« Nous n’avons pas dit au revoir… nous n’avons rien dit de personnel »
Publié à l’origine sur Global Voices en Français
Ma Thazin Nyunt Aung et Zeya Thaw (derrière) lors d’une manifestation anti-coup d’État en février 2021. / Photo et légende de The Irrawaddy, partenaire de contenu de Global Voices
Cet article de Nyein Nyein a été initialement publié sur The Irrawaddy, un site d’information indépendant au Myanmar. Cette version modifiée est republiée sur Global Voices dans le cadre d’un accord de partage de contenu.
Juillet 2024 a marqué le deuxième anniversaire de l’exécution de l’artiste hip-hop, défenseur de la justice sociale et législateur Ko Phyo Zeya Thaw au Myanmar. Sa mort, ainsi que celle de trois autres personnes par pendaison à la prison d’Insein, a marqué la fin d’un moratoire de plus de 40 ans sur les exécutions au Myanmar. La junte, qui a pris le pouvoir en février 2021, a invoqué des violations de lois antiterroristes pour justifier leur assassinat.
C’était impitoyable et rapide. Ko Phyo Zeya Thaw a été arrêté le 18 novembre 2021, condamné à mort par un tribunal militaire deux mois plus tard et exécuté le 23 juillet avec Ko Jimmy, le leader étudiant de la Génération 88 — un mouvement étudiant pro-démocratie birman en vue — et deux autres défenseurs de la démocratie : Ko Hla Myo Aung et Ko Aung Thu Zaw.
Au Myanmar, les gens connaissaient les exécutions pour ce qu’elles étaient, des représailles et un avertissement pour d’autres dissidents et activistes. La junte a également profané les hommes en ne rendant pas leurs corps ou leurs cendres à leurs familles.
Avant l’exécution, l’épouse de Ko Phyo Zeya Thaw, l’artiste hip-hop Ma Thazin Nyunt Aung, a supplié la communauté internationale de ne pas rester les bras croisés et laisser le régime tuer son mari. Elle était en fuite. Après l’arrestation de Ko Phyo Zeya Thaw par la junte, ils ont commencé à la rechercher. L’exécution de son mari a renforcé sa détermination à combattre le régime, qui a illégalement pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 2021.
Ma Thazin Nyunt Aung anime désormais des programmes de divertissement en ligne comme « Send Your Letter » et « By-The-Way » avec l’acteur birman Aung Myint Myat. Les revenus récoltés soutiennent les résistants. L’année dernière, elle a cédé les droits de sa chanson « Longing for Days of Yangon » à une campagne ciblant le régime.
Dans une interview accordée à The Irrawaddy, à l’approche du deuxième anniversaire de l’exécution de son mari, Ma Thazin Nyunt Aung se remémore le temps qu’ils ont passé ensemble, ce que signifie son absence et l’interaction entre la politique et l’art au cours d’une révolution. L’interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.
The Irrawaddy (TI) : S’il y avait un dernier mot que Zeya Thaw aurait dit avant d’être arrêté, quel serait-il ?
Thazin Nyunt Aung (TNA) : Chaque année je me dis, et parfois à mes amis, voilà le mois de juillet qui arrive. L’anniversaire de l’injustice.
Quand nous étions ensemble avant qu’il ne soit arrêté, nous nous regardions la plupart du temps. En fait, il y a eu des derniers mots, mais ils concernaient surtout le travail lié à la [crise politique].
C’était tout.
Nous ne nous sommes pas dit au revoir… Nous n’avons rien dit de personnel.
TI : Ko Phyo Zeya Thaw est particulièrement populaire auprès des jeunes. Son intérêt pour la politique, et pas seulement pour l’art, l’a amené à devenir un défenseur de la justice sociale. Que voulez-vous que les jeunes retiennent de lui ?
TZNA : Je pense que tout le monde aura des mots pour se souvenir de lui. Il a déclaré dans une interview : « Nous sommes derrière vous et si nous devons rester devant, nous sommes également prêts. »
Je vois toujours des gens qui l’aimaient poster cette phrase lorsqu’ils partagent leurs souvenirs de lui sur les réseaux sociaux. Ils utilisent toujours cette phrase. Une autre phrase serait : « Le grand frère qui est toujours avec nous » ou « Notre grand frère ».
TI : Quel est le souvenir le plus mémorable pour vous?
TZNA : Je pense aux souvenirs les plus heureux que nous avons eus ensemble. Au fil du temps, j’ai développé une attitude selon laquelle il faut se souvenir de lui pour de bonnes choses et non pour de mauvaises. Plutôt que d’être triste à propos de ce malheureux incident [exécution], je pense au moment où nous étions heureux, à l’aise… des moments réussis… et je pense à notre attitude l’un envers l’autre, aux mots que nous nous disions et à nos décisions. Je m’en souviendrai toujours.
J’ai plein de souvenirs de lui. C’est difficile d’en choisir un seul. Les camarades qui ont vécu avec lui ou l’ont rencontré ont aussi des souvenirs de lui. Ils me parlent toujours d’eux chaque fois que je les vois. « Le frère a dit ceci et cela à la réunion. A cette époque, il était en colère et nous grondait. Le grand frère nous a encouragés.» Ils partagent [des souvenirs comme] ceux-ci chaque fois que nous nous rencontrons.
Ma Thazin Nyunt Aung lors d’une manifestation anti-coup d’’État en février 2021. La photo a été prise par son mari, Ko Phyo Zeya Thaw. Photo et légende de The Irrawaddy, partenaire de contenu de Global Voices
TI : Vous avez été profondément impliqué dans le mouvement anti-régime depuis le coup d’Etat de 2021. Vous êtes déterminé. Qu’est-ce qui motive votre politique et votre engagement dans l’art ?
TZNA : Je pense toujours au type de contenu que je vais créer lorsque je compose des chansons. Je me concentre rarement sur les chansons d’amour ou sur trop de désir d’amour. Mes chansons reflètent ma vie. Je suis née à Yangon et j’ai grandi dans cette ville. Dans mes chansons, il y a beaucoup de paroles qui représentent la ville de Yangon et la vie urbaine. Je souligne également la discrimination [contre] les femmes dans la société.
Dans cette révolution, et jusqu’à ce jour, je dis toujours que « c’est trop honteux d’être encore en vie » parce que nous avons perdu beaucoup de vies au cours des trois dernières années. Les gens font beaucoup de sacrifices et ils n’ont pas peur d’entrer dans les champs de bataille. De nombreux manifestants pacifiques ont été tués par balle. Des jeunes ont été traînés dans la rue après avoir été abattus. Nous les avons perdus. J’ai toujours l’impression que nous ne sommes rien comparés à eux.
En ce moment, ma tristesse est présente… Je veux dire que ma perte est [d’] une personne, et elle est incomparable aux pertes de [beaucoup] d’autres chaque jour. L’armée terroriste tue des familles innocentes, viole les filles devant les membres de leur famille, arrête des jeunes ou frappe sévèrement les parents lorsqu’ils ne trouvent pas leurs enfants.
Récemment, une famille de six personnes a été tuée par des tirs d’artillerie. Chaque jour, nous entendons parler et voyons des gens qui sont frappés par des bombes. Plus je vois, plus je deviens forte…
Parfois, nous pouvons nous sentir déprimés, parfois nous pouvons être actifs et pleins d’énergie…
Nous devons redoubler d’efforts et continuer.
TI : Quel message avez-vous pour vos abonnés?
TZNA : Le travail de l’artiste est de créer. Comment pouvons-nous promouvoir l’art sans empathie ? En prenant parti, il y a des bons et des mauvais côtés. Serez-vous du bon côté ? Ou serez-vous du mauvais côté ? Allez-vous soutenir ceux qui oppriment, incendient, tuent ou bombardent des civils innocents ?
Nous devons réfléchir au type d’art et d’artistes que nous soutenons. En ce qui concerne le boycott [des artistes qui se rangent du côté de la junte], j’ai toujours exhorté les gens à connaître clairement ceux qu’ils soutiennent, car l’art est puissant et très important pour persuader les gens.