Dieu est poète

par Edgard Gousse

Des mots secs et lourds
résistant héroïque d’un autre temps
plus pauvre que rien en effet
qui pense à élever son niveau de vie
sans en avoir les moyens
sans se jeter dans la bataille
château-musée ou château de cartes
les harems surpeuplés font jeter le blâme
sur qui ne le mérite pas

la hiérarchie des valeurs
se soumet ironiquement à l’absurde
le temps devient accessoire
tyrannie et perfidie
se tiennent la main, doigts entrelacés
hypocrisie préjugés et mépris des cultures
s’embourbant dans les mêmes marécages
troublent à tout bout de champ la quiétude
de la société inachevée
tel un fou refusant d’adhérer
pleinement à sa folie

merde alors, amers rêves livrés en pâture
jaloux comme tigres affamés
s’arrêtant à mi-chemin
merde en toute sévérité
à ces contre-vérités
qui se partageaient leur cœur
poète sempiternellement assoiffé
de rires et de liberté
la silhouette ricanante mais immobile
se délivrant malgré tout des décors
cette silhouette mienne poussée par le vent
les portes encore fermées
aux ruines de ton imaginaire en déroute
diront certainement un jour
à qui cherchera à le savoir
que luttes et souffrances vérité et justice
refus et acceptation aveugle
dans leur univers hautement mécanique
se conjuguent à leur tour à l’infini

demain si proche
comme si hier n’existait pas
nos cœurs pourront bien décider
de déclarer forfait
les vagues une à une
diront lors leur dernier mot
adieu déchirant
poche d’air s’engouffrant dans notre gorge
longue aventure hélas
notre condition d’homme mise au pilori
le temps n’est pas loin te dis-je
où l’équilibre sans cesse menacé
tirera sa révérence
se courbant par le bout, cornes baissées
le front noirci à souhait
par flammes fumées et poussière

sois donc certain poète
que la ville à emporter en ton cœur
cette ville tienne et nôtre par moments
sera celle de la transe et de l’indicible
fragments de rêves champs primitifs
ou mystères inachevés

mais qu’importe, je ne t’en veux pas poète
j’en veux toutefois à ta ville
qui n’aura pas su t’accueillir
ouvrir les bras pour t’embrasser
ah oui, une fête clandestine
pour célébrer ton départ
tes multiples combats à l’arrière-garde
menés et remportés à ta manière
contre despotes mégalomanes
et sanguinaires
fascisme et impérialisme éhontés
ne sachant plus
depuis hier depuis aujourd’hui
comment justifier
leurs ingérences malsaines
prêts bien plus à se terrer en dépit de tout
bêtes puantes dans leur bunker
maîtres incontestés aujourd’hui encore
des terres et des eaux
des golfes et des bras de mer
au mieux de leurs intérêts

mais le jour viendra sans doute
je te le dis, leur arche de nantis
en ce temps-là endommagée ou écroulée
n’inspirera plus la crainte bien au contraire
ensevelie par nos pierres fracassées
n’immobilisera plus nos journées de vie
car la peur reviendra en vainqueur
les opérateurs de laboratoire
travaillant en vase clos
n’interdiront plus jamais
l’accès à nos droits
de peuples libres et souverains
nos propres doigts
sur la gâchette du temps
auront déjà dit c’est assez

notre honneur poète
n’a vraiment pas de prix
ceux qui convoitent ta vie
ou l’ont convoitée
sans doute également la nôtre
sans vraiment te connaître
sans même savoir qui nous sommes
apportent au genre humain, sans le savoir
une ligne de conduite un gouvernail
un fourre-tout où entreposer à tout jamais
les beautés qui ne mentent pas
et qui ne meurent jamais

rêver secrètement ou à haute voix
de tout et de rien de vengeance à mijoter
tout au moins
de la cité des abeilles
de plaisirs qui n’étouffent point
contrairement aux barbares
des temps modernes
effaçant d’un trait les repères
ruse suprême, anachronisme flagrant et inutile
toi le poète, bercé ou s’égarant parfois
dans la solitude du dernier sommeil
en accoutrement de troubadour
la corde au cou ou tenue d’une main

mais qu’importe, je ne t’en veux pas poète
car quel que soit le sens que tu donnes à la vie
à la tienne ou à la nôtre
ton feu entretenu, flammes inextinguibles
coulera un jour poète
d’une ombre à une autre
l’éclosion de ta voix sourire éteint
parlera certainement en ton nom
compensera ton absence

voyelles et consonnes la nuit venue
à la lueur de ce cierge qui fut tien
mais désormais nôtre
à chaque heure chaque minute chaque seconde
comme maîtresses au bout du chemin
prendront la relève et inscriront ton nom
au frontispice des jours sans lune
pour avoir voyagé sur Terre
et semé l’amour
pour avoir su t’élever
au-dessus de la haine gratuite
et combattu l’injustice avant de retourner
dans ta demeure virginale
creusée dans le roc
le visage sillonné d’indélébiles cicatrices
par larmes échappées
du coin de ses paupières
mais lampe incandescente

temps de démesure indiscrète
cohortes d’anges à ta suite
le vent remplit les espaces vacants
libérés de la censure
car ronge depuis toujours
le bleu de tes nuits

les fleurs s’ouvrent alors
sur ton passage
faisant haleter les vents
à tout instant
et tu te fais pour toujours
souffle libérateur
l’oiseau te regarde dans les yeux
et chante ton nom
sans que tu ne le saches

une vision tienne tricote des scènes
et elles viennent toutes s’installer
dans tes pensées
sans que tu ne le saches
Dieu est poète, te dis-je

une attente anxieuse
une promenade
puis cohortes d’anges à ta suite
les mêmes de toujours
te prennent par la main
grâce et caresses en découlent
Dieu est poète, c’est sûr

(Montréal,
22 janvier 2025)

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