Michel Legros – Anatomie d’une défaite annoncée : entre incompétence stratégique et faillite politique

Chronique d’une défaite militaire annoncée
Michel Legros
Sitwayen pou Respè Konstitisyon
sitwayenpourespekonstitisyon@gmail.com
26 mars 2025

« Ils mettent le feu, je m’en vais », lâche un policier à Delmas 19, censé assurer la sécurité. Un autre renchérit : « Commandant, ce n’est pas mon combat. » Ces paroles, loin d’être isolées, trahissent un profond malaise dans les rangs : la troupe commence à ne plus vouloir se battre. Elle refuse désormais d’obéir à des chefs qu’elle sait incompétents.

Rien n’est plus périlleux pour une armée que la démoralisation. Car lorsque le renoncement ne provient plus de la peur de l’ennemi, mais de la défiance à l’égard du commandement, l’implosion devient inévitable.

Depuis novembre, les chiffres parlent d’eux-mêmes : au moins 102 institutions publiques abandonnées en raison de l’insécurité. Des quartiers entiers sont réduits en cendres ou vidés par la terreur : Pont Sondé, Petite-Rivière de l’Artibonite, Solino, Nazon, Delmas 30, Pouplard, Nord Alexis, Ravine Pintade, Carrefour-Feuilles, Bas Peu de Chose, Pacot, Morne à Tuf et le Champ de Mars. À cela s’ajoutent le massacre du Warf Jérémie et le harcèlement permanent à Delmas 32, Delmas 19 et Christ-Roi. On évoque près d’un million de déplacés.

On a vu l’Hôpital Bernard Mevs, l’Hôpital Général et Radio Caraïbe incendiés, des entreprises commerciales pillées. L’école, pilier de la République et promesse d’avenir, s’éteint, ses établissements fermant les uns après les autres : les lycées Pétion, Toussaint, Firmin, Marie-Jeanne, le Collège Saint-Pierre, Sainte-Rose de Lima, Sacré-Cœur, ainsi qu’un nombre croissant d’écoles privées. Toutes contraintes à la fermeture. L’effondrement est total.

Et pourtant, l’état-major demeure en place, inébranlable dans l’échec. Haïti est probablement le seul pays au monde à s’accrocher à des chefs militaires qui n’ont engrangé que des défaites, sans jamais reconquérir ne serait-ce qu’un mètre carré de territoire. On serait tenté, dans un élan de mansuétude littéraire, de les comparer à Koutouzov, le général russe de Guerre et Paix, qui perdit toutes ses batailles, mais remporta la guerre contre Napoléon. On ne le peut. Koutouzov avait un plan, une vision, une lecture stratégique des forces en présence. Tolstoï en fit un héros.

Notre commandant en chef n’est pas Koutouzov. Qu’on se le dise. Et il n’y aura pas de Tolstoï haïtien pour lui tresser des lauriers. Il devra attendre un Alfred Jarry — pour l’absurde grotesque — ou un Justin Lhérisson — pour la satire caustique.

À nos présidents qui s’entêtent dans la médiocrité, et à leur état-major de pacotille, un conseil : lisez Guerre et Paix. C’est long, mais profond. Cela demande un peu plus de patience qu’un TikTok. Mais cela pourrait vous instruire sur l’art du commandement en temps de crise, sur la stratégie, sur le rapport au peuple. Sauf que vous ne le ferez pas. Trop paresseux pour apprendre. Trop nombreux aussi pour être efficaces, puisque vous êtes sept — ou neuf — à prétendre gouverner ce pays. Et c’est bien là le cœur du problème.

Car comment prétendre diriger un conflit avec une direction nonuple ? Qui décide, et comment ? Rien ne peut émerger d’une hydre boiteuse, sinon lenteurs, blocages et confusion.

Cette bataille est perdue, non par manque d’équipement, mais par absence de stratégie. Les drones ? Dernière trouvaille magique, devant laquelle Premier ministre et directeur général de la PNH s’extasient comme des enfants fascinés par un jouet volant — au point de se les disputer — auraient, paraît-il, pu renverser la donne. Si la technologie suffisait à gagner une guerre, les États-Unis n’auraient pas quitté le Vietnam ni l’Afghanistan, la France n’aurait pas perdu l’Algérie, et l’URSS serait restée à Kaboul.

Messieurs, ces appareils auraient pu — et peuvent encore — atteindre une cible. Rien de plus. Il est temps de cesser de vous illusionner et de mentir à la population. Ces drones n’ont pas empêché la chute de Belot, ni la catastrophe de Petite-Rivière de l’Artibonite, avec, au minimum, la mort d’un soldat kenyan et la perte de plusieurs blindés (en attendant le bilan officiel) lors de la seule journée du 25 mars.

Ah, Fritz Alphonse Jean, Didier Fils Aimé, qu’attendez-vous de plus pour prendre les mesures de redressement qui s’imposent ? Votre insouciance, face à la débâcle, devient irresponsabilité criminelle.

La technologie ne saurait se substituer à la vision. Surtout pas à celle qui fait défaut à des dirigeants aveugles, obsédés par le pouvoir mais réfractaires à toute forme d’apprentissage. Car lire, comprendre, penser exigent du temps. Et dans cette République de la paresse intellectuelle, réfléchir passe déjà pour extravagance.

Messieurs les archontes tragiques, vos mesquineries et votre bêtise exaspèrent ceux qui assistent, impuissants, à la destruction méthodique de leur pays.

La défaite est là. Militaire, politique, morale. Elle s’étale au grand jour. Le pays ne s’effondre plus : il est déjà à terre.

Compliments à ceux qui, mus par leurs seuls intérêts, ont soutenu mordicus cette absurde expérimentation politique en pleine conjoncture explosive.
Errare humanum est, perseverare diabolicum.

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