À l’occasion de cette journée spéciale « Quel avenir pour Haïti », le Journal d’Haïti et des Amériques se penche sur le difficile travail des journalistes en Haïti, et propose une discussion avec plusieurs confrères qui interviennent régulièrement sur RFI : Gotson Pierre, directeur de l’agence Alterpresse ; Frantz Duval, rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste ; Widlore Mérancourt, éditeur en chef du site de référence et d’enquête AyiboPost ; et Ronel Paul, ancien correspondant de RFI aux Gonaïves.
Notre correspondante en Haïti Marie-André Bellange commence par raconter sa manière de travailler dans une capitale où les gangs font presque partout la loi. Elle s’informe sur les zones où elle se rend, ou se fait accompagner par quelqu’un qui les connaît. L’accès à l’information est compliqué : certains quartiers de Port-au-Prince sont inaccessibles, et impossible de se déplacer en province.
Se réorganiser devant la violence
Widlore Mérancourt explique qu’il est parfois difficile de travailler avec des employés qui habitent dans des quartiers contrôlés par des gangs. Aybopost a dû ainsi aider au déménagement d’une demi-douzaine de collègues.
Frantz Duval rappelle qu’un journaliste du Nouvelliste, Roberson Alphonse, aussi directeur de l’information de Magik 9, est tombé dans un guet-apens : blessé par balles, il est ensuite parti directement pour les États-Unis. Ce qui a été « un coup très dur pour l’équipe, mais aussi la presse haïtienne en général parce que Roberson Alphonse, c’est quelqu’un de très connu ».
Ronel Paul raconte qu’il a dû lui-même abandonner le pays, après avoir reçu des menaces de mort sur internet et sur son téléphone, et des gangs étaient au courant des reportages de terrain qu’il faisait. Il a depuis obtenu l’asile en France.
Goston Pierre d’Alterpresse ajoute qu’il faut aussi se préoccuper du local du média, du matériel : « tout est à risque dans ce contexte ». Les équipes sont réduites, « parce qu’on ne peut pas garder tout le monde avec les difficultés économiques ». Avec des conséquences sur le choix des sujets : « notre panorama d’information se réduit ».
Un rétrécissement des possibilités
Frantz Duval explique que Le Nouvelliste a dû passer à la production électronique du journal, d’autant qu’il n’a plus accès à son imprimerie. Les journalistes avaient déjà dû abandonner les locaux depuis un an et demi – un collaborateur avait été atteint par une balle perdue. Mais les installations d’imprimerie ont finalement dû elles aussi être abandonnées : « nous sommes sans contrôle du local, car le centre-ville de Port-au-Prince est totalement sous le contrôle des gangs ».
Le Nouvelliste, renchérit Frantz Duval, a vécu ses dernières années « le rétrécissement de tous ses champs » : rétrécissement de ses abonnés – le journal ne pouvait plus être distribué, même avant la prise de ses locaux, dans de nombreux quartiers contrôlés par les gangs ; les journalistes sont obligés de travailler à distance, sans venir au journal ; et en plus, « on a perdu la publicité ».
Des victimes largement inaudibles
« On vit avec le métier », explique Gotson Pierre : « notre milieu de vie devient source d’information » : en allant chez nous, on observe, explique-t-il. « On essaie de rester en contact avec les acteurs, on est témoins dans la mesure du possible mais il y a de moins en moins de possibilités d’être témoins », regrette le journaliste qui ajoute : « on donne la parole comme on peut, sauf que les victimes qui doivent s’exprimer ont de moins en moins accès aux médias, aux journalistes en général – une bonne partie d’entre elles restent inaudibles, on doit le reconnaître ».
Sous Duvallier, souligne Gotson Pierre, le journalisme était très difficile mais il se pratiquait quand même. Mais aujourd’hui, « c’est l’existence même des médias et du journalisme qui est remise en cause ».