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Eau potable : quand le droit individuel à la propriété se heurte à la nécessité collective

today2025-02-04 1

Eau potable : quand le droit individuel à la propriété se heurte à la nécessité collective
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Par Dr. Noël AGELUS

Cet article, se propose d’analyser le cadre juridique Haïtien régissant le droit à la propriété privée. En effet,  l’examen des dispositions constitutionnelles, du droit civil, du droit pénal et  du droit rural, permet de mieux comprendre les interactions complexes entre ces différentes branches du droit dans le contexte de projets d’infrastructures d’intérêts collectifs. L’article est donc intéressé particulièrement aux conflits potentiels existant entre le droit à l’eau, considéré comme un bien commun, le droit de propriété individuelle ainsi qu’aux mécanismes de résolution de ces derniers. L’idée, est donc de fournir une analyse bigarrée des défis et des opportunités liés à la gestion de l’eau en Haïti.

1.- Contexte et justification

La construction des ouvrages publics, des infrastructures hydrauliques en exemple, suivant notamment leur situation géographique et topographique, nécessite souvent l’acquisition de terrains privés (construction de captage de source et des kiosques d’eau, et le passage des lignes d’adduction). L’État, confronté toujours à la réticence des propriétaires fonciers qui sont attachés à leurs biens, doit nécessairement mener des négociations transparentes avec eux de telle sorte à pouvoir parvenir à un accord. À dire vrai, un mauvais départ dans ces discussions, peut mettre en péril l’ensemble du projet. C’est pourquoi qu’il est vital d’adopter, depuis en amont, une approche sociojuridique appropriée. Cette façon de faire, permet de prendre surtout en compte les intérêts de ces derniers. Si cette proposition est produite, c’est dans l’optique pour encourager la  recherche d’un consentement  au lieu de se recourir prématurément  à une action de force. Car cette action de force, peut avoir des retombées négatives dans le futur eu égard à la gestion de l’eau. Cet article, s’inscrit donc dans ce cadre pour pouvoir justement apporter à la connaissance des acteurs intervenant dans le secteur de l’eau des dangers qui peuvent avoir lieu en utilisant des espaces privés sans respecter les législations en vigueur.

2.- Les principes du droit civil Haïtien en matière de propriété privée 

   La propriété privée, est une disposition légale  (code civil Haitien, Art 1996). En ce sens, les modifications apportées à la constitution de 1987 amendée (ratification, 2011) et au Code Civil Haïtien, éclairent les points d’obscurité. En fait, la constitution établit des balises permettant de garantir le respect et la protection du droit de chaque citoyen haïtien dans le domaine qui lui est propre. La section H, particulièrement l’article 36, définit de manière claire la propriété privée. De ce fait, les conditions d’acquisition, de jouissance et les limites sont définies par la loi.  Pour ce faire, l’expropriation pour cause d’utilité publique peut avoir lieu moyennant le paiement ou la consignation ordonnée par la justice aux ordres de qui de droit, d’une juste et préalable indemnité fixée à dire d’expert (constitution 1987 amendée, Art 36-1). « Si le projet initial est abandonné, l’expropriation est annulée et l’immeuble ne peut être l’objet d’aucune autre spéculation. Il doit être restitué à son propriétaire originaire, sans aucun remboursement pour le petit propriétaire. La mesure d’expropriation, est effective à partir de la mise en œuvre du projet ». En ce qui concerne le code civil Haitien (Menan Pierre-Louis, 1825), l’article 448 formule: « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses, de la Manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse point un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Et « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité » (Ibid, Art 449).

2.1.- La conciliation du droit individuel à la propriété privée

Le cadre juridique  qui régit les relations entre le service public de l’eau et les propriétaires privés, semble lacunaire. A ce point de vue, une analyse approfondie des textes législatifs et réglementaires en vigueur, permettent d’identifier les faiblesses et de proposer ainsi des améliorations. De plus, les mécanismes de résolution des conflits fonciers qui existent partout dans le pays, semblent être inefficaces pour prévenir et pour régler les litiges liés à la construction des infrastructures hydrauliques et bien d’autres visant un intérêt collectif. Ce qui prouve la nécessité de renforcer ces dernières par la mise en place des procédures d’arbitrage plus adaptées. A ce niveau, les autorités au niveau  local, départemental et national, devront être plus actives dans leurs missions. Toutefois, il est fondamental que leur rôle soit renforcé en mettant à leur disposition les moyens nécessaires les permettant d’agir plus fermement et plus efficacement. Pour y parvenir, une campagne de sensibilisation et de plaidoyer, auprès des acteurs concernés (propriétaires, élus, population), serait la clef pour faciliter  une compréhension optimale des enjeux liés à la gestion de l’eau et à favoriser ainsi un dialogue constructif.

3. les limites constitutionnelles du droit de propriété en Haïti

La Constitution, prévoit que la propriété privée peut être limitée dans l’intérêt général. Cette notion, bien que vague, laisse une marge de manœuvre importante au législateur pour intervenir en cas de nécessité publique : c’est-à-dire en termes d’utilité publique ou des raisons d’ordre social. Et en matière de planification urbaine, les lois sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire, peuvent imposer des restrictions quant à l’utilisation des propriétés (construction, occupation des sols ou de nuisances). Ce qui diffère pour l’environnement. Étant donné qu’il peut limiter aussi l’exercice du droit de propriété, en interdisant certaines activités polluantes ou en imposant des servitudes environnementales.

4. De la médiation à l’enregistrement foncier

Le gouvernement Haïtien, a mis en place un code rural traitant précisément les contraintes foncières dans le secteur de l’eau (François DUVALIER, 1963). Les limites y sont bien établies : « Le propriétaire de la terre ne peut empêcher l’écoulement de l’eau naturelle qui provient d’une partie supérieure (…) ». Si la nature demande que cet ouvrage s’étende sur une partie du fond supérieur et que le propriétaire est en désaccord, la Loi exige que ce différend soit résolu devant le Juge de Paix compétent de la juridiction ». Dans ce cas-ci, il faudrait renforcer le cadre juridique. Ce travail de renforcement, devra passer généralement par la mise à jour du Code rural. À ce point précis, il est à adapter cette législation aux réalités actuelles et aux enjeux du changement climatique. Et pour clarifier les procédures de la résolution des conflits terriens, il s’avérerait essentiel de simplifier les procédures judiciaires, et de renforcer aussi le rôle des Juges de Paix. En termes de mécanisme, la mise en place d’un système de médiation, est un facteur important pour favoriser le dialogue entre les parties en conflit. Il faudra penser en conséquence à améliorer la gouvernance foncière. Cette amélioration, est possible en mettant en place un système d’enregistrement foncier fiable. Ce, pour pouvoir faciliter l’identification des propriétaires, parcelle par parcelle, et pour parvenir à sécuriser les droits fonciers. Toujours est-il, le renforcement de capacités des institutions en charge de la gestion foncière (exemple : INARA), est indispensable par l’entremise des séances de formation à l’intention des agents de l’État et les acteurs locaux. Cette démarche, est conciliable à la promotion de la participation citoyenne lorsque les membres des communautés sont associés à la prise de décision. D’où l’importance d’une négociation avec le propriétaire foncier concernée par le développement des ouvrages. A ce point-ci, la prise de décisions dissuasives devrait être la dernière option à envisager. Toutefois, l’article 198 du décret 2006 portant l’organisation et le fonctionnement des collectivités territoriales, enseigne dans quelle circonstance les Mairies peuvent déclarer un bien comme étant d’utilité publique. Et, le propriétaire qui revendique l’avis d’expropriation, peut saisir le tribunal d’Instance (ibid., art 200-1)

5. Les principes du droit pénal Haïtien

L’application des poursuites judiciaires en droit pénal, bien qu’indispensable pour garantir l’ordre public, se heurte parfois à des concepts juridiques flous, à savoir : la propriété privée. Si l’article 10 du code pénal évoque la confiscation de biens appartenant au condamné, il ne fournit pas tout à fait une définition exhaustive de la propriété privée. Cette lacune juridique, peut engendrer des difficultés d’interprétation lors de l’application des peines notamment en ce qui a trait à l’identification précise des biens susceptibles de confiscation. En effet, la détermination de ce qui constitue un « corps du délit », des choses produites par le délit ou destinées à le commettre, peut s’avérer complexe et peut donner lieu à des contestations. Cette imprécision juridique, souligne l’importance d’une interprétation contextuelle et d’une application équitable des dispositions pénales relatives à la confiscation. Ce, afin de pouvoir éviter toute atteinte disproportionnée au droit de propriété. Toutefois, l’article 54 dudit code, prévoit des sanctions sévères à l’encontre de toute personne ayant commis des actes de violence volontaire entraînant des blessures ou des incapacités de travail prolongées. Dans le cadre d’un projet de construction d’ouvrages hydrauliques, cette disposition de loi peut être appliquée aussi à un propriétaire foncier qui, par des actes de violence physique, s’opposerait à l’utilisation de son terrain. Car, en empêchant la construction de ces ouvrages, le propriétaire foncier priverait non seulement la communauté de l’accès à un bien essentiel, mais il pourrait également mettre en danger la santé publique. Les sanctions prévues par l’article 54, allant de l’emprisonnement à la réclusion, constituent un moyen dissuasif puissant contre de tels comportements. L’application de ce dernier, dans un cas concret, nécessiterait une analyse approfondie par un juriste au regard de l’ensemble des éléments de faits et de droit de la situation.

6. Analyse critique

Les textes développés ci-haut, étudient les tensions inhérentes à la conciliation du droit individuel en matière de propriété privée, et de l’intérêt commun incarné par la fourniture d’un service public essentiel (la distribution de l’eau). Dans le cas d’Haïti, ces tensions sont manifestées de manière récursive, et ont des conséquences directes sur la continuité de la gouvernance publique de la ressource. En effet, la réalisation des  infrastructures hydrauliques sur des terrains privés, en l’absence d’une autorisation expresse des propriétaires, constitue une atteinte potentielle au droit de propriété. Ce qui pourrait engendrer des litiges fonciers accompagnant des actes de sabotage sauvage des ouvrages construits en dehors de la signature d’une entente. Le plus souvent, les conséquences de ces conflits ont un impact significatif sur la vie des ménages (arrêts prolongés du service public de l’eau). C’est une façon pour  mettre en évidence, l’insuffisance des mécanismes de résolution des conflits fonciers par les collectivités territoriales (sauvegarde de la sécurité juridique des investissements). 

Vis-à-vis à la problématique foncière, les autorités publiques doivent mettre en avant l’utilisation de l’outil foncier comme un nouveau moyen pour garantir une protection durable des zones de captage (Fabienne, Florence, 2015). Par conséquent, dans l’esprit de garantir une entente claire et définitive avec les propriétaires terriens, il est utile de négocier un protocole d’accord : soit un acte de donation, un acte d’affermage pour longue durée, un acte de vente avec le propriétaire terrien concerné avant le démarrage même des travaux de construction. Ça, que ce soit dans le cadre d’un domaine privé ou un domaine privé de l’État (Bruno, Xavier, 2010). Au-delà de cette situation, l’acquisition peut se faire par l’application de servitudes indemnisées restreignant le droit du propriétaire, ou par une acquisition des parcelles en pleine propriété entrainant de faite de l’intégralité des droits d’usage qui lui sont rattachés  (Jean-Marc, Olivier, 2000). Quel que soit l’entente trouvée avec le propriétaire terrien, le site cédé, affermé ou vendu doit être arpenté et authentifié par un Notaire public. Cette mesure, c’est pour éviter d’éventuelle réclamation ou de démarches de privatisation de l’ouvrage par le propriétaire réfractaire.  Le constat est donc inquiétant. Mais il noter que les textes de loi relatifs à (i) l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans le cadre de la construction des ouvrages publics (ex : réseaux d’eau potable, canaux d’irrigation), sont existant. Néanmoins, leur mise en œuvre pratique souffre toujours des insuffisances. Ces dernières, engendrent donc de contentieux fonciers souvent longs et coûteux. Pour cette raison,  il est obligé de pallier à cette situation en consolidant les mécanismes de contrôle et de sanction en cas du non-respect de la législation en vigueur.  Par ailleurs, il convient de mettre en place des procédures d’indemnisation transparentes de telle sorte à pouvoir compenser équitablement les propriétaires des domaines privés qui, disposant un titre et en règle avec la DGI, n’acceptent pas de céder leurs terres. Pour y arriver, l’application des lois existantes, couplée à des dispositifs de compensation, est une nécessité. Ce,  dans la vision de concilier les impératifs du développement économique et social avec surtout le respect des droits de propriété privée. Cette approche permettra donc de prévenir les conflits, et de renforcer la confiance des citoyens. C’est pourquoi on suppose que l’absence de l’application des lois en la matière, par les autorités du ressort juridictionnel des travaux, pourrait occasionner des préjudices nécessitant des actions de réparation (code civile Haitien, Art 1168). Et il serait malheureux de voir que cette situation arrive un propriétaire terrien dans la défense de son droit de propriété privée. De toute manière, si le conflit provoquait des coups et des blessures, les délinquants verront que  le tribunal de Paix, saisi par l’affaire, suspendra l’aspect civil pour avancer avec le pénal. Dans ce cadre, le juge de paix jouera le rôle de l’auxiliaire du Commissaire du Gouvernement, près du Tribunal de Première Instance dans son ressort (TPI), en lui expédiant les pièces nécessaires dans un délai ne dépassant pas les 72 heures (CIC, Art. 12). 

Mots-clés : Propriété privé – travaux d’intérêts collectifs – dialogue constructif – accord – compensation – Juge de Paix – Mairie – déclaration d’utilité publique  – expropriation.

Références bibliographiques

  • Bruno (L.) :« eau et foncier », guide juridique et pratique pour les interventions publiques sur terrain privé, cabinet Ledoux consultant, p.17, 19, 29,95.
  • Constitution 1987 amendée : droit à la vie et droit à la santé, Chapitre 2; section A.
  • Fabienne (B.) et Florence (H.) : « l’Outil foncier, une solution délicate pour protéger les captages d’eau potables », économie rurale [en ligne] 347 / Mai- Juin 2015.URL : http : // journals. Open.eddition.org/ economierurale.4634; DOI: 10.4000 / economierurale.4634.
  • Menan (P.L), Patrick (P.L), Code Civil Haïtien annotée, Tome 2, septembre 1995, Presse du D.E.L., P133.

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