« Ce rapatriement marque le retour d’un artefact important en Jamaïque »
Publié à l’origine sur Global Voices en Français
Un spécimen de Celestus occiduus au musée d’histoire naturelle de Londres. Photo de Simon J. Tonge via Wikimedia Commons, CC BY 3.0 DEED. Il s’agit ici de l’espèce rapatriée en Jamaïque.
Beaucoup de Jamaïcains ont horreur des lézards, tremblant de peur rien qu’à la pensée d’un reptile. Il est donc tout à fait normal que de nombreux citoyens ne partagent pas le même engouement que les scientifiques de voir revenir dans leur pays un spécimen de Celestus occiduus, une espèce peut être éteinte. Annoncé par l’UIO, l’université des Indes occidentales, le spécimen devrait retourner en Jamaïque le 24 avril 2024, après avoir siégé dans la collection Hunterian de l’Université de Glasgow en Ecosse, depuis 1888.
Après une cérémonie de rétrocession, le public sera libre d’observer le spécimen au Musée d’Histoire Naturelle de Jamaïque à Kingston. Le rapatriement du spécimen conservé dans un bocal rempli d’éthanol fut annoncé par l’UIO sur les réseaux sociaux :
Annonce : L’université des Indes occidentales et l’université de Glasgow s’associent pour faire rapatrier le spécimen de Celestus occiduus appartenant autrefois à la collection Hunterian de l’UdG, en Écosse. Lire plus More @ https://t.co/kzZpuYsgoY pic.twitter.com/eavKzGLBL4
— UWI Global Campus (@UWIGlobalCampus) 19 avril 2024
L’université a également fait remarquer que le retour de cet impressionnant lézard représente beaucoup pour la Jamaïque et la région entière : « Cet événement est véritablement mémorable. Il s’agit du premier rapatriement d’une espèce historique endémique des Caraïbes. C’est une étape importante, non seulement pour la recherche scientifique, mais également pour la préservation de l’héritage régional. Tout cela représente une véritable justice pour les Caraïbes.
Le Président de l’UIO, Sir Hilary Beckles, également président de la CARICOM (Communauté des Caraïbes), a ajouté : « Le retour de ce spécimen dans notre pays n’a beau être qu’une petite avancée, nous pourrons grâce à lui ouvrir une discussion aussi bien régionale qu’internationale sur le rapatriement. »
Cette espèce de Diploglossidae de Jamaïque, connue sous le nom «Celestus occiduus», n’est, ou n’était pas, un lézard comme les autres. Supposément éteinte, l’espèce endémique de la Jamaïque appartenait à la famille des Diploglossidae, un genre de sauriens vivant en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes.
Des experts pensent que ce spécimen aurait été attrapé vers 1850.
Comme l’explique Susan Davies, scientifique écossaise, la disparition de cette espèce serait due aux plantations de canne à sucre et à l’introduction de la mangouste d’Inde par les colonisateurs britanniques en 1872.
La mangouste #INNS est responsable de la disparition de cinq espèces endémiques : le Celestus occiduus, le Alsophis ater, l’Oryzomys antillarum, le Siphonorhis americana et le Pterodroma caribbaea. #sad pic.twitter.com/eyMz3bJELt
— Susan Davies (@smdavies67) 17 novembre 2017
L’énorme reptile reluisant à la langue fourchue vivait dans les marais, les zones rocheuses et les forêts. Il est possible que des membres de l’espèce vivent toujours dans le Grand Marais de Negril ou dans celui de Black River en Jamaïque, mais ils n’ont toujours pas été découverts. Son régime alimentaire consistait essentiellement de fruits, de poissons, d’insectes et de plus petits lézards. Animal fouisseur, il se reproduisait très jeune.
Bien que l’espèce ne soit pas venimeuse, les Diploglossidaes sont souvent craints. L’une des croyances les plus répandues étant la suivante : si un de ces reptiles vous mord, vous devez aller chercher de l’eau le plus rapidement possible. Si le lézard atteint une source d’eau en premier, vous mourrez. Si vous atteignez l’eau en premier, le lézard meurt.
Comme l’explique le biologiste jamaïcain Damion Whyte, il existe onze espèces de Diploglossidae différentes. Dix d’entre elles sont endémiques à la Jamaïque. Le Celestus warreni, une autre espèce de Diploglossidae est, elle aussi, en danger. Cette espèce est trouvable à Haïti et en République dominicaine.
Un autre biologiste jamaïcain a partagé un article au sujet du rapatriement, demandant aux citoyens jamaïcains de mettre leur peur et leurs préjugés de côté :
S’il vous plaît, lisez cet article pour mieux comprendre la situation.
Arrêtez d’être fier de vos réponses stéréotypées. https://t.co/WU9FOV4bXb https://t.co/y7NM5l52Wg
— Bujsha (@bujsha) 9 avril 2024
Mais le retour de cette fascinante créature n’est pas seulement symbolique. Lors d’une Conversation WhatsApp avec Global Voices, le biologiste Damion Whyte a salué l’initiative, indiquant que ce rapatriement peut encourager les chercheurs à étudier un peu plus les Diploglossidaes, ce qui pourra ensuite aider à sensibiliser la population au respect et à la protection de l’environnement.
Cela pourrait également servir à donner plus de pouvoir aux scientifiques et aux musées des pays en développement, comme la Jamaïque. Le Dr. Whyte a déclaré : « Je pense que cela aidera à amener plus de vie dans nos musées sous-financés. Nous avons vraiment du mal à préserver certaines de nos collections que nous nous devons d’entretenir. Les gens ont cette image que les pays du tiers-monde ne savent pas préserver leur environnement. C’est pour cela que, d’après eux, ce sont des pays développés qui devraient s’occuper de ces collections. Je veux leur montrer qu’ils se trompent. »
Les conversations sur le Celestus occiduus en ont ouvert d’autres dans la communauté internationale. Certains Chercheurs déclarant qu’il existe plusieurs spécimens de différentes espèces dans des collections privées. Le Dr. Whyte a ajouté : « On peut maintenant demander à ce que ces artefacts soient rendus aux pays d’où ils proviennent. »
Le Dr. Whyte a ensuite affirmé qu’au-delà de la valeur scientifique, ce rapatriement à une véritable valeur historique, ce qu’a reconnu dans un tweet la Repair Campaign, un mouvement social luttant pour la justice réparatrice et dirigée par le CARICOM :
Cela pourrait sembler insignifiant, mais vous n’imaginez pas le nombre d’artefacts importants que nous pourrons désormais rapatrier dans les Caraïbes. C’est un pas de géant pour la justice réparatrice.
— The Repair Campaign (@RepairCampaign) 19 avril 2024
L’université des Indes occidentales a précisé que le rapatriement fait partie d’un projet beaucoup plus grand : « Ce projet fait partie d’un protocole d’accord établi en 2019 entre l’UIO et l’université de Glasgow. Le but étant de mettre en place une collaboration pour appuyer la recherche et l’éducation, sans toutefois nier les années de colonisation. »
L’UIO a déclaré que l’une des meilleures choses qu’avait offertes le protocole était la création du CRDGC, le Centre pour la Recherche et le Développement de Glasgow-Caraïbes. D’après l’UIO : « Ce centre finance non seulement les projets de recherche, ce qui aide au développement des Caraïbes, mais il facilite également les partenariats académiques et aide à sensibiliser les citoyens sur l’impact qu’a eu l’esclavage sur le pays. »
L’université a insisté sur le fait que ce rapatriement ne représente pas seulement le retour d’une pièce importante de l’héritage jamaïcain, il représente aussi un engagement de la part de l’université de Glasgow qui vise à réparer les injustices passées et a assuré la bonne propriété scientifique et culturelle des trésors caribéens.
L’université de Glasgow a même été plus loin puisqu’elle étudie les artefacts présents dans la collection Hunterian, comme le Celestus occiduus. Cela fait partie du projet « Curating Discomfort » (guérir la gêne), lancé il y a deux ans. Le projet endosse ouvertement les tristes vérités sur les objets du musée, pour la plupart volé par les colons, et essaie de faire comprendre au monde que « les musées perpétuent l’idéologie des suprémacistes blancs. Et l’Empire britannique s’est servi de ce genre d’idéologie pour justifier la colonisation à travers le monde. Les musées se sont ensuite développés en profitant des pays colonisés. Aujourd’hui encore, ils célèbrent et commémorent la colonisation. Les collections de musées sont un véritable acte politique enraciné dans le colonialisme. »
Tandis qu’Olivia Grange, ministre de la Culture de Jamaïque, a une nouvelle fois demandé compensation. Un rapport datant de juin 2023 estime la somme nécessaire à environ 18,6 trillions de livres sterling, soit 21,7 trillions d’euros.
Le gouvernement de Jamaïque fait tout son possible afin d’obtenir les réparations d’années d’esclavage.
Olivia Grange, ministre de la Culture de Jamaïque, a déclaré que les populations africaines à travers le monde en subissent toujours les conséquences. #ReparationsNow https://t.co/3ZXfJuDcEI
— The Voice Newspaper (@TheVoiceNews) 19 avril 2024
Bien que la compensation monétaire soit un aspect critique des mouvements de réparation, le retour d’artefacts originaires des pays colonisés représente une véritable avancée dans le processus. Cela inclut évidemment le rapatriement du Celestus occiduus originaire des Caraïbes, une première dans la région.
Il y a cinq ans, la Jamaïque avait déjà demandé le retour d’autres objets : les artefacts taïnos. Bien que nous n’ayons aucune nouvelle de la demande, il est probable qu’elle soit en train d’être traitée.
Il reste également un espoir de retrouver des Celestus occiduus, tout comme avait été redécouvert le Cyclure terrestre de la Jamaïque dans les années 90, un autre reptile pensé éteint.