the idea is sound, its success hinges on allowing Chinese writers the freedom to express themselves authentically. Currently, the controls are too stringent for writers to truly ‘tell China’s story well.’ Without creative freedom, this vision remains unattainable. I write about this is an article, ‘Tell China’s Story Well: Its Writers Must Be Free Enough to Do So.’

ZLJ : Effectivement, je pense qu’il est tout à fait valide de considérer la littérature sinophone globale comme un genre vivant. J’imagine que ce terme fait référence aux œuvres écrites dans des langues chinoises (comme le mandarin ou le hokkien) ou écrites par des auteurs d’origines chinoises qui ne vivent pas en Chine continentale. Ces œuvres abordent une large variété de thèmes et de situations qui reflètent la complexité d’interagir avec une langue, une identité et même avec la géopolitique intradiaspora chinoise.

Ce qui définit ce genre de littérature, c’est sa multiplicité. Elle n’est pas limitée par la géographie, par l’usage d’un style, ni par la perspective. Non, ce genre capture la réalité vécue par les communautés chinoises éparpillées à travers le monde, il explore des thèmes comme l’immigration, l’identité et le mélange culturel. Il redéfinit la notion de « littérature chinoise » en mettant l’accent sur la pluralité des voix chinoises.

En pleine ère de globalisation, je dois avouer que j’apprécie la reconnaissance de la littérature sinophone dans le monde entier. Cela représente une certaine opportunité de pouvoir approfondir nos connaissances de la culture chinoise et de ses fonctions au-delà des frontières nationales. Cela encourage une discussion sur le postcolonialisme et sur l’interconnexion mondiale.

À ce propos, la campagne « bien raconter l’histoire de la Chine » lancée par Xi Jinping vise à projeter une image favorable de la Chine dans l’esprit des étrangers via le soft Power. Si cette idée peut paraître louable, pour qu’elle réussisse, il faudrait que les auteurs soient libres d’écrire ce qu’ils souhaitent. À l’heure actuelle, la censure est encore bien trop présente pour que les auteurs puissent « bien raconter l’histoire de la Chine ». Si nous ne pouvons pas créer librement, ce projet ne sera rien de plus qu’une éternelle chimère. J’ai partagé cette opinion dans l’article suivant : Tell China’s Story Well: Its Writers Must Be Free Enough to Do So.

FN : Quels sont les auteurs chinois qui vous ont le plus influencés ? Qu’en est-il des auteurs qui ne sont pas chinois ?

ZLJ: Among Chinese authors, Cao Xueqin, the author of ‘The Dream of the Red Chamber,’ has had a profound influence on me. His intricate portrayal of familial and social dynamics, set against the backdrop of a crumbling aristocratic world, is unmatched in its emotional depth and literary craft. Another major influence is Lu Xun, whose sharp, incisive observations of Chinese society reveal an unparalleled understanding of the Chinese psyche.

Among non-Chinese writers, Tolstoy stands out. His sweeping narratives, set against vast social and historical backdrops, are deeply immersive, yet he never loses sight of the intimate details that make his characters so human.

I also greatly admire Arundhati Roy, especially her novel ‘The God of Small Things.’ Its lyrical prose, rich imagery, and poignant exploration of social and personal struggles deeply resonated with me and have inspired my own storytelling.

ZLJ : Parmi les auteurs chinois, je pense que Cao Xueqin, auteur de « Le Rêve dans le pavillon rouge», est celui qui m’a le plus influencé. La manière dont il partage la complexité des relations familiales et sociales, le tout dans un décor de monde aristocratique sur le point de s’écrouler, n’a jamais été égalée, que ce soit sur le plan émotionnel ou littéraire. Je pourrais également cite Lu Xun comme une autre de mes influences. Ses observations tranchantes sur la société chinoise révèlent une compréhension de la psyché chinoise qui n’a jamais été surpassée.

Parmi les auteurs étrangers, je pense que Tolstoï surpasse tous les autres. Ses histoires grandioses écrites sur fond de récits sociaux et historiques sont tout simplement fascinantes, et pourtant il ne perd jamais de vue les petits détails qui rendent ses personnages humains.

J’admire également et grandement Arundhati Roy, surtout son roman « Le Dieu des Petits Riens». Sa prose lyrique, son imagerie riche, mais aussi la manière poignante qu’elle a d’explorer les difficultés sociales et personnelles résonnent véritablement avec moi, elle inspire la façon dont je raconte mes histoires.

Écrit par: Viewcom04

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